En 2020, Louis Devos a ouvert la boulangerie alternative Brood à Lille après un changement de cap profond. Au Zéphyr, il revient sur sa bifurcation professionnelle et sur l’origine de sa passion pour le « bon pain ».

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Il est un peu plus de 17h. Quelques personnes cherchent leur miche à la porte du fournil. Ici, à Lille, à la Moulinette, le tiers-lieu-café-cantine-coopératif du quartier Moulins, le pain à base de levain naturel est à l’honneur. Croûte craquante, mie savoureuse, le « brood nature », plus digeste qu’un pain fabriqué à base de levures, se conserve plusieurs jours sans souci. Promis, le pain ne sera pas rassis. « On valorise les farines anciennes et paysannes, locales et de terroir, des produits sans pesticides », précise Louis Devos, cofondateur – en compagnie de Sarah Cnudde – de la boulangerie atypique Brood.

Aujourd’hui, si le quadra prend plaisir à mettre la main dans la farine, cela n’a pas toujours été le cas. C’est en cours de route qu’il s’est découvert une passion pour le « bon pain ». Louis remonte les souvenirs.

Originaire du Nord, il a commencé une « carrière » loin des fourneaux et des moulins, dans le marketing. Après ses études, Louis s’est fait embaucher en tant que concepteur-rédacteur dans une première, puis une seconde agence de communication dans laquelle il a évolué pendant plusieurs années jusqu’à avoir l’opportunité de « manager une équipe » au sein du studio de création.

«  Je me suis demandé à quoi on servait »

Puis la bascule. «  A un moment, Publicis a racheté la boîte. » Petit à petit, il commence à « ressentir un peu de stress », d’autant que la direction entend… réduire les effectifs. « Cela marche plutôt bien, mais on nous demande de dégraisser… » Un ras-le-bol qui pointe, et une prise de conscience sur le sens de sa mission, comme un signe annonciateur. « Je me suis demandé à quoi on servait. On fait tourner une machine… D’accord, mais à quelles fins ? Quel est le but de l’opération ? S’agit-il vraiment de réaliser une belle newsletter pour avoir un taux d’ouverture important ? »

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Quelque chose cloche. « Je réalise que je n’arrive plus à expliquer ce que je fais chaque jour. Du marketing, très bien, mais concrètement, ça signifie quoi ? » Le doute l’emporte, Louis abandonne. Les actionnaires, loin de Lille, veulent des salariés en moins ? Lui lève la main et finit par quitter le navire. « J’en ai marre, je me libère… »

Un voyage pour prendre l’air

Mais pour aller où ? Louis n’en a pas la moindre idée, si ce n’est, peut-être, de « ne plus dépendre d’un chef ». Lui qui vient de signer une rupture conventionnelle décide de partir en voyage pour souffler et prendre le temps de la réflexion (comme son propre frère qui a suivi le même processus). Nous sommes en janvier 2016, et il atterrit au Chili. « J’en profite pour visiter quelques pays d’Amérique du Sud, mais je me rends compte que la cuisine française me manque, et plus particulièrement le pain. » Alors depuis Valparaiso, son point de chute, il s’achète de la farine, et il se met à pétrir. Le début d’une histoire d’amour : « Je progresse un peu, je donne du pain aux personnes autour de moi. »

Louis, en novembre de la même année, revient en France et file rencontrer un boulanger en Normandie. Celui-ci possède un four en bois « à la campagne » et vend son pain sur le marché. Subjugué par le concept, Louis se verrait bien l’imiter de l’autre côté de l’Atlantique, où il a rencontré « une copine ». Il tente le coup début 2017, construit un fournil avec sa compagne… « Mais, rapidement, je déchante. » Pas facile de lancer une entreprise dans un pays étranger, pas évident d’y arriver « sans relations, sans diplôme ». Son « histoire sentimentale » prend l’eau, Louis laisse tomber et rentre en France, cette fois définitivement.

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Envie d’une boulangerie alternative

Un an après avoir quitté son poste, histoire de gagner sa vie, il reprend son ancien métier en freelance. Seulement, l’envie de faire du pain ne l’a pas quitté. Pour ne rien regretter, Louis frappe à la porte d’un professionnel situé dans une zone rurale qui propose des ateliers de découverte du métier. Une révélation. « On commençait la journée à 6h30, et les gens récupéraient leur miche de pain pleine de saveurs en fin de journée. Il a adapté les horaires pour ne pas à avoir à se lever au milieu de la nuit, on a du temps libre, en particulier le week-end. Je me suis dit qu’il fallait faire la même chose en ville. » En attendant, Louis poursuit sa formation sur le terrain, passe le CAP boulanger en candidat libre… sans cesser ses missions en indépendant.

Via des relations il croise la route de Sarah Cnudde, sa future associée en quête d’une autre voie, elle qui vient du milieu culturel. Un jour, en quête d’un local, les deux rencontrent un groupe de personnes ayant comme objectif d’ouvrir un café solidaire dans un ancien entrepôt. Il leur propose de visiter les lieux. Affaire conclue, ils partageront l’espace, qui deviendra La Moulinette. Leur projet prend forme. Sarah et Louis déposent les statuts de leur entreprise coopérative et participative (SCOP) et se lancent en mars 2020 en imaginant livrer leur pain sur commande à vélo. « On est fiers, et on y croit. On avait tout prévu, sauf le Covid-19 », sourit-il.

Groupes de mangeurs de pains

A l’annonce du premier confinement, les deux néo-boulangers ne renoncent pas, ils ont un stock non négligeable de farine à écouler. Le duo propose ainsi du pain aux habitants du quartier devant la porte du tiers-lieu fermé. « On a eu de la chance d’être considéré comme un commerce… élémentaire (ou prioritaire ? Comment disait-on, déjà ? »). Et puis on a permis aux gens de sortir un peu, tout était clos dans la rue… » Moyen de se faire connaître au plus fort de la crise sanitaire, et de rassembler les premiers « mangeurs de pains », comme ils disent. Aujourd’hui, ils continuent de les servir (toujours après le déjeuner et à vélo), dans les épiceries, les entreprises, enfin peu importe. « Si vous voulez, c’est le même principe qu’une Amap, mais autour du pain… »

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« On aime notre travail, poursuit-il, mais on veut continuer d’avoir une vie sociale, ajoute Louis. Beaucoup de boulangers n’en ont pas, au péril de leur santé, ils commencent la journée vers minuit-deux heures du matin… »

Pas chez eux. Ce matin, en pleine semaine, ils ont démarré vers 6h30 pour préparer leur recette et réussir à lever le pain. Et samedi c’est repos. / Philippe Lesaffre