Adrien Bellay a réalisé L’Eveil de la Permaculture : un documentaire pour montrer que nous pouvons tous agir pour une agriculture durable, chacun à notre niveau.
Biodiversité en péril, érosion des sols, difficulté financière pour de nombreux agriculteurs… Conscients des défis environnementaux et sociétaux auxquels notre société fait face, des femmes et des hommes cherchent la voie pour produire autrement. Adrien Bellay a rencontré et filmé ces optimistes qui prônent la mise en place d’une agriculture plus saine, plus écologique et plus productive. Cela s’appelle la permaculture : une éthique et une philosophie visant à s’inspirer de la nature.
Le Zéphyr : Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce documentaire ? Pourquoi vous êtes-vous lancé dans cette aventure ? Et pourquoi via une campagne de crowdfunding ?
Adrien Bellay : Après avoir travaillé essentiellement pour la télévision, j’avais envie de faire un documentaire. Aussi, je trouvais que les médias étaient un peu trop déconnectés des véritables préoccupations, et notamment de l’écologie, un thème qui reste encore à la marge. J’étais conscient des problèmes, le réchauffement climatique, l’agriculture intensive, la destruction des écosystèmes, et, au-delà, la dégradation des relations entre les hommes, les inégalités, l’individualisme à outrance…
Un ami, très actif dans le milieu de la permaculture, m’a fait part de ses expériences et m’a présenté à des enseignants en permaculture, Andy et Jessie Darlington. Le courant est bien passé. Alors, j’ai saisi le temps, la passion, la volonté de transmettre un message et j’ai insufflé une dynamique. J’ai réuni une équipe d’amis passionnés par la permaculture et par le cinéma, et on s’est lancés !
Le financement participatif m’a permis de financer ce film. Un producteur ne m’aurait jamais fait confiance pour mener à bien un projet aussi ambitieux, j’ai, en quelque sorte, court-circuité la chaîne de production. De cette façon, j’ai appris les métiers de réalisateur, de producteur, de distributeur… Ça va dans le même sens que la permaculture.
On sort de la spécialisation pour toucher un peu à tout et acquérir une vision d’ensemble. Ça m’a aussi permis de garder toute mon indépendance. Et le financement participatif est aussi un très bon moyen de faire du film un objet collectif, chaque participant emporte avec un lui une part du film…
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Combien de temps a duré le tournage ?
Nous avons tourné pendant les quatre saisons. Un mois et demi de tournage étalé sur une durée d’un an. D’une certaine façon, on a pris une photo du mouvement de 2014 à 2015. Ça m’a permis de garder une cohérence dans les discours, de suivre certains personnages ou intervenants, mais aussi de creuser un peu la complexité en prenant du recul entre deux tournages. Et puis, il faut dire qu’on a fait ça bénévolement, on a conservé nos activités à côté… Ça nous a permis de financer nos différents périples. Le crowdfunding est intervenu a posteriori du tournage.
Quel est le but du film ?
Le film est vecteur d’idées positives, de solutions pratiques faciles à mettre en œuvre. La permaculture propose des outils pour développer son autosuffisance énergétique et alimentaire, entre autres, et balaye un champs aussi large que l’agriculture, l’habitat, l’enseignement, la santé, l’économie, la gouvernance. C’est aussi vaste et efficace, et chacun peut s’en emparer… J’avais la volonté de transmettre cette idée que chacun peut-être acteur du changement et nous faire sortir de cette posture de simple consommateur.
Mais il ne faut pas se tromper, il ne s’agit pas d’un film pédagogique. Ce n’est pas « comment apprendre la permaculture en 3 étapes ». Il y a des tas de vidéos sur internet pour cela. L’idée ? Mettre en image les éthiques de la permaculture, mettre en avant le mode de vie défendu et l’envie de changer de monde. Demain, En Quête de Sens et d’autres l’ont prouvé dernièrement, le cinéma à cette puissance que les autres arts n’ont pas forcément : une force politique, cette puissance de redonner du pouvoir d’agir et de mobiliser les spectateurs…
Les spectateurs sont parfois décontenancés face à la vision politique de la permaculture, d’autre déçus par le manque d’information pratique, mais la plupart ressortent de la salle des images plein la tête, avec, peut-être, un regard différent porté sur notre monde, et aussi, peut-être, une (nouvelle) volonté d’agir au quotidien.
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Comment définissez-vous la permaculture ?
Selon l’un des intervenants du film Eric Escofier, « La permaculture est à la fois une éthique, une philosophie, une science et une méthode de conception, d’aménagement, de planification, d’organisation de système (et d’écosystème), dont la préoccupation fondamentale est l’efficacité, la soutenabilité et la résilience. »
Pour compléter, voici une définition de Graham Bell défendue par un autre intervenant du film, Pascal Depienne : « La permaculture est un aménagement consciencieux du paysage, qui imite la diversité, la stabilité et la résilience des systèmes naturels, pour produire durablement et en abondance de la nourriture, des fibres et de l’énergie afin de combler les besoins locaux.«
Reprenons une question posée dans votre film : que manque-t-il à la permaculture pour qu’elle soit plus « crédible » et que cela prenne un peu plus d’ampleur ?
Je ne peux pas être affirmatif à ce sujet, je veux croire qu’avec un peu de temps et d’énergie, des exemples tels que le Bec Hellouin vont se multiplier et les résultats de la permaculture seront d’autant plus visibles. Aujourd’hui, en effet, lorsque l’on parle permaculture, le mot utopie revient très souvent dans les bouches… On peut le reprocher au film, mais on peut aussi le reprocher à la permaculture, il s’agit là d’un « éveil »… Ce sont les prémices d’un changement profond de la société.
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À la fin du film, l’un des intervenants dit : « On peut tous y arriver et sauter le pas. » Tous, y compris le habitants des grandes villes et de Paris ?
On peut pratiquer la permaculture aussi bien à la ville qu’à la campagne. Il est évident que la permaculture se développe plus aisément dans les campagnes, c’est dû à la proximité des fermes et des lieux de formation, et les gens sont aussi peut-être plus sensibles à la cause écologique puisqu’en rapport plus direct avec la nature. Mais aujourd’hui la permaculture trouve un écho grandissant dans nos villes. Les exemples se multiplient.
Par exemple, la permaculture est très forte dans la ville d’Albi qui s’est fixée l’objectif d’atteindre l’autosuffisance alimentaire à l’horizon 2020, ainsi qu’à Almere aux Pays-Bas, qui a conçu un design selon les principes de la permaculture – le village est autosuffisant depuis cette année.
La forme de permaculture urbaine abordée dans le film est une des solutions : le permablitz réunit le temps d’une journée un groupe de jardiniers volontaires, qui viennent mettre en œuvre un design « permacole », cette action fait appel à l’intelligence collective et permet de redonner un peu plus d’autonomie aux villes. Un jardin vivrier à la portée de chacun des urbains possédant un petit lopin de terre en bas de chez lui !
François Léger, enseignant et chercheur à AgroParisTech, explique, dans le documentaire, que l’enjeu du siècle, c’est le combat entre la permaculture et l’industrie. Un combat entre une solution portée sur l’humain et la planète pour le premier et l’argent pour le second, si l’on schématise. Du coup, il n’y a pas de compromis possible ?
François Léger précise bien : ce sont deux visions qui, à terme, s’excluent, puisque d’un côté le monde capitaliste ne prend pas en compte dans son système les valeurs éthiques et d’un autre côté la permaculture bannit le système marchand et le profit. Ce sont deux paradigmes antagonistes.
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En revanche, il est question de transition, la même défendue par Rob Hopkins, l’initiateur du mouvement des villes en transition : comme en permaculture, on cherche à accélérer le processus, on cherche à passer d’un monde à un autre et il est donc évident que les deux mondes devront coexister le temps de cette transition, qui doit pouvoir se faire de la façon la plus douce possible mais aussi le plus rapidement possible, puisque le temps est compté. / Philippe Lesaffre