Auteur, compositeur et interprète, Stéphane Corbin répond aux messages de mort par des mots d’amour. Il a créé les Funambules, un collectif d’artistes engagés qui montent sur scène pour dire non à l’homophobie.
Écrasé par le poids du secret, un jeune homme va finalement s’élancer sur la corde raide. Seul face au public, le regard fixe, Stéphane Corbin avance calmement. Il ne le sait pas encore, mais le numéro qu’il s’apprête à réaliser est celui d’un funambule. À la moindre petite oscillation, le jeune homme basculera, c’est certain. Mais pourquoi, en 2016, une question aussi anecdotique qu’un coming out devrait-elle être décrite comme un exercice de haute voltige ?
« Répondre avec élégance aux imbéciles »
Au nom de quoi celles et ceux qui se hasardent à tomber le masque devraient-ils subir le jugement de leurs contemporains ? Comme tant d’autres, Stéphane Corbin a fait l’expérience vertigineuse de ces instants où tout peut basculer. Mais tandis qu’il s’avère destructeur pour des milliers de jeunes esprits, l’instant fatidique a constitué le fondement d’une démarche artistique, d’un engagement solidaire et sans concession portant un nom tout indiqué : les Funambules.
Le projet est né d’un refus, une réaction viscérale, face au spectacle navrant des hordes jetées sur le pavé parisien pour refuser à certains un droit élémentaire qu’ils considèrent comme un privilège. Déferlement d’une haine aveugle et sordide, la procession de la Manif pour tous a marqué les esprits de part et d’autre du prisme politique.
Mais, à la véhémence des protestations, Stéphane et ses amis ont répondu en mettant sur pied un collectif entièrement dédié à la tolérance et au dialogue. En tout, les Funambules rassemblent plus de quatre cents artistes et techniciens bénévoles.
Quatre cents personnes, homo ou hétéro, rassemblées par des valeurs communes et l’envie de promouvoir l’égalité. Chacun dans la mesure de ses compétences et de sa disponibilité, ils s’engagent pour mettre des mots sur les maux qui rongent de nombreux homosexuels. L’idée pourrait paraître un brin désuète de prime abord. Mais il n’en est rien.
Présentes lors de l’interview, Virginie Lemoine et Miou-Miou reconnaissent que l’action entreprise par Stéphane les a touchées. Pour elles, « il s’agissait de répondre avec élégance aux imbéciles et aux haineux ». Voilà qui est dit.
Chanteur, compositeur et parolier, Stéphane Corbin assure que le combat mené par les Funambules aurait tout aussi bien pu être engagé au nom de l’IVG ou des droits civiques aux Etats-Unis. L’essence du projet tient en un mot : l’égalité. « Ce projet ne parle pas d’homosexualité ou, plus largement, de préférences sexuelles. Il n’est question que de tolérance et d’humanisme. Les Funambules, c’est avant-tout l’histoire de gens qui se sentent concernés par l’égalité », précise-t-il à ce propos. Auteur de cinq titres présents sur l’album, Alexis Michalik confiait récemment qu’il s’était associé aux Funambules pour toutes ces raisons et non pour la représentation des seuls homosexuels.
Point central de la démarche des Funambules, l’album du collectif rassemble une vingtaine d’auteurs et cent trente interprètes. A chaque fois, Stéphane Corbin a dû développer des trésors de patience et d’écoute pour se glisser dans l’univers des artistes sollicités. Pour Stéphane, l’ambition de l’album était de restituer la vérité de chacun : « J’ai tenté de servir l’univers des gens et de raconter un maximum d’histoires. Je tenais à ce que n’importe quel auditeur retrouve dans ces 42 titres un petit bout d’une histoire personnelle ».
L’union fait la force
Démarche inédite dans le monde de la chanson, les Funambules abordent la question de la tolérance et du regard de l’autre comme une œuvre documentaire. Jusqu’ici, quelques films se sont risqués à aborder cette thématique. Mais lorsqu’il s’agit de poser une mélodie sur les pages les plus douloureuses d’une vie, le résultat n’est que rarement convaincant. Il ne résulte que des fragments d’une histoire collective. « En recollant les morceaux des différents récits et des chansons sorties depuis quarante ans, les gens feraient un constat stupéfiant : les homos sont des personnes comme les autres. Ils aiment, travaillent, vivent, vieillissent, meurent… Des personnes banales. La seule chose qui les différencient des autres tient dans leurs orientations sexuelles.
Et il se trouve que c’est une chose privée. » Au-delà de l’album, les Funambules se produisent régulièrement au théâtre Hébertot. À chaque représentation, la salle parisienne accueille une foule nombreuse et séduite par l’énergie de la troupe. Une troupe au sein de laquelle on retrouve des visages connus comme Dave, Jean-Claude Dreyus, Amanda Lear, Pierre Richard, Cécilia Cara, Virginie Lemoine ou Miou-Miou. Là, encore, l’orientation sexuelle des participants n’a que peu d’importance. Tous se reconnaissent dans la quête des Funambules.
Pourtant, au fil des longues étapes qui ont conduit Stéphane Corbin à constituer la troupe des funambules, les refus se sont accumulés. Des artistes, parfois très connus, n’entendaient pas risquer leur image et leur réputation en s’affichant aux côtés d’un collectif abordant une telle thématique. « J’ai eu énormément de refus. Des artistes m’ont confié que leur carrière rebondissait et qu’ils ne voulaient pas être associés à ça. Le manager d’une artiste réputée très engagée m’a d’ailleurs agressé verbalement en détruisant le projet. Le manager est gay et son artiste ne nous a pas rejoints », précise Stéphane à ce propos.
Le marketing sexué en vogue dans le show business constitue une frontière pour certains artistes et leurs représentants ; une frontière infranchissable tant les enjeux économiques et sociaux sont importants à l’échelle d’une carrière.
« Pour l’égalité »
Face à la haine et aux agressions les plus virulentes, il serait facile de répondre en dressant un poing vengeur. Mais les quatre cents membres des Funambules ont choisi une autre voie. Ce point que d’autres auraient brandi, ils l’ouvrent pour découvrir une main offerte, une main pleine de graines de démocratie et d’espoir qu’ils sèment aux quatre vents. Comme le confie Stéphane, « une chanson n’est pas une loi. Ce n’est pas une manif. Ca va droit au cœur. Ca permet de se sentir moins seul, de se savoir plus fort ».
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Quelques semaines avant notre entretien, Stéphane a reçu le témoignage d’un jeune homme venu le voir après l’une des représentations des Funambules. Le jeune homme lui a dit que la chanson « Nous Silence », présente sur l’album, lui avait permis de parler enfin à ses parents et de leur livrer son secret. La chanson, à l’origine, parle de l’histoire de Stéphane et de ses propres parents. Et ce seul parallèle est une victoire pour la démarche de tolérance des funambules.