Son habitat naturel s’est réduit comme peau de chagrin en France. Mais les acteurs veillent au grain. Depuis 2020, la DREAL Nouvelle-Aquitaine coordonne un troisième plan national d’actions piloté par la LPO afin de préserver les populations de cet oiseau en danger qui niche au sol. Cyrille Poirel, de la LPO Poitou-Charentes, nous explique.

T’es qui toi ?

L’outarde canepetière a besoin d’espace et d’une vue dégagée. Le mieux, c’est qu’il n’y ait ni arbre, ni bâtiment à l’horizon. Manière de se protéger de potentiels prédateurs, sans doute des chats errants ou des renards qui courent après les poussins. La femelle niche au sol. En vue de se reproduire, elle recherche des prairies situées dans des plaines. « Or, avec la spécialisation de l’agriculture, les surfaces de ce type ont été rayées de la carte en France, précise Cyrille Poirel, de la LPO Poitou-Charentes. Il ne reste guère que la plaine de la Crau, dans les Bouches-du-Rhône, qui s’apparente à de la steppe. » Son habitat naturel s’est réduit comme peau de chagrin, et l’outarde a disparu de nombreuses régions. Jadis, on en apercevait jusque dans les plaines du Nord-Est (Marne), ou encore au sein du Bassin parisien, mais elle s’est envolée.

Le mâle, on arrive à le compter en période nuptiale, car il parade, chante, se fait entendre par un son  »prtttt » émis à intervalles réguliers. Son plumage, à ce moment-là, se distingue de la femelle, brun clair sur le dos, blanc sur le ventre. On lui trouve un collier noir entrecoupé de deux bandes blanches.

2 noyaux de populations en France

En France, il reste deux noyaux de populations. Un premier regroupe au niveau du pourtour méditerranéen 2 125 mâles sédentaires (selon la dernière enquête datant de 2020). Un second composé de 325 mâles a trouvé refuge dans le Centre-Ouest du pays, côté Poitou-Charentes, Maine-et-Loire ou encore Indre-et-Loire. Ces individus migrent à l’automne dans la péninsule ibérique avant de revenir en avril. « La population des outardes migratrices a chuté de 95 % depuis les années 70. »

Une femelle @ Johan Tillet / LPO

Si 20 % des outardes du Sud-Est de la France évoluent sur des terrains aéroportuaires, la plupart ont élu domicile au sein de plaines à vocation agricole. Dans les années 60, les petites surfaces de polyculture et d’élevage constituaient « un habitat propice ». Toutefois, celles-ci ont souvent été remplacées par de vastes étendues de céréales (blé, orge, tournesol ou maïs), des espaces de production avec de rares jachères, et donc peu hospitalières pour ces volatiles.

Lire aussi : « La Femme corneille » : sur les traces d’oiseaux à l’intelligence folle

Les dangers guettent

Même si certains exploitants cultivent des plantes fourragères, à l’instar de la luzerne, les outardes font face à un autre danger : « Les pratiques de fauche sont plus destructrices qu’auparavant. Très peu d’individus ont le réflexe de s’envoler juste avant la coupe. Les femelles ne quittent pas le nid et misent sur le camouflage, mais se font piéger. Les oiseaux meurent sur le coup sans que les exploitants ne s’en rendent compte. » Conséquence : lors des comptages, la LPO compte sur certains territoires quatre mâles pour une femelle.

___________________________________________________________________________

Ne ratez rien de l'actualité du Zéphyr

___________________________________________________________________________

Autre défi, et non des moindres. Au vu de l’usage massif d’intrants chimiques, le sol s’appauvrit et la ressource alimentaire de ce petit échassier trapu se raréfie. Les insectes tendent à disparaître des herbes hautes. Or, les femelles, pour nourrir les petits, attrapent chaque jour des centaines d’orthoptères tels des criquets. Mais c’est de plus en plus difficile d’y parvenir… La pression anthropique s’accentue. L’urbanisation et les constructions humaines, que ce soit les routes ou les lignes à grande vitesse, transforment les paysages agricoles et fragmentent l’habitat de multiples espèces d’oiseaux. « Ils risquent des collisions en traversant les parcs éoliens ou les lignes électriques. Les mégabassines, ces aménagements surélevés au profit d’une minorité d’agriculteurs irrigants, représentent aussi des obstacles visuels pour les outardes. »

Sensibiliser les exploitants

Néanmoins, il ne s’agit pas de « blâmer » les exploitants, mais de trouver des solutions afin de protéger les populations là où c’est possible. Dès la fin des années 90, des programmes de conservation et de restauration (dont Life) ont été mis en place et ont permis entre autres de mieux comprendre les habitudes de l’animal, issu de la famille des otididés. Depuis 2020, la DREAL Nouvelle-Aquitaine coordonne un troisième plan national d’actions (PNA) et a désigné la LPO pour l’animer jusqu’à son terme en 2029. Depuis Poitiers, Cyrille Poirel s’en charge, lui qui observe l’outarde depuis plus de dix ans dans le département de la Vienne.

Lire aussi : Serial cocheur : Antoine Rougeron sur les traces des oiseaux rares

Les actions consistent notamment à cartographier, préserver et à restaurer l’habitat de l’outarde, en particulier dans des terrains privés à vocation agricole. « Pour y arriver, l’idée est d’échanger avec des agriculteurs pour recréer, grâce au dispositif des mesures agro-environnementales, des surfaces propices à la nidification des femelles puis à l’alimentation des poussins. » L’idée c’est de les sensibiliser pour faire évoluer les pratiques de fauche ou encore limiter l’utilisation de pesticides pour maximiser les ressources alimentaires de l’outarde. « Nous avons signé des contrats (des mesures agro-environnementales liées à la PAC) avec 900 exploitants. » La LPO cherche aussi, via l’acquisition de surfaces, à implanter des prairies.

___________________________________________________________________________

Faites un don pour soutenir Le Zéphyr

___________________________________________________________________________

Préserver l’habitat… et puis sauver les jeunes autant que possible. « Avec des GPS sur les femelles ou avec des drones équipés de caméra thermique, on arrive à trouver puis protéger quelques nids. » Et ainsi les poussins pourront vivre sur la plaine. / Philippe Lesaffre