Environ 500 000 personnes et près de 60 000 enfants sont élevés dans un contexte sectaire. On a rencontré Gaëtan, Myriam et Christophe qui ont quitté ces mouvements.
Vous en êtes à la deuxième partie du webdoc « Sous emprise ».
Les premiers jours, les premiers mois, les premières années, le groupe sectaire répond à toutes les attentes de ses nouveaux adeptes. Les « bébés », comme ils les appellent dans la communauté des Enfants de Dieu, qui, comme de nombreuses autres communautés obéit à des règles strictes où la hiérarchie fait loi. L’ordre y est une condition non vita. Les nouveaux adhérents subissent l’influence d’une ou de plusieurs personnalités fortes, placées au-dessus de tous les membres de la communauté grâce à leur charisme ou les pouvoirs qu’on leur confère. Dans le groupe de Gaëtan, Esprit Spirit, c’est une médium qui est particulièrement influente.
Pour Myriam, ancienne adepte des Enfants de Dieu, il s’agissait d’un homme divin : Moïse David. Auteur de nombreux livres et d’écrits, que ses adeptes dévorent, il offrait à sa communauté une relecture de la Bible plutôt… surprenante.
Lors de leur rencontre avec ces fortes personnalités, rencontre physique ou intellectuelle via la lecture de ses productions littéraires, Gaëtan et Myriam m’ont avoué avoir eu quelques doutes, qui se sont rapidement effacés… Malgré les situations, parfois grotesques, ni l’un ni l’autre ne se sont rendus compte qu’ils passaient sous l’emprise d’un groupe clos, ou d’un gourou mal-intentionné.
Christophe, quant à lui, continue ses cours de méditation avec sa petite amie. Au cours de notre discussion, il n’aborde que les points positifs de cette expérience. À ce moment précis de sa vie, ces moments hors du temps lui font du bien. Sri Chinmoy, le guru, à l’origine de la création de ces groupes spirituels, distribue pourtant des tracts aux nouveaux adeptes afin de leur expliquer comment méditer : « Si vous vous sentez intérieurement attiré par moi, le meilleur moyen de méditer est pour vous d’entrer dans ma conscience en regardant ma photo transcendantale (elle fut prise alors que je me trouvais dans ma conscience la plus élevée. J’y suis absolument UN avec mon guide intérieur)… Ne laissez aucune pensée entrer en vous de manière à garder votre réceptacle entièrement vide… Videz-vous en me donnant toutes vos pensées… Si vous sentez votre union avec moi, votre conscience, votre âme essayera automatiquement de se mêler à la mienne. C’est cette osmose que l’on nomme méditation. Si vous regardez ma photo transcendantale, vous devenez UN avec ma divinité intérieure et ma réalité. »
Une photo, en évidence dans toutes les salles de méditation, que Christophe n’a pourtant jamais mentionnée au cours de notre échange. « Certains adeptes, que nous avons pu interviewer, déclarent qu’ils ont ressenti une « curieuse impression », d’après eux le visage du gourou s’est transformé durant leur méditation. Ils se sont sentis intimement interpellés par lui, comme s’il leur adressait un message », explique Gérald Bronner dans son ouvrage, La Pensée extrême. « Persuadées d’avoir vécu une expérience intime avec le gourou, convaincues par les photographies de ses exploits et de ses relations avec les grands de ce monde, leurs capacités de résistance affaiblies par la multiplication des temps de méditation et par une pratique sportive intensive (celle du marathon notamment), les nouvelles recrues adoptent les croyances de la secte. »
Le Guru, Sri Chinmoy, était un adepte du « esprit sain dans un corps sain », expliquant que le corps est le temps de l’esprit. Champion d’haltérophilie et de courses à pied, il ajoute aux pratiques méditative la pratique du sport. « Il aurait, de plus, soulevé d’un seul bras 7 063 livres (soit plus de trois tonnes, record attesté par la Fédération internationale d’haltérophilie) », précise Gérald Bronner. Ces démonstrations visent à démontrer le « pouvoir de la concentration ». Dès 1977, il crée une équipe de marathon, et son projet finit par s’appeler dans les années 90 la World Harmony Run. Des courses auxquelles Christophe participait.
« Les sectes n’attirent pas que les faibles d’esprit ? »
« Nous admettons volontiers que la pensée extrême est la conséquence de la faiblesse psychologique des individus qui y cèdent, de leur désespoir personnel ou social, d’un manque d’éducation, voire d’une forme d’inhumanité et de psycho-pathologie. Ces impressions sont fausses : ceux qui s’abandonnent à ce type de pensée extrême ne sont, le plus souvent, ni fous, ni désocialisés, ni même idiots », explique Gérald Bronner. Les sectes, ces groupes de fanatiques n’attireraient donc pas que les faibles d’esprit ?
Lors de mon entretien avec Charline Delporte, médaillée de la légion d’honneur pour son combat contre les mouvements sectaires, elle me murmure : « Nous avons tous des rêves, des projets, des questionnements, des doutes… Des peurs ! » Et, au fil de mes rencontres, j’ai constaté que les groupes, ou leurs manipulateurs, prenaient aux gens ce qu’ils avaient de meilleur en eux. Les pervers narcissiques à la tête de ces mouvements se nourrissent des frustrations, de la remise en cause de la société, de l’envie d’aider son prochain, du désir de donner un sens à son existence. Impossible de ne pas attraper la personne de leur choix. Comme l’explique Serge Blisko, médecin et président de la MIVILUDES, « à chaque segment de la population de jeunes concernés correspond une technique d’approche ; et à chaque jeune l’on fait miroiter quelque chose de particulier ».
« L’adhésion répond rarement à un coup de foudre, elle chemine lentement, la doctrine se dévoile avec mesure, ajustée à la cible selon ce qu’en ressent le recruteur une fois qu’il l’a appâtée ». Jeunesse et radicalisation, David Le Breton, sociologue, anthropologue. Les personnes les plus capables de tomber dans ces pièges sont ceux qui ne connaissent pas grand-chose de la religion (catholique, musulmane, etc.) et la jeunesse qui subit un flot continu d’information sur les réseaux sociaux.
Les sectes recrutent n’importe qui
Plus l’expérience se prolonge, plus elle peut être dure. Les trois anciens adeptes que j’ai rencontrés y sont restés réciproquement dix ans (Myriam), quinze ans (Christophe), dix-sept ans (Gaëtan). Les premiers temps répondent souvent à toutes leurs attentes, ils s’y épanouissent et trouvent enfin un sens à leur vie. Une vie « normale ». Mais s’insérer dans des voies spirituelles, comme celle de Sri Chinmoy, impose quelques habitudes à mettre de côté, dont certaines sont parfois extrêmes… À chaque étape, l’adepte ne semble pas avoir l’impression de s’engager beaucoup plus que précédemment, la progression est très sournoise.
« Le premier dénominateur commun, quel que soit le type d’emprise, c’est la restriction de libertés », explique Sandrine Cuzzillo, psychologue. Au sein d’un groupe, comme celui des Enfants de Dieu, la discipline est la seule voie possible au salut. Elle maintient entre les différents membres du groupe une certaine cohésion et lutte contre tout esprit de révolte.
Le groupe exige une stricte obéissance aux règles internes. « Mes parents m’ont toujours élevée dans un certain laxisme : pas d’interdictions, pas de fessées… Ma vie a complètement changé quand je les ai rejoins. J’avais, dans ce groupe, face à moi, des personnes qui me disait quoi faire, quand me lever, quand manger ! » L’heure des repas est respectée avec minutie, les tâches sont réparties entre les différents membres et refuser, « murmurer » comme il était courant de le dire dans la secte des Enfants de Dieu, est inacceptable. S’opposer à ce que dit Moïse David, c’est s’opposer à Dieu. Et ce genre de comportement est durement puni.
Parmi les règles imposées par le groupe, la croyance absolue en la volonté de Dieu. Et ce, même lorsque la maladie peut toucher des membres du mouvement.
La secte et sa doctrine rythment le quotidien des membres du groupe. Il n’existe parfois plus rien en dehors de ce qu’ils connaissent au sein de la secte. Tous leurs amis et leur famille partagent les mêmes valeurs, le monde extérieur, devenu profane, ne les attire plus. Pour Gaëtan qui n’a connu que le groupe, cette omniprésence de la secte dans sa vie est flagrante : « Mes parents, mes frères et sœurs ne parlaient que de leurs croyances. Plus rien d’autre n’existait. »
« Ça allait trop loin »
En 1974, les Enfants de Dieu, répartis en 14 colonies, réunissent environ 4 000 adeptes. Le nombre de membre ne cesse d’augmenter, notamment grâce à la technique de « flirty-fishing » : la prostitution sainte.
« Pas de soutien-gorge ! Des chemisettes transparentes ! Montrez vos atouts ! C’est en cela que consistent les hameçons… Ils doivent tomber amoureux de vous ! Aucun acte n’est condamnable dès lors qu’il est accompli à des fins spirituelles, le même acte devient un péché s’il est réalisé à des fins charnelles. »
— Gerhard J. Bellinger, Encyclopédie des religions.
« Les Églises se sont fourvoyées dans leurs interprétations puritaines des Écritures. Dieu nous a montré les merveilles et la magnificence de la liberté qu’il nous a donnée et le sexe est l’un des plus grands dons à l’homme. Nous sommes libres, par sa grâce, de nous réjouir des latitudes de la liberté sexuelle. »
— Moïse David
Ce procédé mis en place en 1975 est décrit par Myriam Declair comme l’un des premiers pas vers le contrôle total des corps et l’apparition d’une doctrine de plus en plus dure, visant à détruire toutes les valeurs morales des individus. C’est le moment où la personnalité perverse et manipulatrice de Moïse David éclot.
Quelques exemples de tracts distribués aux membres de la secte des Enfants de Dieu
Le sexe est considéré comme le meilleur atout des femmes pour convertir de nouveaux adeptes. C’est aussi une manière de montrer son amour à Dieu et de prouver son altruisme et sa générosité que de partager son corps au groupe.
L’instant du déclic
Pour Gaëtan, c’est son arrivée au lycée qui va complètement bouleverser sa manière d’appréhender le groupe. En s’instruisant, en se liant d’amitié avec d’autres jeunes de son âge, il prend du recul face aux croyances de ses parents. Avec la crise d’adolescence, qui l’éloigne de son père obnubilé par la secte, arrive une remise en question totale des enseignements de l’Association Spirit. Mais c’est avant tout les médiums, et une en particulier, qui l’a élevé depuis son enfance, qui l’exaspère.
Ce genre de remises en question, Christophe l’a connue aussi. Après dix ans à respecter les règles difficiles du groupe de Sri Chinmoy, il lâche prise. « Je ne sais plus quand exactement ça s’est passé, mais je sentais que ça ne me convenait plus. J’ai brisé une ou deux règles. »
Gaëtan, en pleine réflexion, va alors la rencontrer. Elle, qui aujourd’hui vit à ses côtés, est âgée de deux ans de plus. Ils apprennent à se connaître dans les couloirs du lycée mais elle ne se doute aucunement de ce que vit Gaëtan au quotidien lorsqu’il rentre chez lui. Ce n’est que lorsque la confiance s’installe que le jeune homme se confie et lui parle de sa spiritualité étonnante.
Lorsqu’on est né dans la secte, comme Gaëtan, les motifs de rupture ne sont pas doctrinaux. L’enfant devenu adulte réalise, souvent à l’adolescence, lors d’une crise identitaire, que son univers n’est plus le seul monde véridique, il passe par une période de “choc biographique”. Il est complètement désorienté et peut songer au suicide. Mais cette période semble être une étape indispensable à son intégration dans la société.
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Sortir d’un mouvement totalitaire peut, en effet, se faire selon cinq voies différentes. Stuart A. Wright, professeur de sociologie et directeur de recherche à Lamar University en identifie trois : la sortie cachée ou discrète, qui évite à l’adepte de se justifier, la sortie déclarée aux autres membres de la secte par l’adepte et la sortie déclarative qui se fait de manière publique et justifiée, avec beaucoup d’émotion. Deux autres modalités de sorties peuvent s’ajouter à celles-ci : l’exclusion de l’adepte par le mouvement et la sortie par enlèvement (dans d’autres régions du monde).
Les adeptes passent par différents déclics, qui réveillent leur personnalité « endormie » par l’endoctrinement. « Un passage obligé » Charline Delporte, présidente du CAFFES. Face aux arguments des parents ou des proches extérieurs, rien, ou presque, ne peut atteindre le membre d’une secte s’il n’est pas déjà dans une démarche de sortie. S’il n’a pas lui-même constaté des abus : de confiance, des gestes déplacés, des actes réalisés contre sa volonté… On peut identifier cinq facteurs de sortie, donnés par Carmen Almendros, de l’Université de Madrid. Le questionnement autour de certains règlement et obligations, le style de vie restrictif au sein du groupe, le manque d’intimité, le sentiment d’être maltraité ou/et exploité, le temps passé loin ou sans contact avec le groupe.
La sortie d’un mouvement sectaire : quels sont les déclics ?
Envisager le départ
Myriam Declair a connu des abus. L’expérience, si bénéfique au départ, de la première génération des Enfants de Dieu dégénère progressivement. Son corps, objet de désir des différents hommes du groupe, ne s’accepte que soumis et silencieux. Sa conscience se déchire face à des actes qu’elle ne peut accepter. « Je me demandais souvent « mais pourquoi Dieu veut-il ça ? »sans jamais me résoudre à réellement remettre en question le groupe. » me susurre-t-elle, presque coupable.
La peur de l’inconnu, la vie en dehors de la secte, la détermine à tout accepter. Mais son instinct de mère reprend le dessus lors de la nouvelle dérive perverse de Moïse David. « Toucher aux enfants, je ne pouvais pas. C’était tout simplement inacceptable. »
Au fil de notre discussion, Myriam semblait raconter l’histoire d’une jeune fille qui avait perdu toutes ses valeurs et son estime de soi. Pourtant, en se rapprochant de l’instant du déclic, c’est son sens de l’éthique et son instinct maternel qui lui ont permis de remettre en cause ce qu’on lui racontait chaque jour, sans exception, avec une force de conviction insoutenable. D’autres auraient sans doute rebroussé chemin plus tôt, certains seraient restés, trop aveuglés par leur doctrine. Et peut-être qu’en lisant ces lignes, vous pensez que vous n’auriez pas pu accepter ce qu’elle a enduré. Myriam non plus n’aurait pas pu y croire si cette expérience ne lui avait pas coûté dix ans de sa vie.
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Romane Mugnier (illustrations : Antonin Jury)