Hausse moyenne des températures, fonte des glaciers, périodes de sècheresses, incendies… Les montagnes sont extrêmement impactées par les effets du changement climatique. Sans compter les coûts de l’énergie qui s’envolent. Quelles conséquences pour les sports d’hiver ? Nous en avons parlé avec Guillaume Desmurs, journaliste et auteur, selon lequel il faut absolument faire évoluer le modèle économique à l’œuvre.
Le journaliste Guillaume Desmurs a sorti en février 2023 chez Glénat Une histoire des stations de sports d’hiver. L’occasion rêvée de parler de l’avenir de l’activité de ski et des autres spots de montagne en France. Les stations ont à s’adapter. C’est indéniable ! Or, pour l’heure, les acteurs, y compris politiques, ferment les yeux…
Le Zéphyr : Le ski a toujours existé, tu l’écris dans ton livre, mais pas sous sa forme moderne…
Guillaume Desmurs : Au départ, le ski ce n’est pas une action ludique ou sportive, c’est pour se déplacer sur la neige, chasser, s’occuper des troupeaux. Les personnes utilisaient des espèces de raquettes glissantes. Peut-être s’amusaient-elles à glisser, mais le ski n’était pas conçu pour ce type de pratique…
Ensuite, les gens skiaient pour faire la guerre notamment. La première mention du ski de loisir apparaît sur le territoire actuel de la Slovénie, puis surtout en Norvège. C’est là que naissent les premières compétitions de sports d’hiver, à partir de la révolution industrielle. L’idée apparaît de se faire plaisir en glissant, ceux qui pratiquaient cherchaient à avoir des sensations et réaliser une performance… En Norvège, puis bientôt dans le reste de l’Europe, grâce aux militaires qui découvrent le ski, au début du 20e siècle. Le plastique va remplacer le bois dans les années 60.
« On voit mieux les menaces existentielles qui pèsent »
C’est durant cette décennie que les grandes stations de ski sont créées (La Plagne, Les Menuires, etc.). L’activité, de plus en plus populaire, va se propager, aussi grâce à l’implication de l’État, via le plan neige. L’idée : que la France concurrence l’Autriche et la Suisse qui, à l’origine, détiennent les plus prestigieuses stations de ski. Le modèle économique imaginé durant les Trente Glorieuses, reposant sur les sports d’hiver, le ski alpin, va transformer les territoires.
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Cependant, aujourd’hui, le climat se réchauffe, et les territoires de montagne en subissent les conséquences… Quels sont les principaux défis auxquels les stations font face ?
Depuis la pandémie, qui a été un accélérateur, on voit mieux les menaces existentielles qui pèsent sur notre modèle économique. Récemment, avec les fortes chaleurs, cela s’est encore accéléré, avec notamment le manque de neige, qui est devenue une ressource de plus en plus aléatoire. Nous avons commencé à parler de « transition » tout récemment. Ce mot n’était pas du tout employé auparavant. En 2016, par exemple, je rédigeais un article sur « les stations en pente sèche », et je n’ai pas utilisé ce terme… Je parlais alors de « fragilité », de « dépendance de la neige ». Depuis, cela a encore bougé et, entre-temps, d’autres problèmes ont surgi, telle la menace des sécheresses des territoires. De nos jours, transporter de la neige par camion en vue de la coupe du monde de biathlon choque… Mais cette pratique n’est pas nouvelle, loin de là… Il y a des choses qu’on n’accepte plus. Il faut donc se transformer avec les règles du jeu du monde.
Ceci étant dit, selon moi, il y a une plus grande menace.
Le coût de l’énergie, grande menace
Laquelle ?
Le coût de l’énergie, qui s’envole, en cette période d’inflation… La question de la rentabilité n’est pas à négliger. Les dépenses pour chauffer les immeubles, pour faire fonctionner les infrastructures s’élèvent, et c’est une menace importante pour de nombreuses stations, existentielle même…
En outre, il faut mentionner la mobilité. La plupart des touristes se déplacent en voiture et en avion, comme les personnes qui se rendent à leur travail, puisque sans solutions de transports en commun… Cela touche aussi les habitants et les salariés des stations qui n’ont pas les moyens de vivre sur place, qui s’éloignent, et les trajets en voitures se multiplient. À Courchevel, on compte plus de 6 000 véhicules qui montent chaque jour !
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Et il y a aussi une problématique liée à l’immobilier…
De nombreuses communes perdent en effet des habitants chaque année, sachant que la plupart des résidences sont secondaires (de 85 à 90 % des logements sur une commune de station de ski !). Donc les services, à l’année, manquent à l’appel… Pour autant, ça construit sans cesse. Je te mets au défi de me citer une station dans laquelle il n’y a pas de projet de construction immobilière de résidence – haut de gamme, bien sûr – pour des touristes très fortunés, qui viennent d’Angleterre par exemple. Une montée en gamme qui arrange tout le monde. Notamment la commune. C’est une véritable fuite en avant qui est à l’œuvre depuis le Covid-19…
« Les municipalités ne veulent pas arrêter le ski »
Du coup, quelle est la solution ?
Il faut changer de modèle économique. Mais ce n’est pas à l’ordre du jour des décideurs. Il y a une seule station qui a décidé de s’engager sérieusement dans une remise en question de son modèle économique, c’est Métabief. Elle s’est donné dix ans pour trouver le plan B. Pour les autres, c’est le déni de la part des décideurs… alors que sur le terrain de plus en plus de professionnels réalisent que les revenus liés au ski vont diminuer. Je note encore beaucoup de résistance de la part des acteurs principaux (dont les hommes politiques).
Ces derniers, le modèle, ils veulent le préserver coûte que coûte, et ils se crispent quand tu abordes la question… Les municipalités ne veulent pas cesser le ski. Le ski, c’est de l’emploi, me rétorque-t-on… L’être humain résiste bien au changement… Les communes se persuadent que l’enneigement restera suffisant pour poursuivre les activités comme si de rien n’était, dans les trente prochaines années… C’est une idiotie dangereuse puisqu’elle ralentit la nécessaire adaptation.
Il faut être lucide, faire une pause pause et préparer sérieusement la suite… / Propos recueillis par Philippe Lesaffre