On a rencontré Pascal, naufragé de la vie. Il tente de survivre à deux pas d’une gare lyonnaise, dort à l’intérieur d’une vieille voiture, en compagnie de son chien.

les couvertures du Zéphyr

Passer le cap des quarante-cinq printemps, voir fleurir les efforts d’une vie, accompagner ses enfants vers l’âge adulte et tout voir s’effondrer… Cette trajectoire, sous la forme d’une parabole du malheur, c’est celle de Pascal (c’est un prénom d’emprunt). Il y a trois ans, ce Lyonnais était encore le PDG d’une petite agence de sécurité privée. Sans rouler sur l’or, il permettait à une douzaine d’employés de vivre correctement et assurait un avenir à ses deux rejetons.

De son propre aveu, cette époque était sans doute « la plus belle » de toute son existence. Mais la crise, l’écroulement d’un marché jusqu’ici lucratif et la disparition de clients historiques a sonné le glas de sa petite entreprise. En quelques mois, la chute a été vertigineuse. « Tu peux vivre un conte de fées, regarder tes gosses grandir, partir bosser le matin en sachant que tu vas contribuer à leur confort et, le lendemain, te retrouver à la rue seul et sans un sou », affirme-t-il. Avec la fermeture de sa société, les créanciers s’en sont donnés à cœur joie. « Ma maison était mise en gage et, bien évidemment, elle a sauté avec le reste », précise-t-il en évoquant les circonstances qui l’ont mené à la rue.

SDF à Lyon

Crédit : Philippe Lesaffre

Ne pas perdre pied

La mine blafarde, Pascal passe désormais ses journées autour de sa voiture. Le monospace qu’il a conservé de l’époque tient lieu de refuge pour lui et son chien, un jeune rottweiler doux comme un agneau. Pour les naufragés de la rue, la présence d’animaux est une sécurité ; une double sécurité même. Outre le fait de contribuer à la sécurité de leur maître, ils leur permettent parfois de garder contact avec une certaine réalité. Ne pas perdre pied, ne pas s’isoler dans son malheur, penser à cet « autre » qui égraine les heures maudites avec son propriétaire…

Selon Pascal, il y aurait trois fois plus d’agressions de SDF quand ces derniers n’ont pas d’animaux de compagnie. Pour autant, cette statistique ne justifie pas totalement la présence de son chien. Avec le temps, ce jeune mâle est devenu son confident, son protecteur ainsi que son pote de virées. La sédentarité tue en sclérosant le cœur et l’esprit. Pascal le sait et tient encore à sa santé mentale, comme il le dit en souriant.

Pascal nous ouvre la porte de sa voiture qui lui sert de logement

Pascal nous ouvre la porte de sa voiture qui lui sert de logement

Les regards indifférents

Dire que la vie est rude tient de l’euphémisme de bas étages. Bien sûr qu’elle l’est ! Par tous les temps, l’homme et son chien tentent de trouver de quoi subsister. S’ils ont élu domicile près des quais de la gare Lyon-Pare-Dieu, Pascal a signalé leur présence par des panneaux de carton accrochés aux endroits stratégiques. On y lit la détresse d’un homme.

Et malgré la teneur des messages, bien peu de monde se hasarde à toquer à la vitre de son monospace vert émeraude pour prendre des nouvelles, déposer un sandwich ou déposer quelques pièces de monnaie. « Il y a plus froid que les courants d’air, ici. Beaucoup plus froid  », dit-il en suivant du regard deux personnes s’éloignant en toute hâte.

Il arrive parfois que des types mal intentionnés s’en prennent à sa voiture à défaut de lui faire face. Malgré ses conditions de vie, Pascal s’entretient et tente de garder la forme. Dans le quartier, le quadra est connu et personne ne se risquerait à l’affronter en combat singulier. La lâcheté est donc le dernier recours et, dans ces cas-là, c’est la voiture qui en pâtit. Pneus crevés, rétroviseurs arrachés, vitres fracassées… Les attaques sont régulières et toujours nocturnes. Incapable de trouver le sommeil le jour, Pascal doit également rester sur ses gardes la nuit tombée. « Question d’habitude. J’ai fait ça une vingtaine d’années », précise-t-il.

Pascal nous explique comment le sdf qu'il est parvient à survivre

Pascal nous explique comment il est parvient à survivre

Un petit studio

Plus qu’une simple voiture, le monospace est devenu un petit studio. Des sièges arrière jusqu’au fond du coffre, tout a été pensé dans l’urgence pour accueillir Pascal et son chien. Un lit assez large pour les accueillir, un petit réchaud, quelques livres, de quoi s’occuper l’esprit et s’éclaire… Le confort est inexistant, mais l’ancien chef d’entreprise peut espérer ne pas dormir la joue contre le bitume. Pour lui, c’est l’essentiel. Plus qu’une question pratique, c’est un message au monde. Tout n’est peut-être pas perdu.

Et s’il a préféré cacher son identité pour éviter que ses enfants sachent ce qui lui arrive, il n’en est pas moins fier de la résistance dont il fait preuve chaque jour. « Tout ce qui me reste, c’est ma fierté. Je ne lâche rien. Je ne sombre pas dans l’alcool. Je ne fais pas de conneries. Tout ce que je peux faire, c’est m’accrocher et espérer m’en sortir un jour », dit-il en martelant la carrosserie de son véhicule. Ses deux enfants, quant à eux, vivent en Isère avec leur mère. Après le naufrage de l’entreprise et la saisie de leur maison, Pascal et sa femme se sont séparés.

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Les naufragés

Autour de la gare, nombre de réfugiés se sont installés. Pascal les observe du coin de l’œil sans se mêler à eux. « Ils ont leurs propres malheurs. Ce ne sont pas les miens. Ils ne me dérangent pas et je ne les dérange pas en retour. Voilà tout  », signale-t-il. Au fur et à mesure, il voit affluer de plus en plus de monde. Certains soirs, des dizaines de personnes se rassemblent sur le parvis et aux abords de la gare pour tenter d’avoir des nouvelles d’amis restés en Syrie ou dans un pays en ruine.

Quelques associations viennent leur rendre visite pour parer au plus pressé, mais la situation reste critique. Régulièrement, des patrouilles de police viennent les disperser. Comme si quelques coups de matraque et des menaces pouvaient régler les problèmes de ces malheureux… Pascal, lui, n’est que rarement inquiété.

Les pouvoirs publics le connaissent, savent que son véhicule peut rouler et, au besoin, partir vers une nouvelle place de stationnement. Alors quand une voiture de patrouille se porte à la hauteur de sa vitre avant, c’est un salut amical qui est échangé. Un gage de sécurité toute relative.

Des trains, des lignes pour survivre ?

Terres de l’oubli

Demain, c’est loin. S’il s’accroche à l’espoir de voir le bout du tunnel, Pascal sait qu’il ne tiendra pas éternellement à ce rythme. Le froid, la promiscuité, l’inconfort et les embûches qu’induit une vie passée dans la rue, auront tôt ou tard raison de sa détermination. En attendant, il continue de guetter les regards bienveillants, raconte son histoire à qui veut bien l’entendre, rafraîchit les panneaux de carton gondolés par la dernière averse et s’occupe de son compagnon du mieux qu’il peut. « Tout ce que je récupère, je le réinvestis en croquettes. Mon chien, c’est tout ce que j’ai. J’y tiens plus qu’à moi-même. »

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Et si, par hasard, ses enfants passaient par là et surprenaient leur père ? Pascal se pose souvent cette question sans toutefois trouver une réponse toute faite. Sans doute irait-il vers eux pour leur raconter ces pages de leur histoire commune qu’ils n’ont pas pu lire. « Je leur parlerai sans doute de résistance et de détermination. C’est ce qui me fait tenir. » La suite de son odyssée sur les terres de l’oubli reste à écrire. Demain revêt déjà une part d’éternité. Pour Pascal, comme pour tous les naufragés, seul compte le jour qui vient… / Jérémy Felkowski