Ludovic Chorgnon est peut-être le plus extrême des athlètes français. En 2015, à 44 ans, « Ludo le fou » a enchaîné 41 triathlons « ironman » en 41 jours. Il a parcouru 9 266 km, dont 156 à la nage, 7 380 à vélo et 1 730 à pied. Un exploit qui lui vaut une page dans le Guinness Book des records.

les couvertures du Zéphyr

« Comme on met du pain à table, moi je mets du sport dans ma vie ! », sourit « Ludo le fou ». On donnerait 35 ans à ce gaillard filiforme d’1m 80. Et pourtant, il en a 47. On imagine pas ce père de trois enfants, ancien informaticien reconverti dans le coaching-conseil, traverser la Corse en sept jours, grimper le Kilimandjaro (5 895 mètres d’altitude) en courant, ou boucler « l’Evergreen 228 », le Triathlon XXL le plus dur au monde. Et pourtant… Né du côté de Roanne (Auvergne-Rhône-Alpes), Ludovic faisait partie de ces enfants qu’on classe aujourd’hui dans la catégorie « hyperactif ». Le genre de gamin qui ne tient pas en place.

Lire aussi : Dis, Jérémie Lemarié, c’est quoi un surfeur ?

Le Kényan

« J’avais beaucoup, beaucoup, beaucoup de mal à l’école, avoue-t-il. Je faisais plus d’heures de colle que d’heures de sport et j’ai été exclu d’à peu près toutes les classes. » Heureusement, son père, Georges Chorgnon, lui-même sportif accompli, l’inscrit au foot, à la piscine, au tennis… Histoire de le laisser libérer son trop plein d’énergie. « J’ai appris à nager avant de savoir marcher. On me faisait faire deux ou trois sports dans la journée et c’était parfait ! »

Depuis, le sport a toujours gardé une grande place dans son mode de vie. « Quand j’étais ado et que je jouais au foot, on m’appelait  »le Kényan ». C’est là (à 18 ans) que j’ai commencé les semi-marathons, puis le marathon. J’en ai fait un, deux, dix, quinze… Au bout d’un moment ça manquait de suspense. »

Course dans la vallée de la mort. Bref, c’est l’ennui. « Je regardais les autres, je les voyais avoir peur, ou être excités, ou se mettre la pression, mais moi, au bout d’un moment, je savais le temps que j’allais faire et je n’avais plus aucun stress. Moi, ce que j’aime dans le sport, c’est quand on ne connaît pas la fin du match. Et, là, je n’avais plus vraiment de plaisir. Donc, je me demandais comment retrouver des sensations fortes. Et j’ai eu la révélation avec mon premier 100 kilomètres. »

C’était à Mihauld. Ni lui ni son pote qui l’accompagne à vélo n’avaient couru plus de 50 km d’affilée. On se demandait ce qu’on foutait là !  On est partis avec la frousse au ventre, plein de questions. Et c’est exactement ça que je cherchais. »

Ludo ne savait même pas qu’il courrait un championnat de France. « On a rigolé tout le long, jusqu’à en avoir des crampes. » Dans sa tête, tout se passe bien. Il maîtrise. Pourtant, il reste inquiet sur les kilomètres restant à faire. Et cette inquiétude augmente son excitation.

Lire aussi : le portrait de Clément Leroy, champion du monde de vélo sur place.

Courir comme le vent souffle !

Au bout de 9 heures, il passe la ligne d’arrivée. « Je finis un peu fatigué – aujourd’hui, je pourrais le faire en chaussures de ville – mais surtout amusé. Je me souviens, sur la ligne d’arrivée, il y avait une arche. Mon copain a posé son vélo, on a sauté de joie. Mais on comprenait pas : il n’y avait personne ! On s’en foutait, on était arrivés ! Et là un type sort et nous dit : « Mais vous faites quoi ? On vous attend ! » »

Les deux compères n’avaient pas compris que, 50 mètres plus loin, la foule les attendait dans un gymnase bondé. Ce n’est qu’en montant sur le podium que Ludo apprend qu’il est classé 19e sur 1 500 coureurs. « À ce moment-là, j’ai compris que j’avais quelques petites facilités. » En effet… Naît alors comme une soif inextinguible de dépasser ses limites.

Il forge alors la devise qui l’accompagne chaque jour : « On a pour limites celles que l’on accepte. » Depuis, à l’instar de Forest Gump dans le film homonyme de Robert Zemeckis, il semble dire : « Je pourrais courir comme le vent souffle. Je me suis dis pourquoi ne pas courir plus loin ? 200, 500 km… Et pourquoi pas plus haut ? À 2 000 3 000, 6 000 mètres… ou plus froid ? À -20°, -30°… Et à chaque fois, c’est l’aventure ! »

Entrainement natation de Ludovic Chorgnon.

___________________________________________________________________________

Ne ratez rien de l'actualité du Zéphyr

___________________________________________________________________________

Ironman

Le globerunner ne se sent jamais mieux qu’au 100e kilomètre d’un teck sur le Rovaniemi au cœur du cercle polaire par -40°C, ou lorsqu’il entame le 900e kilomètre de l’Himal Race, un treck à 6 000 mètres d’altitude entre le Tibet et le Népal. « Je me nourris de l’inconnu. Ça me motive. Il y a beaucoup de gens que ça tétanise… Moi, ça décuple ma force. Je ne suis jamais aussi fort que quand je me lance dans l’inconnu. »

La preuve :  un jour avant de se jeter dans le « Défit 41 » (41 Ironmanen 41 jours), il fait un bilan sanguin. « Tout était parfait. Au bout d’une semaine, j’avais quelques marqueurs de fatigue. Mais après 15 jours, j’avais le même bilan qu’au début et au bout des 41 jours, j’étais en meilleur forme que quand j’ai commencé ! » L’athlète a désormais une telle maîtrise de son corps qu’il pourrait courir sans s’arrêter.

D’ailleurs, l’homme de fer n’est pas du genre à se dire : « Je l’ai fait, je peux rentrer chez moi ! » Pour lui, c’est un parcours initiatique. L’important n’est pas l’arrivée, mais la traversée. À peine sur le podium, voilà qu’il pense à la suite. «  Je ne cours pas pour un trophée. Les coupes que j’ai gagnées, je les ai données ou mises à la cave. Il n’y a que les médailles que je garde en me disant, qu’un jour, les gamins voudront ouvrir la boite. Ce sera l’occasion de raconter des belles histoires.

Usure osseuse ?

Comme ce moment où, après une chute de vélo et la douleur que lui cause son entorse au poignet, il décide de poursuivre sa course. Ce jour-là, il va au bout de lui-même. « Je suis capable d’isoler des parties de mon corps et de les oublier ou de m’endormir en moins de dix secondes. »

À ses yeux, tout est dans le mental. La capacité à gérer son stress, la préparation mentale, la préparation physique et l’équipement aussi, ça fait la différence. Si on est dans le désert à se demander où l’on va trouver de l’eau, on n’y arrivera pas. Si on a déjà tout prévu dans sa tête, on ira au bout, quoiqu’il arrive. S’il y a un incident, je dois l’avoir anticipé et y être préparé. »

Beaucoup de choses se jouent aussi après la course. « Je vais chez mon kiné, je fais de l’hypnothérapie et de la mésothérapie (des micro-piqûres ciblées). » Conséquence : malgré tous ces efforts, il ne souffre d’aucune usure osseuse, n’a jamais eu une crampe, ni de tendinite, ni de problème de genou. Un cas unique ?

Monsieur Chorgnon, un conférencier très demandé.

Ah, c’est Ludo !

C’est ce que de nombreux médecins se demandent. « Ils s’intéressent à moi de très près. Des biologistes m’adorent. Je subis des centaines de tests. D’abord, parce que je voulais faire taire toute forme de suspicion de dopage. Ensuite, parce que j’ai soif de comprendre. »

Pendant ses courses, il est suivi par le docteur Alain Aumarechal, avec lequel il a un contrat strict : « S’il me dit stop pour raisons médicales, je dois m’arrêter sur le champ. » Mais les blouses blanches ne sont par les seuls fans de Ludo, loin de là. Parfois, au milieu d’une course ou au sommet d’une montagne, les coureurs qu’il rattrape lancent : « Ah, c’est Ludo ! » Lui ne sait pas à quel détail ils le reconnaissent, et ça le fait bien marrer.

Entre deux courses, Monsieur Chorgnon partage son temps entre sa famille, son activité de coach et de formateur (Sérénité Consulting), qu’il développe depuis 10 ans, et l’entraînement. Pendant ses conférences, il apprend à des champions ou des chefs d’entreprise comment maîtriser son sommeil, sa fatigue ou sa peur. Et pour ne pas avoir à choisir entre sport et vie privée, il consomme ses trois heures de sport quotidiennes la nuit ou le matin vers 5h. Au final, ne reste qu’une question : pourquoi ? Pour venger son père, victime à la fois de la maladie de Parkinson et de la maladie osseuse de Paget ? Ce serait un peu facile.

Défi 41

À l’heure où le commun des mortels bingewatchent une série depuis son canapé, Ludo imagine son prochain défi. Un Londres-Paris à la nage ? Non, mieux : un Triathlon entre Londres, Paris et Vendôme (dans le Loir-et-Cher, où il vit). Il se prend même à rêver d’un « biathlon » pédestre. Il s’agit normalement d’une épreuve associant ski de fond et tir à la carabine.

Car ce qu’il affectionne par dessus tout dans le sport, c’est d’alterner « la tactique et la vitesse, la tempête et le calme ». Si Ludo a choisi d’appeler son record surhumain le « Défi 41 », c’est en hommage au département du Loir-et-Cher qu’il affectionne et veut faire connaître. / Jacques Tiberi (photos : L. Chorgnon)

Alors, si votre famille n’habite pas dans ce département (ces gens-là n’ont pas d’manière), pensez-y pour vos prochaines vacances ! Rendez-vous sur le site de l’office du tourisme.