La Déclaration européenne des droits de l’animal (DEDA), portée par un collectif de chercheurs en droits animaliers, a été lancée en février dernier. Elle est soutenue par des organisations de défense du vivant, à l’instar de la Fondation 30 Millions d’Amis, de la Fondation Brigitte Bardot, de L214 et de One Voice.

Le coordinateur de cette DEDA, le professeur agrégé de droit privé et de sciences criminelles Jean-Pierre Marguénaud, a répondu à nos questions. « Les sondages indiquent toujours une opinion publique très sensible à la cause animale », dit-il. Or, selon le chercheur à l’université de Montpellier, « il demeure quasiment impossible de passer à des dispositifs concrets » de protection. Il est temps d’y remédier.

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Le Zéphyr fait partie des signataires de la DEDA. Retrouvez-là en entier, plus bas.

Le Zéphyr : Comment en êtes-vous arrivé à coordonner cette Déclaration européenne des droits des animaux (DEDA) ?

Jean-Pierre Marguénaud :  Très tôt, je me suis intéressé au droit animalier, et j’ai soutenu une thèse sur le sujet en 1987. Naturellement, je me suis retrouvé en tête de proue du projet. J’ai réussi à intéresser à la chose quelques collègues juristes pour former le collectif. Nous étions trois à rédiger la DEDA, Jacques LeroySéverine Nadaud et moi-même et six pour la relire et l’enrichir notamment d’un préambule.

Tout cela s’est fait à distance, étant entendu qu’il n’y aurait aucun budget. Cet aboutissement vient à la suite d’autres réalisations dans la même idée, entre autres : en 2009, la création de la Revue semestrielle du droit animalier, en 2016, la création du premier diplôme universitaire en droit animalier à Brive-la-Gaillarde.

« Faire en sorte que la CEDH, qui a déjà régulé des pratiques violentes envers les animaux comme la chasse à courre ou les chiens errants, dispose d’un point d’appui plus solide pour pouvoir s’engager davantage en faveur des animaux »

D’où vous vient votre passion pour le droit des animaux ?

Je suis né dans une ferme dans le Limousin et descends d’agriculteurs sur plusieurs générations. Quand je me suis résolu à faire une thèse, j’ai proposé ce sujet qui était à l’époque considéré comme marginal et folklorique, mais dont je connaissais la plupart des aspects depuis ma plus tendre enfance.

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Quand et comment avez-vous eu l’idée de créer cette DEDA ?

En 2020, j’ai été contacté par l’assistante parlementaire d’un député européen pour les seconder dans un projet. Ils voulaient supprimer la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) pour la remplacer, en substance, par une Cour européenne des peuples, de la nature et des animaux. Supprimer une institution déjà attaquée de toute part pour la remplacer par une autre encore plus provocatrice me semblait un peu trop poussé. En revanche, le principe m’est resté et m’a donné l’idée de faire en sorte que la CEDH, qui a déjà régulé des pratiques violentes envers les animaux comme la chasse à courre ou les chiens errants, dispose d’un point d’appui plus solide pour pouvoir s’engager davantage en faveur des animaux. 

Votre projet est-il inspiré de la CEDH ?

Oui, notre projet conjugue les compétences en droit animalier avec les compétences en droit de l’Homme. Nous nous intéressons en particulier aux articles les plus importants de la CEDH qui prohibent la torture, l’esclavage, la servitude et le travail forcé. Ces articles ne visent pas, comme le font les autres, « toute personne » mais « nul » : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » ou encore : « Nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude. »

Les animaux qui ne sont pas des personnes pourraient être compris dans le mot « nul » et bénéficier à partir de ces deux articles d’une protection contre les pires sévices qui leurs sont infligés. 

Jusque-là, quelles sont les peines existantes dans le droit européen pour protéger les animaux ?

Les deux droits européens que sont le droit de l’Union européenne et le droit du Conseil de l’Europe dont je passe pour être l’un des spécialistes français ne prononcent pas directement de peines. En revanche, les États peuvent être sanctionnés par la Cour de Justice de l’Union européenne. Cela arrive en cas de manquement aux règles du droit de l’Union européenne qui protègent les animaux. Les États peuvent également être condamnés par la Cour européenne des Droits de l’Homme en cas de violation des droits garantis par la CEDH. 

Et au niveau des États ?

En France, beaucoup de sanctions pénales très fortes répriment les actes de cruauté et les sévices graves envers les animaux. De ce fait, presque tous les jours, des gens sont condamnés pour des actes de délit de cruauté. Il y a eu un déclic au moment où le code civil a reconnu les animaux comme des êtres vivants dotés de sensibilités, il y a une dizaine d’années. Depuis, les poursuites et les sanctions sont de plus en plus lourdes et nombreuses, allant jusqu’à des peines d’emprisonnement, ce qui était impensable il y a dix ou quinze ans.

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« La protection des animaux ne doit pas être qu’administrative et pénale mais aussi civile et juridictionnelle »

Quels sont les messages forts, les objectifs de cette déclaration ?

Le message fort de la déclaration est avant tout le principe d’effectivité. Des déclarations en matière animalière, il y en a plus qu’on en peut compter, mais elles sonnent souvent comme des lettres au Père Noël. C’est bien pour délimiter les enjeux et les priorités. Mais nous voulons montrer la voie vers l’effectivité en affirmant que la protection des animaux ne doit pas être qu’administrative et pénale mais aussi civile et juridictionnelle. Nous voulons mettre en place une certaine forme de personnalité juridique pour les animaux. Cela n’arrivera ni demain, ni sans doute l’année prochaine, mais l’idée est aussi qu’on reste ouvert à toutes les propositions pour créer les bases de ce droit.

« Le nombre d’animaux qui souffrent dans les élevages industriels, dans les transports ou les laboratoires n’a jamais été aussi élevé »

Sentez-vous une évolution dans la manière dont sont considérés les animaux entre le début de votre thèse en 1977 et aujourd’hui ?

Dans le demi-siècle qu’il m’a été donné d’observer depuis ma thèse, l’évolution est absolument spectaculaire, autant du point de vue de l’opinion publique que dans les textes et la jurisprudence. Pour autant, même si la cause animale est une préoccupation majeure de la société civile, le nombre d’animaux qui souffrent dans les élevages industriels, dans les transports ou les laboratoires n’a jamais été aussi élevé. Il y a un paradoxe.

De même, les sondages indiquent toujours une opinion publique très sensible à la cause animale. Pourtant, il demeure quasiment impossible de passer à des dispositifs concrets. En décembre dernier par exemple, une loi visant à empêcher les mineurs de moins de 16 ans à accéder à la corrida qui faisait l’unanimité des partis, mettant déjà d’accord Veil et Badinter, le thème consensuel par excellence, a été avortée par les lobbys super puissants et super organisés.

En somme, le projet de la DEDA est de rendre à l’état solide ce que les sondages d’opinion révèlent à l’état gazeux. Il faut que les gens qui portent les idées soient plus regroupés, et la DEDA peut être un moyen de les regrouper comme hymne. L’idée, c’est plutôt de chercher une voie étroite commune par laquelle tout le monde puisse passer plutôt que d’essayer de faire un mélimélo qui manquerait de cohérence. / Propos recueillis par Anaé Rodier