Il est l’avocat de Maurice le coq, le fameux gallinacé assigné au tribunal pour avoir trop chanté et gâché les matinées de vacanciers de l’Île d’Oléron, en Charente-Maritime. Une affaire qui cristallise le malaise grandissant entre certains néo-ruraux et des habitants “historiques” des campagnes. Ce n’est pas seulement Maurice que Julien Papineau, natif d’Oléron et Parisien d’adoption, a défendu avec succès, ce sont un terroir et un art de vivre.
J’admire le palais de justice de Saintes depuis la fenêtre du bureau du cours National, l’une des principales artères commerçantes de la ville, où Julien Papineau s’est installé pour exercer sa « nouvelle » profession d’avocat. Le quadra est en effet un « jeune » plaideur, reconverti après quinze ans de carrière comme assistant parlementaire au Sénat et à l’Assemblée nationale. Il a même été candidat à plusieurs élections locales pour le Parti socialiste ou en tant qu’indépendant.
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“Dans ces territoires ruraux, les gens ont peur des tribunaux”
“J’ai prêté serment en septembre 2018 et j’ai préféré commencer seul plutôt que dans une collaboration, explique-t-il. C’est un risque. C’est dur. Mais c’est comme ça que je vis ma liberté.” Diplômé de droit, il aspire, depuis longtemps, à plaider aux assises. Mais, en attendant de se faire un nom, Maître Papineau accepte les dossiers avec gourmandise. “Toutes les causes sont à défendre. L’injustice est partout. Surtout dans ces territoires ruraux où les gens ont peur des tribunaux, de son fonctionnement, de son langage pas clair, de son coût…”
Par la force des choses, ce natif d’Oléron est devenu une sorte « d’avocat de campagne ». Ses clients ? Un ostréiculteur qui a du mal à se faire payer, des divorcés sexagénaires, des cas d’alcool au volant (une problématique méconnue mais très répandue dans les territoires ruraux), des histoires de pêcheurs qui coupent les filets d’un autre ou des vente de granges ! Et puis il y a bien sûr l’affaire du coq Maurice.
Il faut sauver le coq Maurice
“J’ai découvert cette histoire sur un groupe Facebook de gens de l’Ile d’Oléron”, raconte Papineau. Corinne Faisceaux, la propriétaire de Maurice, y raconte ses problèmes avec un voisin qui l’assigne au tribunal d’instance, à cause des nuisances sonores que provoquerait son coq.
« Je vois qu’elle panique. Pour elle, qui n’a jamais eu affaire à la justice, c’est comme si elle passait dans le box des accusés ! Corinne, c’est comme la famille. J’ai l’âge de son fils, et son mari était un ami de mon père… Il paraît même qu’il était là le jour où mon père a rencontré ma mère à Bordeaux. Ce sont des gens du coin, c’est toute ma vie, toute mon enfance, tous mes repères. C’est aussi pour ça que je suis allé à la bataille : parce qu’on ne vient pas humilier les gens de chez moi. »
L’avocat appelle alors Corinne, lui propose un coup de main, passe la voir, écoute son histoire, récolte des témoignages et prépare le dossier.
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“Les uns veulent vivre ici, les autres veulent juste y passer du bon temps”
“C’est une histoire très banale, au final !, soupire l’avocat. Corinne, ça fait 20 ans qu’elle a des poules. Elle vient d’une famille de pêcheurs de la Cotinière (le port d’Oléron, ndlr). Elle n’a pas de grands moyens. Alors, avoir des œufs à portée de main, c’est important pour elle. Un jour, Corinne s’est acheté des poussins. Mais dans le lot se cachait un coq. Un jour, il s’est mis à chanter. Et personne n’y voyait aucun inconvénient… jusqu’à ce qu’un couple commence à se plaindre en 2007.”
Pour Julien Papineau, ce couple, venu de Limoges, a “trimé tout sa vie pour se payer quelques mètres carrés à la mer, sur l’Ile d’Oléron”. Il a acheté dans un lotissement d’immeubles sans charme, construit à la va-vite dans les années 90, au beau milieu d’un quartier d’anciennes maisons de ville, en bordure des jardins. Même si les deux personnes ne viennent qu’une ou deux fois par an, Oléron représente les sacro-saintes vacances à la mer.
Le conseil des plaignants, Maître Huberdeau, un ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats, le dit lui même au micro des journalistes : “Mes clients n’ont rien contre le coq, ce qu’ils veulent, c’est pouvoir profiter de leur sommeil entre 6 heures trente et 8 heures du matin.” Bref, résume Papineau, “ce n’est pas le conflit urbains contre ruraux que la presse a monté en mayonnaise, mais un conflit entre habitants et vacanciers. Les uns veulent vivre ici, les autres veulent juste y passer du bon temps. Et ce sont deux visions diamétralement opposées du territoire.”
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Quand, lors de l’audience Maître Papineau entend dire que “l’Île d’Oléron est une zone urbaine”, la moutarde lui monte au nez. “Non ! plaide-t-il. Les Oléronais ne méprisent pas les gens. Ils ne considèrent pas les gens du continent comme des sous-citoyens. C’est une bagarre politique, c’est une question de société qui se joue ici.”
Il est vrai que, depuis un an, Corinne, ragaillardie par les conseils de son avocat et les soutiens de ses voisins, a lancé un collectif et convoqué quelques médias locaux, dont Sud-Ouest. Mais rien de tout cela ne s’apparente au mouvement identitaire ou indépendantiste.
Quand les médias s’emballent
Peu à peu, les articles de la presse régionale et autres vidéos Youtube font leur petit buzz de chemin sur les réseaux sociaux. Il suffira que l’histoire soit reprise par l’AFP pour que tout s’emballe.
“Soudain, se souvient Papineau, toutes les caméras ont débarqué. TF1, M6, France 2, FranceInfo… Un gars du New Yorker est même venu. Il m’a appelé. Ils ont tous appelé. Et quand ils ont vu que Corinne, c’était LA bonne cliente : grande gueule, sympa, typique, avec de la gouaille, etc., ils ont rappliqué encore plus nombreux ! Y avait un monde fou !”
Heureusement, le garçon a l’habitude des emballements médiatiques : des campagnes électorales municipales et législatives lui ont fait le cuir. Pour autant, contenir le tsunami médiatique n’a pas été une mince affaire. “Les journalistes sont tous allés à 5 heures devant chez elle pour entendre le coq… qui ne chantait plus depuis bientôt un an !” Peine perdue… ou presque, Corinne, ayant accepté tous les entretiens et les photos. “On s’était quand même vus avant pour se caler sur un storytelling.”
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Son nom et ses mots ont ainsi fait le tour du monde, pour être aussi vite oubliés. “Pour moi, cette affaire n’aura changé qu’une chose : désormais, dans le coin, tout le monde sait que je suis avocat. Un métier qui devient, jour après jour, une véritable passion. “Je m’y sens libre, sourit-il. J’aide mes clients, je dis ce que je pense, je tente de réparer les injustices. On cherche tous la même chose : être soi-même et se sentir utile”. / Jacques Tiberi