Guillaume Loublier présente son nouveau spectacle A.I.R., mis en scène par Laura Charpentier, dans lequel il interroge la notion de progrès technologique, dans notre société ultra-connectée. Après l’avoir présenté sur les planches montpelliéraines, région dans laquelle il a passé une bonne partie de son enfance, le comédien a prévu plusieurs dates à Paris, à La Flèche, à partir d’octobre.
C’est « un métier difficile, surtout en cette période de pandémie, mais j’admets avoir eu beaucoup de chance depuis le début de ma carrière ». Guillaume Loublier, 35 ans, a démarré au café-théâtre dans l’Hérault (à La Cicrane devenue le Point Comédie, à Montpellier), avant de jouer, notamment, sous la direction du duo comique Shirley et Dino. Le comédien, intermittent du spectacle, a confié la mise en scène de son nouveau spectacle A.I.R. à Laura Charpentier. Plusieurs années ont été nécessaires pour l’écriture de ce projet.
Progrès technologique, transhumanisme… Le Zéphyr l’a interrogé sur les messages qu’il entend faire passer et sur son rapport à l’art de la scène, lui, l’adepte de philosophie. « Le théâtre est un superbe canal pour pousser à la réflexion. Mon objectif, glisse-t-il, est de concerner les spectateurs aux thématiques que j’aborde sur scène et qu’ils puissent trouver des repères, et au final s’interroger. »
« L’homme nouveau, l’homme augmenté »
Guillaume Loublier : Que raconte A.I.R., votre nouveau spectacle ?
On est dans un monde fictif où les humains en ont marre d’être violents, si bien qu’ils vont trouver une solution pour vivre en paix. Ils vont solliciter deux scientifiques en rivalité. Pierre, un techno-scientifique, et Jacques, un philosophe. Et les habitants vont approuver Pierre. Celui-ci va inventer une pilule anti-émotion, et les gens vont vivre en paix… jusqu’à ce qu’une forme apparaisse dans le ciel, perturbant ainsi ce monde paisible. Le gouvernement va rappeler Jacques pour régler le problème. Seulement, ce dernier n’est plus ce qu’il était, il est en désaccord avec sa direction. Le spectacle commence là.
On suit Jacques, le vieux philosophe assisté de Simone, son robot. Et les deux vont lutter dans le but que les humains gardent leur humanité dans ce monde de plus en plus connecté. Dans ce monde digitalisé, Jacques va mettre à l’honneur l’humain dans ce qu’il a de plus volcanique, imparfait, imprévisible.
Il fait venir trois personnages successivement ; ces derniers vivent des émotions très fortes. Mais Pierre, le rival, va pirater le robot pour intervenir, et il va parler d’homme nouveau, de l’homme augmenté par la technologie.
« Nous ne sommes pas une société capable uniquement de maîtriser les machines sophistiquées et technologiques »
Quel est l’objectif du spectacle ?
Je veux m’adresser à un public pas forcément sensibilisé, c’est un sujet sérieux, mais ce n’est pas une raison pour laisser des personnes de côté, sous prétexte qu’elles ne possèdent pas d’informations. Je ne me substitue pas aux scientifiques, je suis et reste comédien. Je raconte une histoire, j’embarque le public dans une aventure. Sur scène, le personnage principal interagit avec un vrai robot (mis en place par Florian Guerbe et piloté, à Montpellier, par Martin Gandrillon depuis la régie) pour évoquer les relations que l’on peut avoir avec les Google home et autres outils de la sorte. C’est de la comédie, mais j’y intègre des éléments d’actualité scientifique. J’essaye en tout cas d’apporter une double réflexion.
Lesquelles ?
Le spectacle développe deux axes. Le premier, c’est d’interroger la notion de progrès, un progrès que l’on associe souvent à la technologie. Or, nous ne sommes pas une société capable uniquement de maîtriser les machines sophistiquées et technologiques, mais avant tout une société dont ses membres peuvent être capables de maîtriser leur machinerie intérieure – la connaissance de soi, la philosophie. J’aimerais que l’on puisse, au côté d’un progrès technique, aux valeurs d’utilitarisme, de productivité, d’efficacité, apposer un progrès dit humain, avec des valeurs d’harmonie, de relationnel, de connaissance de soi.
Voilà le premier axe, et quel est le second ?
Sensibiliser sur le mouvement transhumaniste, soutenu financièrement de manière colossale. Les questions qu’il pose me fascine d’un point de vue éthique, philosophique, économique, politique et symbolique. C’est une réalité, et je pense qu’il faut s’en emparer. Car il s’agit de notre avenir.
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« J’éprouve des émotions quand j’écoute des experts aborder les sujets de transhumanisme et de technologie, et j’ai ce désir de transmettre »
Est-ce un sujet qui vous fait peur ?
Ça m’interroge, ça me passionne et ça m’effraie, oui. D’où le spectacle. En réalité, j’éprouve des émotions quand j’écoute des experts aborder ces sujets et j’ai ce désir de transmettre. Je n’approuve ni ne désapprouve, mais je veux faire entendre les voix des uns et des autres, la voie progressiste d’une part et conservatrice de l’autre. Et ce, pour une raison : pousser le public à s’interroger afin que l’on puisse espérer, dans un avenir proche, un débat collectif sur le thème.
En quoi le théâtre, et l’art au sens large, est-il le bon outil pour porter ce type de débat ?
C’est un canal superbe pour inviter à la réflexion. Le but, c’est de ne pas simplifier, mais épurer les sujets pour en ressortir les grandes lignes, afin de concerner le public, jeune ou pas, sensibilisé ou non, pour qu’il trouve des repères, et s’interroge sur ces questions fondamentales. Certains me disent qu’après le spectacle, en rentrant, ils lancent des discussions. Les uns ont des certitudes, les autres, pas du tout. Les experts que je suis et écoute, dans des conférences ou lors de débats, parlent, et je trouve cela top. C’est magnifique. Ce sont des personnes qui diffusent des idées puissantes, inspirantes, ce sont des philosophes que j’admire. Et, en réalité, je souhaite que le plus grand nombre, et en l’occurrence le public du spectacle, puisse participer au débat. Parce que cela nous concerne vraiment tous.
« Je veux organiser des forums citoyens, ces sujets nous concernent »
Comment comptez-vous ainsi vous y prendre pour y parvenir ?
Au départ, je pensais pouvoir organiser des débats après le spectacle. Mais dans un premier temps, à la fin des représentations, je sors pour répondre aux éventuelles questions s’il y en a. Mais effectivement, je recherche un lieu spécifique qui porte des sujets autour du progrès et du transhumanisme pour y organiser des discussions après A.I.R. Car je peux les introduire, j’en ai envie. Je veux proposer des forums citoyens en vrai pour que les gens assument le conflit sur ces thèmes, mettent de l’énergie dans nos idées et ne pas fuir les débats, et ce, toujours avec beaucoup de respect. Car il faut pouvoir comprendre la position des uns et des autres, sans jugement.
Après, on verra plus tard. En tout cas, je verrai dans un premier temps si les gens que je touche, à Paris, sont plutôt déjà avertis, sensibilisés à ces questions scientifiques et philosophiques. D’après moi, il y aura sans doute des personnes plutôt conservatrices, qui ont peur que la technologie nous déshumanise, et selon lesquelles il faudrait en priorité améliorer les conditions de vie, notamment dans les maisons de retraite, plutôt que d’investir dans le fait de vivre… plus longtemps. Et j’espère également que d’autres représenteront la seconde posture : des personnes selon lesquelles tout ça pourrait justement améliorer nos conditions de vie, et pour lesquels c’est l’essentiel.
Je souhaite poursuivre sur cette ligne éditoriale. Je prépare un deuxième spectacle, cette fois uniquement sur le transhumanisme, ce sera une adaptation de l’ouvrage Les robots font-ils l’amour ? de Laurent Alexandre et de Jean-Michel Besnier. J’ai obtenu les droits auprès de l’éditeur, Dunod. Il y aura même un troisième spectacle à propos de la chercheuse Emmanuelle Charpentier, co-lauréate du prix Nobel de chimie en 2020. Son invention autour des ciseaux moléculaires bouleverse le monde scientifique car cela peut permettre de… modifier le gène de l’être humain.
Les infos pratiques du spectacle sur le site du théâtre La Flèche.