Paléoclimatologue, Valérie Masson-Delmotte, coprésidente du groupe n°1 du Giec, a présenté, le 4 mai à l’Élysée, les trois volets du dernier rapport du Giec. Tant les connaissances du réchauffement climatique que les impacts ainsi que les solutions pour le contenir. « Les politiques publiques peuvent nous permettre d’améliorer notre santé, via la mobilité active, la lutte contre la pollution de l’air, l’alimentation », assure-t-elle.
Le dernier rapport du Giec est sorti en pleine guerre en Ukraine. Après une première partie sur les bases physiques du changement climatique, en août 2021, les scientifiques ont planché, dans les volets suivants, sur les impacts, les vulnérabilités et les adaptations du dérèglement, d’une part, puis sur les solutions pour contenir le réchauffement, de l’autre.
Silence glaçant durant la campagne électorale. Peu ont abordé le sujet… ou très rapidement. Après un mandat jugé « raté » par les associations environnementalistes, Emmanuel Macron a tenté de réparer cette erreur. Pour se faire élire, le président sortant s’est positionné, face à Marine Le Pen, comme le candidat écolo et a promis d’accélérer sur la transition. Quelques jours plus tard, le 4 mai, il a donné rendez-vous à plusieurs scientifiques et experts du climat à l’Élysée. Il le dit lui-même : « Beaucoup reste à faire » dans ce domaine.
Présente à cette entrevue, Valérie Masson-Delmotte, coprésidente du groupe n°1 du Giec, a présenté, a-t-elle raconté sur Twitter, les conclusions des trois volets du rapport. En voici un extrait.
+1,1°C entre 1850-1900 et aujourd’hui
« Où en sommes-nous aujourd’hui ? Les changements observés sont généralisés, du haut des montagnes au fond de l’océan, des tropiques aux pôles. Ces changements sont rapides, et s’intensifient. Ils sont sans précédent à l’échelle de milliers d’années – une rupture par rapport à la variabilité naturelle passée du climat. Notre meilleure estimation est que l’intégralité du réchauffement planétaire observé (+1,1°C entre 1850-1900 et la dernière décennie) est due à l’influence humaine.
Les gaz à effet de serre qui pèsent le plus sont les rejets de CO2 (avec un effet cumulatif) et le méthane (gaz à effet de serre puissant mais à durée de vie plus courte, une dizaine d’années, dégradant aussi la qualité de l’air via la formation d’ozone).
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Leurs émissions sont liées à l’utilisation des énergies fossiles, à la déforestation, et à la production alimentaire (en particulier l’élevage mondial de ruminants). Leur effet réchauffant est partiellement masqué par l’effet parasol des particules de pollution.
Ce réchauffement est le résultat de plus d’un siècle d’utilisation d’énergie, d’utilisation des terres, de structures de production et consommation, de styles de vie non soutenables.
Des événements extrêmes plus fréquents
Cette influence humaine sur le climat rend plus fréquents et plus sévères les événements extrêmes, notamment les vagues de chaleur (sur terre comme en mer), les pluies extrêmes, et les sécheresses, en France comme partout dans le monde. »
Valérie Masson-Delmotte explique que « le rythme de la montée du niveau de la mer a accéléré au cours des dernières décennies ». On observe également davantage de cyclones tropicaux très intenses. Toutes les régions de la Terre sont affectées. Il est à noter des « des perturbations dangereuses et généralisées, dans la nature, et qui affectent la vie de milliards de personnes, en dépit des efforts d’adaptation ».
Par ailleurs, « la moitié des espèces marines et terrestres étudiées (plantes et animaux) se déplacent (vers les pôles, en latitude) pour préserver des conditions leur permettant de survivre ».
Une vulnérabilité qui peut se réduire
Et de poursuivre :
« Les impacts du réchauffement, en particulier par le stress thermique et hydrique, menacent la sécurité en eau, la sécurité alimentaire, et affectent la santé (santé au travail, mortalité associée aux vagues de chaleur, certaines maladies, santé mentale).
Les enjeux liés à la justice climatique sont importants. De 3,3 à 3,6 milliards de personnes sont aujourd’hui très vulnérables face aux conséquences du changement climatique, dans les petites îles, les régions de montagne, l’Arctique, le pourtour de la Méditerranée, et les pays les moins avancés – avec des moyens de subsistance très sensibles aux aléas climatiques. »
Selon elle, on peut encore s’activer. « Cette vulnérabilité peut être réduite par la mise en place d’infrastructures et de services de base (filets de protection sociale, eau, santé, éducation) ». De manière générale, « l’action en matière d’adaptation monte en puissance, mais les progrès sont inégaux, pas assez rapides, réactifs et pas assez transformatifs. Pourtant, investir dans l’adaptation apporte de nombreux bénéfices : productivité, innovation, santé, bien-être, sécurité alimentaire, revenus et moyens de subsistance, préservation de la biodiversité ».
Prise de conscience accrue dans la société
Plus loin : « En Europe, les obstacles à l’action d’adaptation résultent d’un manque de littératie climatique, d’une faible perception de l’urgence à agir, d’un manque d’engagement des citoyens et du secteur privé, d’un manque de volonté politique, de ressources humaines et financières limitées, mais aussi du poids d’intérêts particuliers, d’habitudes, de normes culturelles et sociales. Ce sont des obstacles à surmonter pour engager réellement une action d’adaptation transformatrice. »
A l’auteur de ces lignes, Valérie Masson-Delmotte, dans un entretien accordé à Mouvement UP (devenu Respect média), fin 2021, elle expliquait que les choses pouvaient évoluer tout de même dans le bon sens.
« J’observe une prise de conscience de plus en plus profonde dans la société. Je note surtout un engagement d’une partie de la jeunesse, en particulier dans les écoles d’ingénieurs », a-t-elle noté à ce moment-là.
Le rôle important des politiques publiques
« Il y a aussi un intérêt croissant dans le secteur des entreprises » et « il y a cette perception que les choses bougent assez vite et qu’il ne faudrait pas être les derniers à s’y mettre, pour ne pas perdre en attractivité ». En revanche, elle observe « une grande difficulté pour certaines sociétés à conserver les talents, les salariés qualifiés qui ont le sens de l’intérêt général et veulent que les choses bougent là où ils travaillent ».
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Dans le champ politique, elle remarque que les élus « font face à des difficultés d’identification de leviers d’action ». Et que « de nombreux élus n’ont pas eu l’opportunité de suivre des formations approfondies sur ces enjeux, avec une réelle difficulté à les intégrer dans la prise de décision ».
Alors que faire ?
« Il faut insister, a-t-elle encore dit à Mouvement UP, sur le fait que les politiques publiques peuvent vraiment nous permettre d’améliorer notre santé, via la mobilité active, la lutte contre la pollution de l’air, l’alimentation. Il est également possible d’agir sur la maîtrise de la demande. Nous avons tout intérêt à intégrer les enjeux de sobriété pour l’énergie, les matériaux, la demande alimentaire.
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Répondre aux arguments de l’inaction
Il est possible, enfin, de répondre aux arguments des discours d’inaction. Les émissions de gaz à effet de serre de la France ne représentent qu’1 % des rejets mondiaux ? L’empreinte ne concerne pas que les émissions sur le territoire. Il faut prendre en compte les importations. La France est dans le top 10 des pays qui ont émis le plus jusqu’à présent. Toutefois, elle a une capacité à agir élevée, vu qu’elle est membre du G7. » / Philippe Lesaffre