En 2014, Maryse Pham, aidée d’une poignée d’amis, fonde Em : une association qui développe des micro-projets au Vietnam, à destination des enfants en difficulté.
Si elle revêt toutes les caractéristiques d’une structure classique de solidarité internationale, Em puise l’essence de son originalité dans l’histoire de sa présidente. Consciente que, sur le papier, son concept n’est pas des plus innovants, Maryse Pham assure en souriant « qu’il restera toujours des enfants à aimer ».
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Parallèlement à la vente d’articles d’artisanat, la collecte de denrées de première nécessité et les appels aux dons, Em a su constituer un réseau de relais au cœur même des villes du Vietnam. Ces relais jouant le rôle de vigie, ils détectent les situations où l’intervention de la structure est nécessaire, s’assurent de la bonne utilisation des fonds engagés, accompagnent les groupes venus en appui pour des projets ponctuels.
Apporter du riz et des bonbons… Le geste peut paraître dérisoire à l’aune des projets pharaoniques des grandes ONG. Mais, face au dénuement des enfants cloîtrés entre les murs glaciaux d’un orphelinat de province, chaque geste compte. Et Maryse s’y emploie. Après des semaines de préparation, de prises de renseignements minutieuses, de détection et de coordination, elle part pour plusieurs semaines en emportant des colis de vêtements et de denrées de première nécessité. Seule.
La guerre
Maryse porte en elle la trace indélébile d’une cicatrice, celle d’une enfance soudainement interrompue par le fracas de la guerre. Née en mai 1958 dans le sud du Vietnam, elle grandit dans un quartier populaire de Than My Tai. Son quotidien est fait des petits bonheurs de son temps. Mais si elle passe une enfance calme à l’ombre des manguiers, la quiétude de la jeune fille est troublée par un sentiment tenace. Autour d’elle, le malheur et la misère sont partout. Absolument partout. Alors que ses camarades s’offrent une virée dans la campagne environnante, Maryse enfourche son vélo pour visiter les orphelinats et se pencher sur les maux de son prochain.
Elle n’a pas encore 15 ans. Mais elle forge déjà l’essence d’une vie. « Les paysages si magnifiques soient-ils n’ont pas pu me cacher le sourire triste des enfants démunis et des adultes dignes dans la misère. » Un léger voile vient obscurcir son regard lorsqu’elle se remémore les pleurs et l’implacable travail de sape de l’histoire sur les simples mortels. « Tant de gens pleurent autour de moi en tendant leur main. Mon argent de poche ne suffit pas, voler de l’argent à ma grand-mère ne suffit pas, voler du riz de chez moi ne suffit pas, pleurer et prier avec eux ne suffit pas. »
Retour aux sources
Avril 1975, la capitale d’un pays en guerre tombe aux mains des communistes. Hô-Chi-Minh-Ville naît sur les cendres de Saïgon et le Vietnam met un point final au chapitre des colonies françaises. À cet instant, le régime pro-américain du sud cède sous les coups des communistes au nord. La dernière contre-offensive est la bonne. Le sud s’incline et précipite avec lui la fin d’une époque. Comme des centaines de milliers de Vietnamiens de nationalité française, Maryse est évacuée en 1976.
Elle ne reverra son pays que 35 ans plus tard. « Je suis partie avec le sentiment tenace d’abandonner tous ces petits. Et, à mon retour, je ne savais pas comment me situer par rapport aux gens. Étais-je une touriste ou une autochtone ? » En 2010, lorsqu’elle revient dans sa ville natale, Maryse Pham échange, parle, interroge. Elle reconstitue peu à peu le puzzle d’une histoire commune.
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Petit frère
Em est un mot aux sens multiples. En vietnamien, il renvoie à l’idée de protection, de solidarité et de fraternité. « Dans ma langue, Em signifie petit frère et petite sœur. Et, dans ce contexte, le geste suit l’appellation. Ce mot n’est pas qu’une expression. Si l’on se permet d’appeler quelqu’un Em, il en va de notre devoir de l’aider. » À quelque 10 000 kilomètres de Hô-Chi-Minh-Ville, l’expression a tout d’une injonction. « Aime », comme un ordre intimé face aux absurdités du monde.
« Les gens m’ont raconté leurs histoires de guerre, de vie et de mort, entrecoupées de larmes et de rires. Leurs vies, ils les racontent avec fierté, pudeur et espoir. Cet espoir, il est incarné par leurs enfants. » Tout, dans l’identité de l’association, rappelle la symbolique de son engagement. Les plumes d’aquarelle que porte l’aigrette blanche du logo en attestent. Malgré la boue des rizières, l’oiseau s’envole d’un nénuphar, offrant aux chanceux le spectacle de son plumage immaculé. Ce plumage et sa blancheur, c’est à la dignité des plus démunis qu’ils renvoient.
Le Vietnam
Depuis plusieurs années, la situation économique du pays tend à s’améliorer. À la faveur d’une conjoncture propice, le Vietnam s’est progressivement ouvert. Auteur de deux livres sur l’évolution de l’ancien protectorat français, Pierre Vinard affirme que « c’est à partir de 1986 et l’instauration de la loi dite du Doi Moi que l’initiative privée et les investissements étrangers ont pu être autorisés ». L’industrie et les services se sont fortement développés. Deuxième exportateur de café, troisième pour le riz, le Vietnam est en plein boum.
Malgré cela, des milliers d’enfants errent dans les rues des grandes villes. Les mieux lotis restent cloîtrés entre les murs délabrés d’orphelinats froids. À l’image de Em, plusieurs associations agissent directement sur le terrain. Une action effectuée sous le regard plutôt bienveillant d’autorités qui voient, au travers de ces projets, une compensation de leurs propres lacunes. / Jérémy Felkowski (crédits photos : Em)