William Acker sort en ce printemps Où sont « les gens du voyage ? » Inventaire critique des aires d’accueil (éditions du commun, 2021). Un essai très important pour contrer nombre de préjugés circulant sur les « voyageurs » – un terme plus juste, selon lui. Pour son livre, le juriste, ancien voyageur, a recensé les aires de voyage en France, puisqu’il n’existait aucun registre national sur le sujet. Manière de mettre en lumière les conditions difficiles des personnes qui s’y arrêtent. Pourquoi ces aires sont-elles si souvent situées sur des zones dangereuses et polluantes ?

Note de la rédaction : ce récit a été publié après un long entretien que William Acker nous a accordé, en compagnie du média en ligne Dièses, notre partenaire. Ce site d’information (contre les discriminations et les préjugés.) publie, de son côté, l’interview-fleuve.

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Un jour, William Acker découvre un article sur des familles de voyageurs en Provence, installées en France depuis des siècles. Le récit, signé Lise Foisneau et paru dans la revue de sciences humaines Tracés, lui plaît. « C’était la première fois que je lisais quelque chose d’aussi juste sur des gens qui me ressemblent », affirme-t-il, quelques années après avoir cessé, à 18 ans, la vie de voyage. A la suite de cette lecture, le jeune juriste entre en contact avec l’anthropologue, auteure en 2018 d’une thèse sur des collectifs roms « hongrois » en Provence. Lise Foisneau démarre alors un nouveau projet de recherche sur le statut des nomades engagés dans la Résistance, sujet totalement méconnu. Le début d’une aventure collective entre deux citoyens engagés.

« Elle m’a invité à fouiller dans les archives. Je n’y connaissais rien. Mais cela m’a complètement passionné, moi, le féru d’histoire. » William s’engage à ses côtés. « On a travaillé sur mon arrière-grand-mère qui a été internée dans des camps pour nomades. On a trouvé des photos, des documents, des lettres manuscrites… C’était une période forte en émotions. » D’autant que le fils de cette aïeule, son grand-père, rend, à peu près à ce moment, son dernier souffle. « Il a beaucoup lutté pour que l’on n’oublie pas cette période tragique de l’histoire. Il y a eu comme un passage de relai puisque j’ai au final poursuivi le travail de mon grand-père. »

La trahison de l’internement

William nous rappelle, lors de notre échange (en compagnie du média Dièses, partenaire du Zéphyr) qu’il a fallu « attendre » 2016, et le mandat de François Hollande, pour que la France reconnaisse La responsabilité de l’Etat dans l’internement des populations tsiganes. Ce volet de l’histoire n’est pas vraiment enseigné à l’école, et il n’existe pas non plus de mémorial sur le sujet, encore moins de plaque dans ces anciens lieux d’enfermement, comme William le regrette (et son grand-père avant lui). Car l’internement a vraiment été « vécu comme une trahison » pour ces voyageurs, qui se sont toujours sentis français : « On prenait les hommes pour les emmener à la guerre entre 1939 et 1945, or, on les a internés (les femmes aussi), et y compris, d’ailleurs, entre 1914 et 1918. » Des arrestations barbares qui ont été organisées par les gendarmes, ce qui est resté dans les mémoires collectives.

« Du coup, se souvient-il, quand j’ai annoncé que je rentrais dans l’Armée, à 18 ans, ma famille ne l’a pas forcément bien pris. Je suis resté dans la marine quatre ans ; c’est que la journée d’appel (JCD) avait réveillé en moi mes désirs d’enfant de pirate. Puis, à 22 ans, j’ai entamé des études de droit de droit public. Mon grand-père avait toujours souhaité que je devienne avocat », sourit-il.

 « Les aires d’accueil pour les gens du voyage sont très souvent placées à proximité d’installations dangereuses ou polluantes »

William ne cessera de se battre en faveur de ces populations si souvent placées « à la marge de la marge de la société ». But du jeu, quelque part : mettre la lumière sur leurs conditions de vie, sur les inégalités environnementales qui touchent les voyageurs, et en particulier sur le fait que « les aires d’accueil sont très souvent placées à proximité d’installations dangereuses ou polluantes ». Lui les a peu connues ayant plutôt vécu sur « d’autres types de terrains« , mais il sait que le sujet doit être su du plus grand nombre. Le sujet interpelle.

Le 26 septembre 2019, il se souvient comme si c’était hier. Il allume la télévision et tombe sur les images de l’usine du Lubrizol en flammes, à Rouen. William, alors, en est certain ; à proximité se trouve une aire d’accueil. « Avec Lise Foisneau, on a appelé la métropole en Normandie. Évidemment, personne n’a répondu. On a essayé aussi la mairie, le département… bref, à peu près toutes les collectivités ; mais personne n’avait d’informations sur la situation de l’aire d’accueil. Personne n’a su nous dire si des mesures avaient été prises, si l’aire avait été évacuée. » C’est pire, dit-il : « Certains agents ignoraient même qu’il y avait une aire à cet endroit. Il a fallu ruser et faire croire que mon père s’y trouvait pour avoir le début d’une réponse. » Finalement, les deux ont su rentrer en contact avec des voyageurs sur place via Facebook. « On a alors compris que rien n’avait été fait. Les gens étaient confinés dans leurs caravanes alors que la fumée entrait par les murs. C’était un carnage. »

Il recense les aires d’accueil

Ils co-signent ensuite une tribune dans Libé pour tenter de faire un peu de bruit sur cette affaire. « Cela a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. » Car, « c’est loin d’être un cas isolé ». Et William de déclarer : « J’en ai assez d’entendre des politiques ou des journalistes dire qu’on se plaint trop, ou que nos revendications tiennent de la démagogie ».

Alors il se met au travail. Et il commence ainsi à recenser les aires d’accueil pour montrer l’ampleur de la tâche. Il part de rien, car il n’y a pas de registre national des aires d’accueil. « Il existe certes des bases de données, mais elles demandent une certaine connaissance des documents administratifs… et ne contiennent le plus souvent que le nom de la ville qui accueille. » Sans compter les erreurs et les confusions entre les aires de stationnement et les aires d’accueil, par exemple.

« Rejetées des villes »

Le résultat se retrouve dans son premier ouvrage Où sont « les gens du voyage » ? (éditions du commun, 2021), ainsi qu’en ligne. Verdict : les aires d’accueil des voyageurs (obligatoires dans les communes de plus de 5 000 personnes depuis la loi Besson, en 2000) sont situées loin de tout, et c’est bien ça, le souci. « Les élus construisent à l’endroit qui leur pose le moins de problèmes politiques, le plus éloigné de la ville et des riverains. » Mais ils veulent aussi réaliser des économies. Or, comme les raccordements en eau et en électricité coutent cher, on se retrouve souvent près d’installations déjà raccordées, à proximité des sites industriels, des stations d’épuration, des déchetteries, des autoroutes, des lignes de TGV. Autant d’installations et de zones « rejetées des villes pour des raisons de pollutions, de bruits, de vibrations, de risques divers »…

Lui demande à ce que l’emplacement des aires soit plus encadré par le droit. « On ne devrait pas pouvoir avoir des aires d’accueil à 3h40 de marche du cœur de la ville, comme c’est le cas à Aix-en-Provence, où l’aire a été placée au niveau du désert minéral du plateau de l’Arbois. Je ne comprends pas que ce soit possible. On ne devrait pas non plus pouvoir placer une aire d’accueil, comme il en existe, entre deux branchements d’autoroutes, au milieu d’une zone industrielle, sans la moindre possibilité de sortir ou de s’amuser pour les enfants. »

« Où sont les budgets d’entretien ? »

William prône en outre la tenue d’une commission parlementaire visant à ouvrir le débat sur leur condition de vie souvent terrible. « Les espaces d’expression sur ce sujet sont en effet beaucoup trop rares. Il faut pouvoir informer, et je ne peux m’en occuper seul dans mon coin. » Un chantier titanesque qui urge. « Les aires insalubres sont peu entretenues. Où sont les budgets d’entretien ? Il y a des milliers de passages par an, les équipements collectifs s’usent naturellement. Branchements électriques dangereux, fuites d’eau… Il arrive aussi qu’il y ait un peu de dégradations, bien sûr, mais c’est un peu comme pour tous les équipements publics. »  

William a beaucoup échangé avec des habitants qui l’ont contacté parfois directement. Parfois, il leur a apporté un peu d’aide, à son niveau. « Mais je ne suis pas l’abbé Pierre, je ne peux pas tout faire », souligne-t-il, avant d’insister sur le moral des troupes. Outre un besoin de s’exprimer, naturel, William a aussi observé de la lassitude. « La plupart n’attendent plus rien des pouvoirs publics ou des associations. Ils n’attendent plus rien de personne. Ils se sentent abandonnés. Certains sont dans une grande situation de précarité. » Situation que la pandémie n’a pas arrangée, puisque nombreux n’ont pu travailler et ainsi gagner de l’argent.

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Ils accumulent les dettes, se voient contraints de reporter les paiements des loyers (l’accès aux aires étant payant et limité dans le temps). « Il n’y a pas de trêve hivernal sur une aire, donc on peut expulser en permanence. » Sur quels motifs ? « Fermetures administratives, fermetures pour cause d’entretien annuel lors d’une période électorale, par exemple : un élu fait cela pour se faire bien voir de sa population. » Le non-paiement de factures entraîne aussi des expulsions… « Certains, pour survivre, n’ont pas d’autres choix que de pirater les réseaux d’eau et d’électricité, quand ces derniers ont été coupés, par exemple ; ce qui peut arriver du jour au lendemain pour inciter les personnes à partir… Et puis, autre raison : la période d’emplacement (deux-trois mois) qui se termine. Certains élus sont intelligents et disent : ‘Sortez de l’aire, faites le tour du rond-point et revenez.’ Mais tous et toutes n’ont pas cette position. »

« La mobilité est suspecte dans nos sociétés »

William se doute. « Je peux comprendre que, pour quelqu’un qui gouverne, ce soit difficile d’avoir des citoyens qui paraissent insaisissables. C’est souvent ce qui a été reproché aux nomades : leur mobilité a toujours été considérée comme suspecte. Elle dérange parce qu’elle empêche une forme de contrôle social et politique. » Pour lui, « cette inquiétude » continue aujourd’hui d’exister. Inquiétude ? Le mot est faible.

Faites le test sur un moteur de recherche, tapez « gens du voyage » et regardez les suggestions. On peut tomber sur cette étonnante question : ‘Comment faire fuir les gens du voyage ?’. Réponse de William : « On dit qu’on a le droit d’exister, mais si on peut aller nulle part, c’est compliqué. Le voyage est appréhendé comme un mode de vie parasitaire. Ce que je déplore, c’est qu’on ne tente pas d’inclure ce mode de vie dans la société, alors que c’est tout à fait possible… » En voilà une idée : « On pourrait commencer par valoriser tout ce que ce mode de vie a contribué à apporter ! Par exemple, le développement des campagnes au XIXe siècle est en grande partie dû à des personnes itinérantes. Celles-ci ont apporté les produits manufacturés et tout un tas d’éléments (autour du cinéma notamment) dans le monde rural, et ont contribué ainsi au développement des espaces. Mais cet apport n’est pas valorisé, et ne l’a jamais été. »

« Faire apparaître d’autres visages dans l’espace médiatique »

Durant l’entretien, comme sur les réseaux sociaux, William passe beaucoup de temps à sensibiliser, expliquer, corriger si des fake news circulent. Il reprend si besoin les journalistes et les internautes ignorants s’ils emploient par exemple un mauvais terme pour qualifier les voyageurs ; il met aussi en avant leurs multiples doléances, sans généraliser. Pour autant, il refuse qu’on le voit comme le porte-parole principal des voyageurs. Ce n’est pas son propos.

« Je ne veux pas personnifier ce combat, d’autant que j’ai arrêté le voyage il y a un certain temps. Je ne souhaite pas porter cette lutte sur mes seules épaules. » Alors, oui, il défend la cause, mais il n’entend pas être le seul. « L’enjeu c’est de faire apparaître d’autres visages dans l’espace médiatique. Des visages plus féminins, notamment.  Il y a une richesse, une diversité culturelle que je ne peux incarner seul ; la parole doit pouvoir tourner… » / Philippe Lesaffre

Note de la rédaction : ce récit a été publié après un long entretien que William Acker nous a accordé, en compagnie du média en ligne Dièses, notre partenaire. Ce site d’information (contre les discriminations et les préjugés.) publie, de son côté, l’interview-fleuve.