Shawa est une diva. Indépendante, jet-setteuse, mannequin, photographe, bloggueuse. Mais avant de porter robes, talons et sacs de marque, Shawa était un garçon. Elle nous raconte comment elle a reconstruit son identité.

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C’est une personnalité haute en couleur qui, par pudeur, a préféré éviter de donner son âge. Elle ne se prend pas au sérieux et qui sait ce qu’elle veut. Sa différence n’est pas dans ses origines ou sa couleur de peau. S’assumer publiquement en tant que transgenre n’a pas été chose évidente. Depuis, elle a mis sa popularité et son influence au service de la cause LGBT…

Quand avez-vous compris que vous étiez différente ?

Dès l’âge de 5 ans. Je préférais être avec mes cousines que mes cousins. J’adorais regarder ma mère s’habiller, se maquiller. J’essayais ses chaussures. J’étais un doux garçon très réservé par rapport à mes autres frères. C’est à l’école que j’ai compris que j’étais différent. Je n’avais pas envie d’aller jouer au ballon avec les garçons. Est-ce que cela faisait de moi une personne pas bien ? Pendant longtemps, cette question m’a occupé l’esprit. Du coup, je me cachais. Je voulais devenir invisible.

À l’école, que pensaient vos amies justement ?

Pour elles, c’était naturel de m’avoir avec elles. Avec elles, j’étais moi, une fille comme toutes les autres. Je parlais, j’étais à l’aise.

« C’est Madonna qui m’a permis d’assumer »

Comment avez-vous accepté cette différence ?

Au moment de la puberté et des premiers flirts. J’ai senti que je n’étais pas dans la bonne case. Ça a été violent. J’ai vécu une adolescence très trouble et perturbée. Je devais faire face au poids de l’école, aux attentes de mes parents. Je suis restée dans un no man’s land jusqu’à mes dix-huit ans. Je me suis beaucoup menti à moi-même, j’ai fermé les yeux, j’ai fait des tentatives de suicide. C’est Madonna qui m’a permis d’assumer celui que je pensais être, à savoir un gay. Le vent de liberté sexuelle qu’elle véhiculait dans ses clips et sur scène m’a donné de l’énergie. Il fallait que je m’assume. Je suis alors allé vers les garçons. Mais ça ne me plaisait toujours pas. Mon problème n’était donc pas là…

Quel était-il ?

Je n’étais pas heureuse. Je pensais être gay et, en fait, pas du tout. C’est pour cela que je n’arrivais pas à trouver la personne avec qui me sentir moi-même.

Pourquoi ? Qui voyez-vous dans le miroir à ce moment-là ?

Quand j’ouvrais les yeux et que je me levais, j’étais en fait une femme. Mais lorsque je me mettais face au miroir, je voyais (oh mon Dieu) un homme.

Comment cette évidence vous est apparu ?

En Angleterre. J’ai fait la connaissance, en allant en boîte de nuit, de femmes qui n’étaient pas des vraies femmes. C’étaient des drag queens. Bien que je ne me rapprochais pas de ce qu’ils étaient, je les regardais avec beaucoup d’admiration et de respect. En les fréquentant, j’ai découvert que certains étaient des transsexuels. C’est en eux que je me suis plus reconnue, et que le déclic s’est fait. J’ai compris que, sous mes apparences androgynes, j’étais une femme. J’ai donc poussé ma féminité à son paroxysme pour être plus confortable avec l’image que j’avais au plus profond de moi.

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« Je suis honnête dans mes relations« 

Justement, vous vous revendiquez femme à part entière et, pourtant, vous ne souhaitez pas vous faire opérer. Pourquoi ?

Me faire opérer de mon attribut n’est pas ce qui fera de moi une femme ! Cela va au-delà de l’esthétique et du symbole même de la féminité. Il était plus important pour moi de faire la poitrine. Ce que j’ai fait. Le principal est d’être bien dans sa tête et dans son corps. Je suis tout de même allée consulter pour savoir si je ne faisais pas le mauvais choix. Pour les trois psychanalystes que j’ai consultés, je suis quelqu’un d’équilibré sans être « castré ». Aussi, je ne ferais l’opération que si je peux changer d’ADN et avoir des enfants. Là, je serais pleinement une femme. En attendant, l’intervention n’est pas primordiale.

N’est-ce pas là toute l’ambiguïté de votre sexualité ?

Non pas du tout. Mes partenaires sont pratiquement tous hétéros. Je suis honnête dans mes relations. Je ne cache rien et fais en sorte de mettre à l’aise l’autre en le guidant. La magie de l’amour efface la différence.

Est-il exact alors de penser que vos partenaires soient des homosexuels refoulés ?

Vous pouvez le penser, mais la réalité est toute autre. Ils sont persuadés d’être avec une femme qui n’est pas dans le bon corps. S’ils étaient homosexuels, ils auraient alors recherché un homme et non une femme ! Mes partenaires étant hétéros, ils recherchent donc la féminité. Et une relation avec une femme. Ils ne pensaient tout simplement pas pouvoir la vivre de cette manière-là, avec une femme transgenre. Et pourtant, J’ai eu des relations de plus de 6 ans avec plusieurs partenaires, et j’ai même eu une demande en mariage.

Aucun d’entre eux ne vous a alors demandé de vous faire opérer ?

Non, jamais. C’est ça aussi qui m’a conforté dans le choix de ne pas le faire, car au final c’est l’être qu’ils aimaient et non un physique !

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« Mon âme avait été mise dans le mauvais écrin« 

Comment avez-vous annoncé votre particularité à votre famille ?

Leur dire, c’était comme annoncer la fin du monde. La culture et les traditions africaines ont toujours été très présentes à la maison. Mes parents sont catholiques pratiquants. Ma mère a compris très tôt qui était son fils. Les femmes ont ça en elles. Elle a alors fait preuve d’intelligence tout comme mon père et ce, malgré le regard des autres. Quant à mes frères, ils ont été merveilleux. Ils m’ont soutenue et ont été mes béquilles.

Avez-vous pris ce mal-être corporel comme une fatalité ?

Davantage comme une erreur. Mon âme avait été mise dans le mauvais écrin.

Est-ce un handicap ?

Tout à fait, surtout dans la société actuelle. C’est comme si j’étais dans un fauteuil roulant dans un univers plein d’escaliers. Mais ce n’est pas une fin en soi.

Doit-on parler de transformation, de mutation ou de transition ?

Il y a bien une transition et une transformation physique. Mais pas de mutation, car ce serait parler de créatures monstrueuses et les transgenres ne sont pas cela.

« Comme si j’étais un monstre« 

Comment vous assumez-vous au quotidien face au regard des autres ?

Je fais avec. Je suis comme je suis. Je n’y peux rien. J’ai la chance de plaire malgré ma grande taille qui fait que je ne passe pas inaperçue. Les filles ont plus l’œil méticuleux, elles percent plus facilement mon secret…

Le mot transgenre n’est-il pas un peu barbare ?

Non. Transsexuel l’est à cause de sa connotation sexuelle. Transgenre est plus juste, car il renvoie bien à une question de genre.

Que faire pour que la société cesse de considérer les transsexuels comme des « bêtes de foire » ?

La société doit comprendre qu’il y a un problème, qu’il y a des gens qui sont différents et que ce n’est pas de leur fait. Il faut donc leur donner de la visibilité et de la lumière pour qu’ils puissent se familiariser, voire même être rassurés, comme pour les homosexuels au début.

Ce que font des personnalités médiatiques, comme Chaz Bono, le fils de Cher, Laverne Cox, Caitlyn Jenner…

Totalement, et je les en remercie. Je ne demande pas que l’on m’accepte, mais que l’on tolère ma différence, qu’on ne me crache pas dessus quand je marche dans le métro, qu’on ne me toise pas du regard comme si j’étais un monstre. Ces personnalités se mettent en avant pour que l’on puisse nous comprendre, et elles le font en prenant des coups. Respect.

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« Je suis comme une petite bougie dans le noir…« 

Leur combat est donc celui de la tolérance ?

Avant tout, oui. Notre physique, notre couleur, notre sexualité n’interfèrent en rien dans la personne que l’on est et dans nos compétences.

Y a-t-il une reconnaissance du mouvement transgenre dans le monde ?

Oui et, d’ailleurs, la France est en nette progression par rapport aux États-Unis. Je suis stupéfaite du nombre de messages que je reçois par jour et par semaine. Ça fait du bien de sentir que l’on est soutenu. Ça m’encourage et me permet de ne pas baisser les bras. Je voyage beaucoup, notamment dans les pays de Maghreb. Je m’attendais à ce que l’on me crache dessus, qu’on me lapide. Au lieu de cela, j’ai rencontré des gens bienveillants qui m’ont accueillie royalement.

Vous demande-t-on des conseils ?

Oui. Je suis comme une petite bougie dans le noir. J’aide ceux qui en ont besoin de traverser cette étape. Ce qui est drôle, c’est que ce ne sont pas forcément des transgenres qui me sollicitent. Ce sont beaucoup de femmes qui me témoignent de leur empathie et avec lesquelles nous échangeons sur des trucs de filles.

En termes de mesures, la société a-t-elle fait des progrès ?

Il y a des progrès notoires même si changer de sexe reste un vrai parcours du combattant. Aujourd’hui, il est possible de modifier ses papiers. C’est un grand pas de fait qui signifie que ce n’est plus le sexe de naissance qui dicte ce que l’on est. En revanche, ce n’est en rien une victoire. C’est simplement et enfin une reconnaissance de la société. La victoire commencera quand le regard vers quelqu’un de différent par sa couleur, sa corpulence, son sexe, changera et qu’on arrêtera de le toiser et le condamner du regard.

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« …comme toutes les femmes !« 

Quels sont les principaux efforts attendus ?

Qu’il y ait plus de pédagogie à l’école, un meilleur encadrement notamment de la famille ou des proches pour diminuer le taux de suicide, que les transgenres ne soient plus la sœur pauvre des gays et que soit simplifiée la lourdeur administrative.

Mais alors, qui est Shawa ?

Une femme noire ambitieuse qui a pour seule limite le ciel ! Qui est à la recherche du bonheur et qui essaie d’être une artiste et une femme accomplie, en se servant de ce qui est vu comme un défaut pour en faire sa force et ouvrir les esprits.

De quoi rêve-t-elle ?

D’une belle carrière, d’un beau mari et de devenir mère… Comme de nombreuses femmes !

Est-elle heureuse aujourd’hui ?

Pas assez, mais elle espère l’être encore plus…

Daphné Victor