Ancien chasseur, Grégoire Trunet a troqué son fusil pour un appareil photo. Plutôt que tuer, il préfère immortaliser l’animal. Cela en fait un « chasseur-photo ». L’homme nous raconte sa passion, avec humour et poésie.
Issu du famille de chasseurs “à fusil”, Grégoire Trunet pratique désormais la chasse-photo, une forme de photographie animalière totalement naturelle – c’est-à-dire réalisée sans trucage ni artifice. Comme la flèche d’un arc, l’appareil atteint l’animal sans qu’il ne s’en aperçoive, dans toute sa vérité.
Le Zéphyr : Depuis quand êtes-vous chasseur ?
Grégoire Trunet : Je suis dans une famille où l’on chasse. Tout petit on me disait : “Si tu es sage, Papi t’emmènera à la chasse.” Ce que j’aimais dans la chasse, c’était d’être sur le terrain avec les animaux. J’aimais le gibier, j’aimais traquer, je passais des moments merveilleux dans les bois avec mon grand-père.
Qu’est-ce qui vous a fait lâcher le fusil ?
Il y a quelque chose de pourri au royaume de la chasse : c’est qu’à la fin, il faut tuer. Je n’ai jamais aimé tuer. Et puis, quand on grandit, on commence à arrêter de croire aux contes de fées que nous raconte la Fédé (la fédération de chasse, ndlr). Par exemple : « Il faut réguler les nuisibles. » On se rend compte que finalement tirer du poulet d’élevage ou du faisan qui a été lâché la veille n’a aucune noblesse.
Réguler les nuisibles
Qu’entendez-vous par “réguler les nuisibles” ?
Ça concerne les corbeaux et les sangliers, qui, soi-disant, posent problème. Mais on a perdu 80 % de nos oiseaux nicheurs en 40 ans. Je fais de l’”ornitho” depuis 15 ans et je sais que la chasse aux oiseaux aujourd’hui n’est plus acceptable. Les populations diminuent de façon catastrophique, les populations de sangliers aussi. On dit : “Il faut tuer pour réguler.” Mais les populations de sangliers sont entretenues par les chasseurs, qui limitent les droits de chasse pour avoir du gibier pour l’année d’après. Et personne n’a l’honnêteté de le dire ! Si on voulait vraiment régler le problème des sangliers, on organiserait une battue avec les gens de l’Office national des forêts (ONF) pour en zigouiller 38 sur 40. Les deux qui resteraient ne risqueraient pas de nous envahir !
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Vous souvenez-vous du dernier animal que vous avez tué avant de déposer les armes ?
C’était une bécasse. À l’époque, je faisais déjà pas mal d’”ornitho”, et, quand j’ai vu les populations qui diminuaient, je me suis dit : “Vraiment, on ne peut pas continuer à massacrer ces bestioles !” Si les populations étaient stables, on pourrait continuer à tirer. Mais quand on voit que toutes les populations d’animaux sauvages se cassent la figure, il faut se poser la question. Évidement, la chasse est loin d’être la seule responsable. Mais la chasse n’aide pas. On n’a jamais protégé les animaux en leur tirant dessus ! Je me souviens aussi de la dernière fois que je suis allé chasser à l’arc. J’avais deux bracelets pour tuer un chevreuil, je me suis retrouvé en face de lui, il était magnifique, avec un superbe brocard. Je n’ai pas pu tirer. C’est trop beau ! Le tuer ne sert à rien. Je préfère le revoir que l’avoir dans mon assiette.
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Une bande de viandards
Ce jour-là, vous êtes devenu anti-chasse ?
Je suis plus anti-chasseur qu’anti-chasse. Mon grand-père s’achetait une boîte de 25 cartouches qui lui faisaient une saison, voire deux ! Il allait avec son petit chien chasser la bécasse, qu’il trouvait rarement, d’ailleurs. Ce genre de gars ne posent pas de problème. Le problème c’est qu’ils sont ultra-minoritaires. La majorité, ce sont des “viandards”. J’ai rarement trouvé des chasseurs qui avaient une certaine classe, une certaine élégance. J’ai trouvé beaucoup de gars qui étaient là pour faire des cartons. Moi qui a été élevé dans un état d’esprit d’une chasse modérée, quand je me suis retrouvé avec d’autres types sur le terrain, je me suis dit : “Je ne partage pas grand-chose avec eux !”
Aujourd’hui, la manière dont on organise la chasse favorise ce genre de comportement. S’ils ne venaient pas juste pour tuer, ils ne lâcheraient pas 3 ou 4 millions de perdreaux, de canards et compagnie. Ils les lâchent la veille, voire deux heures avant. Et les gars viennent faire du ball-trap (tir aux pigeons d’argile) sur leurs poulets d’élevage. Il n’y a aucune noblesse et aucune grandeur à tirer sur eux. Un coup de fusil dans la cage et on gagne du temps ! De ce que j’ai vu en Charente, dans les Landes ou au Pays basque, je vais vous trouver autant de chasseurs qui sont loin de la caricature des Inconnus que des chasseurs pour qui ce n’est pas du tout une caricature !
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« Montrer aux gens ce qu’il y a dans nos bois »
Et c’est votre appareil-photo qui vous a redonné le plaisir de chasser ?
Au final, la chasse-photo et la chasse au fusil, ce n’est pas si différent. Sauf qu’à l’un, on tue et, à l’autre, on immortalise. J’ai toujours pratiqué la chasse parce que j’aime être sur le terrain au contact des animaux, suivre les traces. Le but, c’est de photographier la nature sans la déranger. C’est de l’observation. On prend son temps, on la regarde. Et puis, l’un des côtés très sympa de la photo, c’est qu’on peut montrer aux gens ce qu’il y a dans nos bois. Quand les gens viennent à mes expos, ils s’étonnent : “On a tout ça chez nous ?” Eh oui ! Et ce serait bien de les protéger.
Quelles sont les règles techniques de la chasse-photo ?
Il n’y a pas de règle absolue. Tout type d’appareils et de zooms sont utilisables, du grand angle au téléobjectif. Les très grandes focales sont les plus utilisées. Les piafs nous laissent rarement approcher. Même si j’ai de très belles photos en grand angle, en Camargue, avec des flamands roses. Mais c’est exceptionnel. En général, j’utilise un super téléobjectif. Entre le fusil et la photo, on divise la distance par deux ou trois. Ça se rapproche de 10 ou 15 mètres. Il faut donc être beaucoup plus près et plus discret.
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Combien de temps avez-vous pris pour faire votre première belle photo animalière ?
Une bonne année ! Et parce que j’ai eu un chevreuil compréhensif qui m’a laissé un peu de temps. J’avais du matériel d’étudiant. Quand je vois des débutants qui commencent avec du matériel qui vaut plus cher que ma voiture, ils ont plus de chances de réussir une bonne photo ! Avec un bon boîtier pro, un débutant pas trop manchot va bien se trouver une mésange compréhensive qui va prendre la pose. Ou bien on attend l’hiver, on leur donne trois graines et on attend. N’importe qui peut faire de belles photos à la mangeoire dans son jardin ! Cela prend du temps : je n’ai gagné mon premier concours que 5 ou 6 ans après ma première photo.
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De vrais protecteurs de la nature
Connaissez-vous beaucoup d’anciens chasseurs convertis, comme vous, ou êtes-vous un oiseau rare ?
Oui, j’en connais quelques-uns. D’ailleurs, la photo animalière est en train d’exploser complètement… avec toutes les dérives que ça comporte.
C’est-à-dire ?
Il n’y a pas que des poètes et des saints dans la photo de nature, loin de là. J’ai presque vu autant de dérives que chez les chasseurs au fusil. En fait, il y a des gens qui sont là pour faire la photo et peu importe ce qui en coûte. Ils n’ont aucune éthique. Ce n’est même pas une question d’argent, car il n’y que quelques concours, dotés de seulement quelques centaines d’euros. Non. C’est juste un problème d’ego. Ils veulent la meilleure photo. Il y a une certaine dérive qui est tout aussi condamnable que certaines pratiques de chasse au fusil. Mais, heureusement, la très grande majorité des photographes animaliers sont de vrais protecteurs de la nature. / Jacques Tiberi