Membre actif du collectif 100 Pression, le graffeur The Blind compose des fresques et des graffitis en braille, à l’aide de simples demi-sphères de plâtre.
L’idée a germé chez lui il y a une dizaine d’années. The Blind vient du milieu du graff pur et dur. L’illégal; avec ses stores, ses trains, ses périphéries, ses toits et son adrénaline… En clair, le graff comme on l’aime.
Dans le passé, il a touché un peu à tout. Au dessin, à la peinture, aux installations et en réfléchissant sur sa pratique courante, il a pensé qu’il serait possible d’ouvrir ce monde aux non-voyants. L’idée de collages urbains s’est alors imposée, comme une évidence. The Blind travaille sans autorisation, se contentant d’écrire quelques mots dans des lieux publics.
Le Zéphyr : En quoi consistent vos installations ?
The Blind : Je m’attaque toujours à des lieux publics qui ont une symbolique forte. J’ai notamment installé mes sphères sur les murs d’un musée nantais et d’une église en y inscrivant la mention « ne pas toucher ». Je voulais mettre en lumière la distance entre le spectateur et les œuvres, qu’elles soient sacrées ou profanes. On ne touche ni à l’art, ni à la religion. Dans cet esprit, j’ai également installé un « pas vu, pas pris » sur le Palais de justice de Nantes.
Tout part généralement d’un quiproquo. Sur l’église, les gens ont vraiment pensé qu’il s’agissait d’un panneau d’information. Sur le musée, les visiteurs y ont vu une expression d’art minimal. C’est assez marrant de voir que les gens qui n’ont pas directement les clefs du braille ne peuvent pas comprendre le sens des messages et de la démarche en amont. Tout mon travail est réfléchi comme ça. En tout cas, au début.
Il y a donc eu une évolution ?
The Blind : Oui, forcément. Même si je reste très attaché à la pluralité de mes activités. Il a évolué du fait des rencontres que j’ai faites avec les aveugles. Tous ont réussi à lire et comprendre mon geste. Ça veut dire que le concept fonctionne. Par émotion pour eux, savoir qu’on pense à eux, qu’on s’intéresse à eux… C’est émouvant. Maintenant, je me donne également d’autres moyens techniques.
Il y a quelques années, j’avais constitué des sphères de 40 centimètres de diamètre pour écrire « voir en grand ». Pour le coup, l’aveugle qui lit cette phrase se transforme en danseur. Pour passer d’un caractère à l’autre, il doit se baisser, onduler, lever et baisser les bras. C’est tout son corps qui est en action.
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Quels sont les retours du public et des autorités ?
The Blind : On a plusieurs réactions possibles. Peu de personnes comprennent que c’est du braille. Les personnes un peu férues de street art s’amusent à chercher où j’en colle et à traduire mes messages. Je ne traduis jamais mes compositions. Que ce soit sur place ou sur le web. Je ne laisse pas de légende. Ça amputerait la démarche. Ce point est une sorte de critique de l’art actuel où tout vous est donné tout cuit comme de la pub. Ce que je compose crée un silence, une réflexion, une interrogation.
Ça demande une démarche proactive. Ça entraîne une démarche ludique et pédagogique qu’on peut faire seul ou entre amis. Il suffit de chercher dans des bouquins ou sur le web le sens de mes mots. À Nantes, ça reste assez longtemps à chaque fois. Parce qu’il n’y a pas ce côté « attaque frontale » d’une inscription politique. Pour eux, c’est de la signalétique, de l’information. Avec le temps, le passage des gens, l’érosion, les installations disparaissent progressivement. Je pourrais utiliser des enduits plus endurants. Mais ce n’est pas le cas.
Avec cette pratique, vous entendez replacer les aveugles au centre du débat…
The Blind : Pas forcément au centre, mais dans le débat. L’intérêt de mon travail était aussi d’aller chercher le public là où il est. Pour tout vous dire, je me fous totalement du terme « street art ». Ce qui compte à mes yeux, c’est le rapport à l’autre, l’ouverture et le partage. J’ai toujours fait des graffitis, j’ai toujours fait de la couleur et des collages. Ce qui m’intéresse, c’est l’interaction. Quand je suis sur place, c’est l’occasion de raconter comment je m’y suis pris pour faire des collages à Tchernobyl, dans la Death Valley ou le long d’une cascade à La Réunion. À ce moment-là, il y a un véritable échange entre le public et l’activiste.
Justement, quel sens le mot activiste a-t-il pour vous ?
The Blind : Je n’aime pas le mot « artiste ». Il est usé et galvaudé. Je mets toujours un sens et un propos dans ce que je fais. J’y mets un message, une provocation pour réveiller le public, ouvrir les yeux aux gens. J’ai récemment exposé une toile où l’on pouvait lire : « Si un jour vous ouvrez les yeux, ouvrez votre gueule ». Il y a toujours le rapport à l’humour. Si le travail me fait rire, c’est déjà réussi. Plus largement, si les gens ne se donnent pas la peine de vérifier, on peut leur raconter des conneries. Lors d’une expo’, rien ne m’empêche de donner une fausse traduction d’un message. Qui peut le savoir ? Il ne faut pas croire tout ce qu’on nous dit. Il faut vérifier par soi-même et avoir une vraie démarche intellectuelle.
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Et si vous vous faites appréhender ?
En Belgique, par exemple, les voitures de police sont équipées de caméras. J’ai donc été repéré très vite par une patrouille lorsque je me suis attaqué à la Bourse de Bruxelles. Lorsque les agents m’ont demandé ce que je faisais, je leur ai dit que j’avais les autorisations et que j’installais de la signalétique pour les aveugles. Ils m’ont quitté en me souhaitant : bonne continuation. J’étais en train d’écrire : « la Bourse ou la vue » sous leurs yeux. / Jérémy Felkowski