Olivier Hay, dit Luffy, est un joueur pro de jeux vidéos français et champion de Street Fighter IV. Nous lui avons posé les mêmes questions qu’à un athlète.
En 2014, le trentenaire remporte le grand prix de l’Evolution championship series (EVO) – le plus grand tournoi de gamers du monde. Nous voulions en savoir plus sur son quotidien, jamais sans la console. Ses réponses dévoilent la réalité d’une vie de sportif passionné… Son quotidien ? Jetlags, entraînements et lombalgies.
Quand vous est venu l’idée de devenir pro ?
Luffy: J’ai commencé sur Street Fighter en 2009, j’avais 23 ans. J’étais étudiant en marketing international et je jouais par passion. J’ai débuté par jouer en ligne. Et, un jour, un ami m’a proposé de participer à un tournoi. Je ne savais même pas que ça existait. J’y suis surtout allé pour rencontrer des joueurs. À partir de là, je suis devenu semi-pro. Je travaillais et, à côté, consacrais mes congés et mes week-ends aux compétitions. Ce manège a duré sept ans. Puis, début 2016, je suis passé professionnel à plein temps.
D’où vous vient le surnom « Luffy » ?
C’est moi qui l’ai choisi. C’est le nom du personnage principal du manga One Piece de Eiichiro Oda. Dans l’e-sport, tout le monde a un surnom, c’est la tradition.
Champion du monde
En juillet 2014, vous devenez champion du monde d’Ultra Street Fighter IV lors de l’EVO de Las Vegas. Qu’est-ce que ça fait ?
J’ai dû battre Bonchan, un des meilleurs joueurs japonais. Quand j’ai réussi, je n’ai même pas eu le temps de m’en rendre compte : 200 personnes me sont tombées dessus ! Puis, on m’a amené faire un shooting photo et des interviews. Ce n’est que le lendemain que vraiment j’ai réalisé ce qui m’arrivait.
Vous devez être célèbre, non ? Comment gérez-vous les fans ?
Je ne suis pas vraiment célèbre… à part dans le milieu des fans de jeux vidéo. Et uniquement parce que je suis un des seuls Européens à avoir battu les Japonais à Street Fighter. Mais on ne m’arrête pas dans la rue pour me demander des autographes. Du moins, pas en France. Et quand ça m’arrive, je trouve ça plutôt cool !
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Vous vous entraînez combien d’heures par jour ?
En période calme, c’est environ cinq heures par semaine. Mais en mode « compétition », ça peut aller jusqu’à dix, voire douze heures par jour.
Cela doit exiger une hygiène de vie particulière !
Pas vraiment. Je commence la journée vers 10 heures du matin et la finis vers 2 heures. Je n’ai pas vraiment de régime particulier. Je sais que certaines équipes – comme la FNATIC ou le PSG esport – vont avoir recours à des nutritionnistes et des coachs sportifs. Moi, ce n’est pas le cas. Je suis en autogestion. C’est sûr que je ne vais pas boire de l’alcool deux jours avant une compétition, et que je fais attention à ce que je mange. Mais, si demain il m’arrivait d’avoir une mauvaise gestion de moi-même, mon équipe pourrait prendre les devants et me confier à un coach nutritionnel.
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Blessures et jetlag
Vous avez eu des blessures ou des problèmes oculaires ?
Je n’ai pas subi de blessure. En revanche, ma vue a baissé… je devrais d’ailleurs porter des lunettes spéciales gaming proposées par les opticiens. Et puis j’ai des problèmes de lombaires, liés à ma posture. Et les voyages affaiblissent mon système immunitaire, je manque beaucoup de sommeil à cause des jetlags, et même si je prends de la mélatonine, une hormone du sommeil.
Vous voyagez donc beaucoup…
Oh oui ! Je passe ma vie dans les avions et dans le train. Par exemple, en ce moment, je suis sur une ligue anglaise. Tous les vendredis, je dois aller à Londres. Le weekend, je suis régulièrement en compétition pour des étapes du Capcom pro-tour. J’étais à Milan, et je me rends en octobre au Canada, à Cologne en Allemagne pour une compétition RedBull – mon sponsor – et ça se passe dans une boîte de nuit (les 21 et 22 octobre 2017, ndlr). Ça n’arrête pas, c’est toutes les semaines.
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Ennui et dopage
Comment s’organisent les compétitions ?
Ça ressemble au tennis. C’est en deux sets gagnants. Et un match dure en général entre 5 à 10 minutes. Dans une journée, on va faire entre sept et quinze matchs. Il y a donc beaucoup d’attente entre les matchs. C’est ça qui est très fatiguant. En une journée de compétition, c’est 40 minutes de jeu réel. Pour patienter, il y en a qui vont continuer à s’entraîner, d’autres vont écouter de la musique ou lire…
Y-a-t-il du dopage dans le e-sport ?
J’en suis persuadé, même si je ne peux pas le démontrer. En fait, la différence entre les joueurs se fait sur la rapidité, les réflexes et l’acuité visuelle. Et tout ça peut être boosté par la prise de dopant. Il faut savoir qu’aujourd’hui, il n’y a aucun contrôle ! Ça me semble indispensable d’en mettre dans les prochaines années. Plus ce sera pro, plus il y aura un risque de dopage. Il y a énormément d’enjeux, de l’argent à gagner, des sponsors, des fans.
Salaire à six chiffres
Quel est le salaire auquel peut prétendre un e-sportif de niveau national ?
Ça dépend des jeux. Moi je suis un joueur de Street Fighter, je peux être moins cher qu’un joueur de FIFA ou de League of Legends, au même niveau. Après, dès qu’on rentre dans la catégorie des « joueurs pro », on peut gagner entre 1 000 et 4 000 euros par mois. Pour l’EVO, j’ai remporté 17 000 dollars. Et la dernière compétition que j’ai remportée, à Milan, m’a rapporté 5 000 euros. Après, sur le jeu League of Legends, on peut avoir des salaires faramineux qui peuvent facilement atteindre les six chiffres.
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D’après-vous, la 3D va-t-elle révolutionner le genre ?
C’est une très belle innovation, mais l’accent sera toujours mis sur le jeu classique traditionnel. Ça reste difficile de faire des compétitions en jeux de VR, car ce sont des jeux casual (de salon) à la première personne. / Jacques Tiberi