En 2022, l’usine Nestlé Purina de Veauche, dans le département de la Loire, prévoyait d’installer des chaudières biomasse, menaçant ainsi les forêts de la région. Mais deux salariés se sont mobilisés avec l’aide du syndicat Printemps écologique afin de convaincre leur employeur d’abandonner le projet. Mission accomplie.

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Chaque matin, Frédéric Madelon enfourche son vélo et s’engage sur les sentiers boisés qui relient la ville de Saint-Paul-en-Cornillon à Veauche, dans la Loire. On le sent porté par le chant des oiseaux. Son itinéraire le conduit à travers une forêt de feuillus et de résineux abritant une biodiversité qu’il connaît depuis l’enfance. Cette route, que le quinquagénaire emprunte quotidiennement pour se rendre au travail, lui rappelle sans cesse que ce paysage aurait pu disparaître sans son intervention. En 2022, cette nature qu’il connaît si bien a failli être emportée par un projet industriel de l’usine Nestlé Purina de Veauche, spécialisée dans la fabrication de pâtées pour chats.

Salarié de l’usine depuis plus de vingt ans en tant qu’informaticien et automaticien, il s’en souvient bien. Immédiatement, cela l’a révolté. « Nestlé venait d’annoncer son plan mondial pour 2050, visant à décarboner ses sites, comme celui de Veauche, explique Frédéric. L’entreprise avait l’intention de remplacer deux chaudières à gaz par deux chaudières à biomasse. » Ce qui aurait menacé les nombreuses forêts situées autour de l’usine, installée en 1981 en plein cœur du Massif central. Un projet inquiétant : « L’usine avait prévu de puiser du bois dans un rayon de 100 kilomètres autour de l’usine, mettant ainsi sous pression toute la ressource forestière des monts du Forez, du Pilat ou du Velay », alerte-t-il.

Un plan qui aurait défiguré la forêt

L’entreprise avait eu pour objectif de « remplacer l’énergie fossile par celle du bois, car celle-ci était considérée comme une énergie “pauvre en émissions » », lâche-t-il. Or les impacts auraient été tout de même énormes. Afin d’obtenir 70 tonnes de bois, la direction comptait abattre plus d’un hectare de forêt par jour, soit l’équivalent d’un terrain de football… Le tout pour « stériliser et chauffer de la nourriture pour chats », s’indigne Frédéric.

Sentant le danger arriver, Frédéric se lance dans la bataille : « Je me suis dit que si je ne faisais rien, c’était comme être complice. » Il  n’est pas resté seul longtemps dans son combat contre le projet de chaudières biomasse. Rapidement, il est rejoint par Alexandre Joly, salarié de Nestlé depuis 17 ans et ancien syndicaliste, tout aussi préoccupé par l’impact écologique du projet. À eux deux, ils ont formé un duo qu’Alexandre décrit comme « très complémentaire », alliant expertise technique et expérience syndicale.

Conscients que leur contestation devait être entendue de manière légitime, ils choisissent à ce moment de s’engager sur la voie syndicale. « C’était le moyen le plus direct de faire remonter notre désaccord et de poser des questions », glisse Frédéric. En lisant un article du Monde, ils découvrent Printemps écologique, un jeune syndicat créé en 2020, qui milite pour une transformation des entreprises par le dialogue social.

« Gagner du poids »

En novembre 2022, les deux employés prennent contact avec Anne Le Corre, cofondatrice du mouvement. La rencontre marque le début d’une collaboration étroite. « On leur a apporté du soutien moral, on les a rassurés sur leur intuition, raconte-t-elle, et on les a aidés à creuser le sujet techniquement. » Le projet était alors soutenu par l’ADEME et « encouragé » par l’exécutif, comme l’a précisé Frédéric. Ainsi, il devenait urgent de construire un contre-argumentaire solide.

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Le jeune syndicat met Frédéric et Alexandre en relation avec des collectifs capables de leur apporter une expertise technique, comme le collectif Pour un réveil écologique. Ce groupe de jeunes bénévoles, spécialisés dans l’analyse des impacts industriels, produit à leur demande un document d’alerte. Ils y listent les failles du projet et avancent des premières pistes d’alternatives : réduction des pertes énergétiques, nettoyage des tuyaux, optimisation des systèmes existants… Une base essentielle pour crédibiliser la contestation.

« Mais pour convaincre la direction, il fallait encore gagner du poids », dit-il. Les deux salariés lancent alors une pétition en interne, avec le soutien d’autres syndicats comme la CGT. « C’est la démarche la plus efficace qu’on ait menée », estime Frédéric. La pétition recueille rapidement une large majorité de signatures parmi les employés de l’usine.

Une victoire citoyenne

Le mouvement ne s’arrête pas là. Frédéric et Alexandre saisissent ensuite le comité social et économique (CSE) pour commander une expertise indépendante auprès du cabinet Carbone 4, référence en matière de transition énergétique. Cette fois, il ne s’agit pas seulement de dire non, mais de formuler une alternative.

« On a mis sur la table une solution crédible : une pompe à chaleur haute température capable de récupérer la chaleur résiduelle du processus de production », détaille Frédéric. Une technologie circulaire et plus sobre permettant à l’usine de réduire son empreinte carbone sans mettre une pression excessive sur les forêts. « Grâce à ce système, on capte l’énergie perdue à chaque étape du refroidissement pour la réutiliser et limiter les besoins externes. »

Après deux ans de lutte, la mobilisation porte ses fruits. En 2024, Nestlé annonce au final l’abandon définitif du projet. Et surtout, l’entreprise cesse d’évoquer la biomasse comme solution miracle dans son plan mondial « Net Zéro ». Frédéric se félicite d’une telle prise de conscience de la part de l’usine : « On a remué beaucoup de monde, jusque très haut dans la hiérarchie. Et on a obtenu gain de cause », affirme-t-il en souriant. Une victoire syndicale exemplaire, obtenue par la force du collectif, selon lui : « On n’aurait jamais pu réussir sans le syndicat Printemps écologique. »

« La forêt se tait »

Alors qu’il nous conduit près d’une forêt aux abords d’Ambert, côté Puy-de-Dôme, l’ampleur de son combat prend tout son sens. Sur les hauteurs de la ville, Frédéric Madelon nous emmène dans ce qu’il reste d’une forêt autrefois foisonnante. Sur 35 hectares, plus un arbre ne se dresse. Pour Frédéric, la douleur reste vive. « À chaque fois que je reviens ici, je suis abasourdi par le silence qui règne », souffle-t-il, les yeux perdus dans le vide végétal.

C’est ici qu’en 2022, il avait été convié à assister à l’une des premières coupes destinées à alimenter le projet de chaudière de biomasse de l’usine Nestlé. Ce qu’il a découvert le marquera à jamais. « C’était désert. Plus de chants d’oiseaux, un sol éventré. Ce jour-là, j’ai compris pourquoi notre combat était essentiel. » Cette coupe rase, opérée par l’entreprise Idex, devait « produire » l’équivalent d’une semaine d’énergie. Elle a surtout laissé derrière elle un silence assourdissant.

Frédéric se rappelle des promesses faites à l’époque : pas de coupe rase, et une replantation intelligente. « Nestlé a fait tout le contraire en vue du chantier. L’usine a rasé, puis replanté du résineux. Mais nos forêts doivent rester un mélange complexe de feuillus et de résineux. Ce n’est pas qu’une question d’arbres, c’est un écosystème vieux de milliers d’années. »

Selon lui, il faudra plus de cinquante ans avant que la vie reprenne ses droits. Or, la biodiversité ne se reconstituera pas à l’identique. « Aujourd’hui, on s’émerveille devant une abeille ou un papillon. Quand j’étais enfant, il y avait des insectes partout, ce n’est plus le cas aujourd’hui. La forêt est en train de se taire. » / Aurélie Peyrache

Une bataille syndicale au cœur du documentaire Le Nid et l’Oiseau, de Ewen Barraud Le Nid et l’Oiseau, un documentaire réalisé par Ewen Barraud et sorti en mars 2025, retrace de l’intérieur la mobilisation syndicale contre le projet de chaudière de biomasse de Nestlé à Veauche. Le film est porté et soutenu par le syndicat Printemps écologique. Des projections sont organisées dans certaines salles, dont la liste est disponible sur le site de l’organisation syndicale.


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