Didier Coeurnelle, co-président passionné de la Healthy Life Extension Society, apporte des réponses rassurantes aux questions soulevées par le transhumanisme.
Faut-il craindre les transhumanistes ? La Silicon Valley va-t-elle accoucher d’une société néofasciste placée entre les mains de surhommes « augmentés » par les machines ? Le XXIIème siècle sera-t-il façonné par une caste d’oligarques cyborgs surpuissants et hyper-intelligents ? Voici quelques réponses à ces questions, posées aux frontières de la science-fiction.
Son profil de juriste écolo bruxellois montre une autre facette du transhumanisme, aux antipodes de celle qu’incarnent les tycoons prométhéens à la tête des GAFA (Google-Apple-Facebook-Amazon). Car ce fonctionnaire de cinquante ans n’a pas rejoint l’Association française de transhumanisme dans l’intention de mener une quelconque « techno-prophétie ». Didier Coeurnelle ne promet pas l’avènement d’une nouvelle espèce post-humaine par hybridation de l’homme, la machine et l’intelligence artificielle.
Au contraire, si cet agent du ministère des Affaires sociales belge, longtemps engagé à gauche, a embrassé la cause transhumaniste, c’est avant tout parce qu’il prône l’amélioration de la condition humaine. À ses yeux, dans le transhumanisme, « la question la plus importante est celle de la longévité ». Cependant, « il ne s’agit pas d’atteindre l’immortalité. Mais simplement d’éloigner le plus loin possible le moment de notre mort naturelle ».
La fable du dragon-tyran
Didier Coeurnelle se définit comme « longétiviste », un courant dont le fondateur est le philosophe suédois Nick Bostrom, professeur à Oxford. Cette « branche » du transhumanisme espère augmenter la durée de vie humaine, en éradiquant les maladies liées au vieillissement. « Cela fait 10 ans que je me passionne pour le sujet, explique-t-il. Je lis tout ce qui passe devant mes yeux en français, anglais, néerlandais. Je co-préside la Healthy Life Extension Society, j’ai écrit des livres sur la question et je rédige la newsletter de Technoprog depuis 8 ans».
Lorsqu’on lui demande d’où est née cette passion, il explique avoir longtemps donné « pour lutter contre la faim dans le monde et les maladies aisément évitables. Puis, un jour, j’ai compris que le phénomène qui rendait ces maladies mortelles, c’était le vieillissement ». C’est la lecture de la Fable du Dragon-Tyran, imaginée par Nick Bostrom, qui provoqua chez lui une sorte de révélation.
Dans ce conte, le Dragon incarne la vieillesse, qui prend, chaque année, des milliers d’âmes à un village imaginaire. Un jour, les habitants décident de tuer le dragon, se libérant ainsi de la plupart de leurs maux. Depuis la lecture de ce texte, qu’il a traduit en français et en néerlandais, Didier Coeurnelle voue son temps libre à « mettre la mort à mort ».
« La première cause de mortalité, affirme-t-il, sont les maladies liées au vieillissement. Nous avons pratiquement mis fin aux autres causes de mortalité, comme les épidémies, les famines ou les guerres. Or, ce ne sont pas les cancers qui tuent les personnes âgées, mais c’est l’âge. Statistiquement, la majorité des jeunes guérissent d’un cancer ou d’une pneumonie, quand la majorité des personnes âgées en meurent. Pourquoi ? Car elles sont affaiblies par l’âge. Ce qu’il faut combattre, ce sont les effets du vieillissement. »
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Humain plus humain
Pour cet « activiste social », passionné de sciences – mais il préféra le droit, dans l’idée d’entamer une carrière politique – « vivre plusieurs centaines d’années ne veut pas dire que l’on va cesser d’être humain ». Au contraire, c’est pour lui « le propre de la science et de la médecine que d’accroître la durée de vie ». Et de trancher : « Oui, mettre fin à la morbidité nous rendra plus humain. Car le droit à la vie est le plus sacré.»
Mais Didier Coeurnelle ne se borne pas aux aspects technologiques et philosophiques de cette quête. Il s’intéresse avant tout aux effets sociétaux et écologiques que l’allongement exponentiel de la durée de vie pourrait provoquer. Des effets qu’il juge globalement positifs.
Ainsi balaye-t-il le « spectre de la surpopulation » d’un revers de main, affirmant « qu’une vie plus longue conduit à désirer moins d’enfants et diminue de la croissance de la population ». « La surpopulation est un problème de pays pauvres, où la mortalité infantile est importante. Ce n’est pas un problème pour les pays peuplés de gens bien portants. »
Surtout, il insiste sur la prise de conscience écologique qu’induirait une plus grande longévité de chacun : « Si nous sommes sur terre pour une durée de plus de 100 ans, nous nous sentirons directement concernés par l’impact de notre mode de vie, même à long terme. » Et de résumer cette pensée « techno-progressiste » – un terme emprunté au sociologue américain James Hughes – par une jolie maxime : « Un corps durable favorise un environnement durable. »
Risque existentiel
Cependant, malgré son positivisme, le « militant » Coeurnelle n’en est pas pour le moins naïf. « Nick Bostrom lui-même a consacré un ouvrage aux dangers de l’intelligence artificielle et au risque existentiel qu’elle représente. Moi-même, en tant qu’écologiste, je suis bien conscient des dangers de la mécanisation du corps, des reconfigurations génétiques ou de la mort des genres, dont parlent (les philosophes) Jacques Ellul ou Hans Jonas. »
Il concède que ces innovations « donnent le vertige ». « Mais, pour le moment, rappelle-t-il, les transhumanistes n’ont pas abouti à grand-chose. Certes, nos corps sont déjà tous augmentés par des choses artificielles, comme les vaccins ou les prothèses. Et nos esprits sont connectés, via les objets. Pour autant, nous sommes encore loin d’une intelligence artificielle globale, qui ne pourrait voir le jour, selon certains, que dans plusieurs siècles. »
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Nous ne sommes donc pas encore entrés dans la révolution industrielle transhumaniste. Et les GAFA, dont les milliards arrosent les labos de recherche, ne l’effraient pas. « Il n’y a pas de complot des plus riches ou des Chinois. Et mon association n’est en rien financée par la Silicon Valley pour faire du lobbying. Nous sommes tous bénévoles. Il faudrait plutôt revenir à la réalité et assurer davantage de programmes de recherche au niveau européen ! », suggère-t-il, avant de conclure : « Je sais que toute chose a son prix et que toute médaille a son revers. Mais j’ai la conviction que tout cela aura une fin positive. » / Jacques Tiberi