Le GNSA Bois de Vincennes, avec d’autres, se mobilise contre des projets d’abattage d’arbres sur son territoire. La mairie de la commune francilienne souhaite notamment en couper 22 devant le château de Vincennes dans le cadre d’un réaménagement des abords. Marie-Noëlle Bernard, responsable de cette antenne francilienne du GNSA, a répondu à nos questions, quelques jours avant une marche citoyenne pour les arbres, organisée par de nombreuses associations le 27 janvier 2024 (1).
(1) Le collectif L’appel des forêts, SOS PARIS, FNE, le collectif Montreuil et encore le GNSA marcheront entre la Porte de Montreuil et Vincennes.
Des arbres qui sont « sains »
Le Zéphyr : Pourquoi vous mobilisez-vous contre le projet d’abattage des arbres d’alignement devant le château de Vincennes ?
Marie-Noëlle Bernard : Nous nous battons pour que la mairie de Vincennes préserve les arbres d’alignement devant le château de Vincennes, château d’État, géré et occupé par l’Armée. La mairie de Vincennes gère les deux abords du château situés sur sa commune. Elle a décidé, à la suite d’une convention signée avec le ministère des armées, de raser les glacis dudit château et par la même occasion d’abattre 22 arbres sains, âgés de 30 à 100 ans, qui se trouvent devant l’entrée de la Tour du village, par où entrent les visiteurs.
Lire aussi : Podcast : écoutez Marie-Noëlle Bernard dans « en Forêt »
On compte des tilleuls, des frênes, des robiniers, des platanes qui remplissent plusieurs fonctions. Si on les arrache de la terre, on enlève en premier lieu de l’ombre aux passants. Les arbres captent le CO2 et font également office de refuge d’espèces protégées. On y trouve des chauves-souris, des passereaux qui viennent se nourrir de graines de platanes, par exemple. Et les branches servent de tremplin d’envol aux jeunes faucons crécerelles, dont les nids sont présents au niveau du donjon du château. Pour mémoire, nous sommes sur la Trame Verte et la Trame noire.
La commune veut planter des essences « nobles »
Pourquoi la municipalité veut-elle arracher ces 22 arbres ? Quels sont les arguments choisis ?
La maire Charlotte Libert-Albanel (UDI) a expliqué, dans le journal municipal en septembre 2023, qu’elle voulait « réaménager les abords du château » pour « renforcer sa visibilité » et son rayonnement. Précisant qu’il s’agissait d’un dossier lancé en 1999. Son objectif est de détruire le glacis et donc les arbres à proximité. (Dans cet entretien, l’édile indique en outre que « les racines de certains arbres abîment le mur de contrescarpe », ndlr).
Charlotte Libert-Albanel a ajouté lors de ses vœux pour la nouvelle année 2024 que Vincennes replantera plus d’arbres par la suite. Ce sera des haies d’ifs, des pruniers, notamment. Elle compte d’ailleurs planter des essences « plus nobles que les platanes », c’est ce qu’elle avait affirmé dans le bulletin de Vincennes, en septembre dernier. Je ne savais pas qu’il y avait des titres de noblesse chez les arbres : un prunier est-il plus noble qu’un autre ? Curieusement, l’argument a été oublié ensuite.
Ne ratez rien de l'actualité du Zéphyr
Supprimer les arbres sera l’occasion, estime-t-elle, de rendre l’espace plus… accessible aux personnes en situation de handicap (l’argument fait sourire). J’ai pu m’entretenir avec la maire Charlotte Libert-Albanel, j’ai demandé : s’il faut faire rayonner le château, alors pourquoi ne pas installer l’entrée des visiteurs de l’autre côté, du côté du bois de Vincennes, du côté de l’esplanade ? De ce côté, certes parisien, on n’abattrait aucun arbre. On m’a répondu que l’entrée du château devait être près d’une station de métro ou de RER…
Argument supplémentaire évoqué : il faut voir le château de loin. Mais c’est déjà le donjon médiéval le plus haut d’Europe et, de loin, on voit la partie supérieure (certes, pas le bas). Lors de ses vœux pour la nouvelle année, elle a ajouté ne pas comprendre qu’on puisse se préoccuper des arbres alors qu’on ne s’occupe pas des femmes qui « doivent se prostituer » dans le Bois de Vincennes. Mais on peut être sensibles à plusieurs causes, l’argument me laisse pantoise…
Déloger les chauves-souris risque de les tuer
Comment vous êtes-vous battus jusque-là au niveau du GNSA Bois de Vincennes ?
En juillet 2022, on découvre des pancartes sur les arbres indiquant qu’ils sont malades. J’écris à la mairie et à la préfecture, mais je ne reçois aucune réponse. Je demande à surseoir l’abattage. Je fais intervenir un expert en septembre 2022, qui prouve que les arbres sont sains, sauf pour un. Je réclame un RDV à la mairie avec son expert (membre de l’ONF) et le nôtre. Pas de réponse, mais les panneaux ont été retirés par la suite.
Lire aussi : Des citoyens se battent pour les forêts, Le Zéphyr lance le podcast « En forêt » pour leur tendre le micro
Puis, il faut attendre un an et l’intervention de la maire dans son journal municipal en septembre dernier, quand elle a dit qu’il fallait faire rayonner le château et trouver des essences plus « nobles ». Ce qui nous a irrités, comme on l’a alors expliqué à Actu.fr… Elle s’est rendu compte de sa bourde, puis a donc fait évoluer son argumentaire.
Nous découvrons environ à cette période qu’en mars 2023 la préfecture avait donné son accord pour abattre les 22 arbres d’alignement (dans le détail : « 9 platanes, 7 érables, 2 frênes, et 4 robiniers ») mais en dehors de la période de nidification d’oiseaux (après le 15 août et avant le 15 mars). La préfecture ajoute dans un document qu’elle a conscience de la présence de chauves-souris, mais que la mairie peut agir « délicatement » pour laisser la possibilité aux populations de « s’échapper ». Puis, on lit : « Le démontage se fera sous le contrôle d’un chiroptérologue. » Néanmoins, les déloger, cela risque de les tuer…
« Une promenade minérale »
En tout cas, pour nous, il est trop tard pour contester l’autorisation. Il faut savoir que les arbres sont en principe protégés par l’article L350-3 du code de l’environnement, mais que souvent il suffit qu’il y ait une autorisation préfectorale pour passer outre. C’est sous condition, il faut que les travaux aient un intérêt certain. Là, on ne voit pas très bien l’intérêt, puisque élaborer une promenade (qui sera très minérale) n’est pas ce qui va faire « rayonner » le château de Vincennes.
Que va-t-il se passer maintenant ?
En novembre 2023, nous avons lancé une pétition, elle a été signée par plus de 24 000 personnes à ce jour (22 janvier, lors de l’entretien). Nous présenterons une demande de recours gracieux devant la préfecture, car nos écrits sont restés sans réponse, et nous souhaitons qu’elle puisse revoir sa position. Il y a des espèces protégées et nous serions très surpris que l’Office de biodiversité ne réagisse pas.
Encore une fois, c’est un projet inutile, dispendieux (4,3 millions d’euros), hors-sol et incompréhensible pour les habitants de la commune. Quand on découvre le projet, on se dit tout ça pour ça. Abattre des arbres matures et sains pour créer une promenade minérale est complètement anachronique. / Propos recueillis par Philippe Lesaffre