Le dernier (et quatrième) volet de la saga de Ip Man (de Wilson Yip) est sorti le 22 juillet dernier dans les salles françaises. Pour l’occasion, nous revenons sur le parcours du grand maître, sur son art du wing chun, une variante du kung-fu, et sur son influence sur le cinéma. Amateurs de films d’action hongkongais, cet article est fait pour vous.
Après-midi canapé, The Grandmaster, film sorti en 2013 de Wong Kar-wai, ayant représenté Hong-Kong aux Oscars 2014. Le synopsis : dans les années 30, un maître d’arts martiaux recherche un guerrier pour prendre sa place, ouvrant la porte à une lutte farouche entre de nombreux concurrents. Bien qu’habitués aux duels chorégraphiés, les combats semblent particulièrement légers et dansants. Pour cause, il ne s’agit pas d’un film de kung-fu, mais de wing chun, l’art martial de Bruce Lee, et de son mentor Yip Man, dont The Grandmaster retrace le parcours.
Tous les fans de films d’action hongkongais viennent sans doute de sentir leurs poils se dresser d’excitation. En plus d’avoir fondé la première association de wing chun dans les années 60, le maître Yip Man, et ses techniques, ont influencé toute l’esthétique des films d’action de la péninsule. Sept films semi-biographiques lui ont été consacrés.
Variante du kung-fu
Revenons à The Grandmaster : nous approchons de la scène du combat du train, les curieux pourront la retrouver sur Youtube. Elle oppose l’héroïne, formée par Yip Man, à un autre concurrent. Le cinéaste Wong Kar-wai nous a habitués à des échanges de coups très chorégraphiés, mais ce duel-là est particulièrement virevoltant. Les deux combattants dévient la majorité des attaques portées, et ils sollicitent énormément les épaules et le bassin.
Le principe du wing chun : retourner la puissance de l’adversaire
Cela tient au fait que le wing chun, variante du kung-fu, est tourné vers la souplesse et l’esquive. Ses mouvements donnent à voir aux spectateurs un véritable ballet aérien, à l’opposé de la brutalité létale du muay-thaï (boxe thaïlandaise), par exemple.
Entre la vie trépidante de maître martial et le style particulièrement visuel de cette variante du kung-fu, nous avons là une source de films et d’histoires inépuisables.
Yip Man : une vie de légende
La multiplicité des adaptations cinématographiques de la vie de Yip Man tient en premier lieu au caractère mythique de celle-ci. La majeure partie des informations disponibles à son sujet nous viennent des témoignages de ses nombreux élèves et de son fils, Ip Ching, auteur de Ip Man, portrait d’un maître de kung-fu (avec Ron Heimberger, en 2001).
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Le maître est né à Foshan, au Sud de la Chine en 1893. À l’âge de 12 ans, il se rend au Kwoon (école d’art martiaux) de Chan Wah-shun qui accepte de le former. Quatre années plus tard, il rencontre Leung Bik, expert du wing chun authentique qui, après l’avoir vaincu, le prend sous son aile. Le jeune Yip développe un talent prodigieux pour cette variante méridionale du kung-fu. Après quatre ans de formation, Yip Man, devenu combattant expert, retourne à Foshan où il parvient à vaincre tous les élèves de Chan Wah-shun. Sa valeur de maître de wing chun ne fait alors plus débat.
Bruce Lee comme élève
Petit saut dans le temps jusqu’à l’ascension au pouvoir de Mao Zedong en 1949. Un engagement de jeunesse au Guomidang (Parti nationaliste, fondé en 1912 par Sun Yat-sen) pousse Yip Man à fuir le courroux du Parti communiste chinois à Macao puis à Hong-Kong.
Dans les années 50, le maître décide de fonder son école pour soutenir financièrement sa famille, restée à Foshan. Bientôt, un jeune combattant hongkongais de treize ans rejoindra son établissement. Un certain Lee Jun-fan, plus connu sous le nom de… Bruce Lee. En 1967, Yip Man forme avec ses élèves la Ving tsung athletic association, avec laquelle il enseigne son style de kung-fu si particulier. Le maître est connu pour avoir apporté des enseignements différents à chacun de ses élèves.
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Son esprit hétérodoxe le pousse également à faire l’impasse sur certaines formules et méthodes d’enseignements traditionnels du wing chun, rejetant une partie de la philosophie afin de rendre sa discipline plus accessible. Aujourd’hui, son empreinte sur l’art martial est fondamentale, et la majorité des écoles de wing chun se réclament de son héritage.
D’où vient le wing chun ?
Difficile de situer clairement l’origine du wing chun puisque ce que nous savons de son histoire nous vient de traditions orales. Il existe toutefois un récit transmis par Yip Man en personne. Replongeons dans la Chine du XVIIe siècle auprès de la nonne bouddhiste Ng Mui Si Tai. Après l’invasion du légendaire monastère Shaolin du Sud, sanctuaire religieux et refuge d’opposition au régime de l’empereur mandchou, dans la province du Fujian (à Quanzhou, en Chine), la religieuse aurait trouvé refuge dans le temple de la Grue Blanche. Experte en arts martiaux, elle aurait alors créé un nouveau style de kung-fu en observant le duel d’une grue et d’un serpent, une joute toute en souplesse et en esquive.
On raconte qu’elle aurait rencontré une jeune fille, Yim Wing-chun, dont le père s’était rendu coupable de rébellion contre les mandchous. Prenant la jeune fille en affection, Ng Mui lui aurait enseigné les arcanes de son nouvel art martial. Yim Wing-chun transmet à son tour cet art perfectionné à son mari Leung Bok Chau qui le nomme alors en l’honneur de sa femme.
Le principe de cet art martial : retourner la puissance de l’adversaire
Cette histoire très romanesque reste sujette à controverse puisque les historiens ne s’accordent ni sur l’existence du monastère Shaolin du Sud ni même sur l’existence de Ng Mui. Toutefois, elle rend grâce au style et à la philosophie du wing chun, qui est un art de déviation, plus que de force. Les athlètes du wing chun veillent à chercher comment retourner la puissance de leurs adversaires contre eux-mêmes.
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L’attaque frontale est dépassée par la recherche d’ouverture. Ni le serpent, ni la grue ne se jettent brutalement sur leur ennemi, sachant pertinemment qu’un seul coup bien placé peut suffire et qu’une imprudence signerait leur arrêt de mort.
Des accessoires célébrés par le cinéma
La mythologie du wing chun ne s’arrête pas à son invention. L’art martial a bâti également sa réputation sur des accessoires célébrés par le cinéma. Par exemple, on se rappelle tous le mù rén zhuāng sur lequel s’entraîne Bruce Lee, un mannequin de bois orné de branches pour s’entraîner à porter les coups.
Pour une petite piqûre de rappel, Po l’utilise pour devenir guerrier dragon dans Kung Fu Panda. Les pratiquants manient également une grande variété d’armes allant de la paire de sabres à la perche en passant par le couteau papillon. Cette diversité d’attirail a permis l’adaptation de l’art au cinéma.
La saga de Wilson Yip dans nos salles obscures
La majorité des écoles de wing chun se réclament aujourd’hui du maître
La légende du maître fascine encore aujourd’hui le cinéma hongkongais et international puisqu’en juillet est donc sorti Ip-Man, le dernier combat, le quatrième et dernier volet de la tétralogie du réalisateur hongkongais Wilson Yip. Une fois encore, l’acteur (également hongkongais) Donnie Yen (Rogue One : A star wars story) enfile le costume.
Dans ce nouvel opus, Bruce Lee demande à son maître de le rejoindre aux États-Unis pour jouer le rôle du diplomate entre son protégé et les maîtres de kung-fu locaux. Il sera confronté dans sa mission à la xénophobie américaine des années 60, incarné par un général, prompt à rabaisser les arts martiaux chinois.
Comme dans les deuxième et troisième volets, Wilson Yip continue de traiter le grand maître comme une icône de soft power chinois. Le deuxième opus a opposé Yip Man à la police britannique violente, et le troisième à un promoteur immobilier américain retors espérant racheter et détruire l’école de son fils. Lors d’une interview promotionnelle donnée en 2010, le cinéaste a expliqué vouloir découvrir « comment un grand artiste martial réagirait aux conflits [de la moitié du XXe siècle] et quel rôle peut prendre le maître à cette époque« .
Dans l’intimité du maître
Même si la majorité des écoles de wing chun se réclament aujourd’hui du maître, leur développement est bien davantage le fruit de l’investissement de ses élèves, notamment Leung Ting, le fondateur de l’association internationale de wing chun.
L’autre aspect intéressant de la saga de Wilson Yip est de s’attacher à découvrir la vie de Yip Man. Les premier et deuxième opus mettent en avant les origines modestes du maître, ce qui nous permet de nous projeter dans ce personnage, au cœur des luttes quotidiennes de l’existence. Wilson Yip, lui-même, explique qu’il n’a pas voulu mettre en scène un super-héros. Gardons toutefois un certain recul critique à l’égard de cette louable intention de réalisation.
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Foncez au dojo
La tétralogie a quand même à cœur de nous montrer des combats dantesques et du grand spectacle, et les techniques employés défient la gravité et les capacités physiques du commun des mortels. Toutefois, il faut reconnaître que cette touche de réalisme, issue des scènes de vie, donne, aux films, un ton radicalement différent de la majorité des blockbusters d’actions américains contemporains, comme Iron man ou la saga des Mission impossible.
La figure de Yip Man a accompagné l’expansion culturelle du cinéma hongkongais, autant par son parcours que par ses enseignements. Son wing chun a nourri les imaginaires de nombreux acteurs et cinéastes grâce à ces figures, ses accessoires et ses codes. Si la récente sortie d’Ip Man, le dernier combat a annoncé la fin de la tétralogie de Wilson Yip, les films de kung-fu hongkongais conserveront l’influence du maître. Et si le kung-fu, vous démange, foncez au dojo le plus proche / Gabriel Thibeau