Après trois ans au contact du public, Le Zéphyr évolue. Le temps était venu de préciser notre concept, de pivoter, pour mieux répondre aux attentes de nos lecteurs.

les couvertures du Zéphyr

Printemps 2018. Au café La Fac, dans le quartier parisien de Jussieu, la conf’ de rédac’ s’éternise. Verres et tasses envahissent la table. On commente l’hécatombe de magazines (Ebdo, Vraiment, Causette, l’Imprevu, 24h01, Buzzfeed France… dont on salue les rédactions et les fondateurs, pour les petits derniers) et le naufrage de Presstalis. Sur la nappe en papier, quelqu’un a tracé un Z – qui veut dire zéphyr – et un « ? ». Quel avenir pour notre média en ligne ?

Buzz overdose

Pour y répondre, il faut se replonger dans le contexte. Même si certaines rédac’ tentent d’innover, expérimentent, la situation est compliquée. Les pigistes bouclent difficilement les fins de mois. Les médias sont en crise, ne gagnent plus d’argent, perdent la confiance des lecteurs. On retrouve souvent les mêmes titres, les même accroches, les mêmes angles, outre le fait que les rédactions pompent des dépêches AFP.

Et nous ?

– Un matin d’ennui où je traînais sur LinkedIn, j’ai découvert « La recette pour créer un buzz content » (l’article de blog qui rameute le visiteur unique, booste les stat’ et dégage de la thune).

– Cela dit quoi ?

« La recette contient 4 ingrédients :

1/Une info simple, pour un article court et lisible dans le métro à l’heure de pointe.

2/Des faits faciles à obtenir et copier-coller depuis d’autres articles francophones ou étrangers.

3/Une histoire émouvante et ou polémique.

4/Une thématique liée à une communauté qui relayera activement l’info (Macron-haters, vegan, féministe, fans d’Orelsan, sportifs, LGBT…). Exemple : une vidéo « Brut » (que la rédac apprécie, d’ailleurs). »

-C’est juste l’opposé de notre ligne éditoriale !

– Donc, question : notre positionnement est-il suicidaire ?

Pause. Reformulons. Comment raconter le réel quand tout s’emmêle : la com’ et l’info, le mensonge et l’opinion ? Comment penser un site d’info journalistique dans un univers numérique conçu par et pour l’émotion, l’infotainment ou encore le brand content ?

Petit retour en arrière. À l’origine du Zéphyr, il y a le désir de créer un média qui va à la rencontre des gens. Un média qui voit le monde à travers le reflet d’un regard ou le miroir d’un parcours.

Nous voulions sortir des sentiers de l’actualité. Nous voulions faire ce pas de côté qui éclaire les choses sous un angle nouveau. Nous voulions prendre ce temps de recul qui manque tant. Mettre l’humain au coeur de l’info. 

On a donc fait le choix d’un journalisme de terrain, artisanal, littéraire et intensément curieux. Un journalisme alter-narratif, qui parle d’autre chose et autrement : en toute subjectivité. Ce projet, nous l’avions résumé en une formule forte : « le média des aventures humaines ».

Portraits + Aventures humaines

Trois ans que notre site poursuit son petit bonhomme de chemin. Jusqu’ici, Le Zéphyr était pensé comme une « œuvre d’utilité publique ». Il lui manquait encore, peut-être, une vision commerciale, une approche « produit ».

– Jusqu’ici, les seuls sites d’info qui survivent sont ceux qui font un choix clair. Mediapart fait de l’investigation, Les Jours font leurs obsessions, brief.me fait des newsletters… Il faut qu’on se trouve une niche aussi…

« Raconter des aventures humaines », c’est déjà un parti pris fort, avec un storytelling clair…je trouve !

– Mais c’est encore trop universel, trop généraliste, le lecteur ne sait pas vraiment ce qu’il va trouver chez nous… Tu savais que Paris Match titrait 50 ans d’aventures humaines pour fêter son anniversaire ? VSD aussi, je crois. 

– Et alors ?

-Eh bien : quand je dis « On est un média d’aventures humaines », les gens me regardent comme ça (il fait la moue)… je suis obligé de préciser.

À la recherche d’inspiration, on entrouvre des magazines qui traînent sur la table. Le temps presse. Chacun de nous doit regagner ses pénates. Souvent, on communique par téléphone, e-mail, sms ou google drive. Or, là, nous nous sommes réunis pour prendre une décision.

– Je remarque que, depuis quelques mois, on ne fait presque plus que des « Paroles » (une rubrique consacrée aux interviews et aux portraits, qui permet de parler des gens croisés sur la route). On pourrait se spécialiser officiellement là-dedans !

Silence réflexif.

– Ok. Mais c’est un choix technique. Quand Warhol a créé Interview, il n’a pas juste demandé à Gerard Malanga : « Fais-moi un magazine d’interviews. » Il a aussi dit : « Faut que ce soit la boule de cristal de la pop culture. » Donc il y avait à la fois un choix sur la forme et sur le fond. Pour info, depuis 2008 Interview a abandonné la « contre-culture » pour se la jouer « vitrine fashion ». Conséquence : le mag a arrêté de publier en avril 2018.

-Bon, faisons ce qu’on a toujours fait. Parlons de ceux dont personne ne parle !

Le média qui va à la rencontre de ceux dont on ne parle pas. » Désolé, mais même moi j’achète pas…

-Quand on fait des « Paroles » on fait des interviews et des portraits, ok ?

-Ouaip.

-Moi j’aime bien les portraits. Parfois j’achète Libé juste pour la dernière page.

L’un de nous fait une rapide recherche sur son smartphone avec les mots clés : « magazine + portraits ».

– D’après ce que je vois, il n’y a qu’un magazine spécialisé dans les portraits et c’est un magazine sur la photo. On a donc une niche…

– Mais j’aime bien aussi « Les graines » (une rubrique réservée aux porteurs de projets souvent durables ou solidaires).

– Alors faisons des « portraits inspirants » de gens qui changent le monde, etc.

– Désolé, mais tout le monde fait ça ! Reporterre, le Journal Minimal, WeDemain, Up, l’Optimiste, nos amis de La part du colibri, et maintenant les généralistes aussi…

– Oui, le journalisme positif c’est à la mode, mais…

-Perso, j’ai envie de faire aussi des portraits de salauds ! Pas toi ?

– Donc, un mag en ligne généraliste et spécialisé dans le portrait…

– Oui. L’avantage c’est que le portrait est un genre assez rare en ligne. 

-Et quitte à y aller franco, si on se concentre sur les portraits, autant le faire aussi pour nos feuilletons littéraires. (Le Zéphyr en a publié quelques uns depuis 2016.)

– Yep. Des portraits imaginaires, voire du futur. De la science-fiction.

– Ok, donc ce serait : « le mag qui part à la rencontre »… On revient au projet de départ du Zéphyr. La boucle est bouclée.

– Euh, oui, oui, mais attention à ne pas faire un mag pour nous, mais pour les lecteurs. 

Bon sang ! Qu’aurait bien pu imaginer Jean-François Bizot, père du cultissime Actuel, notre père spirituel ?

La serveuse nous tourne autour… il est l’heure de commander des sandwichs.

F-A-Q

C’est triste, mais je crois bien que personne n’a jamais réussi en se contentant de créer le média de ses rêves. Même pas Hugh Hefner, fondateur de Playboy, qui ne cesse pourtant de le dire à longueur d’interview. Le magazine dont rêvait Hefner était Esquire – pour lequel il a d’ailleurs travaillé et dont il a rapidement démissionné, déçu par le conservatisme de la ligne éditoriale. Hefner a alors imaginé un magazine qui oserait publier tout ce qu’Esquire n’osait pas imprimer. À quoi servait le playboy des années 50 ? À montrer qu’une autre société était possible, où le sexe était libre, où les noirs étaient égaux aux blancs, où on pouvait s’amuser. Playboy a réécrit le rêve américain. Non, ce n’était pas le magazine dont rêvait Hefner. C’était celui dont rêvait l’Amérique. Fermons la parenthèse.

Revenons à notre brainstorming jambon-beurre.

– Alors, au final, à quoi sert Le Zéphyr ?

– À parler de gens que les autres journaux n’évoque pas ; mais dont la vie et les projets, représentent une aventure humaine forte, qui éclaire l’actualité. 

– Oui, c’est ça : raconter la vie de marginaux, de migrants, de dissidents, d’oubliés du PAF… !

Et, pour celles et ceux dont le nom est évoqué dans les médias, il faudra imaginer un angle neuf, ou révéler un pan méconnu de leur personnalité. Comme ce qu’on avait fait avec la passion de l’humoriste Yves Lecoq pour les vieilles pierres.

– Le défi, sera que chaque article soit un instant d’évasion, ou plutôt d’immersion dans la vie d’un autre. Que ça apporte un autre « Regard sur le monde actuel » – j’adore ce titre de ces carnets de Paul Valéry.

– Il faut offrir aux lecteurs une bulle d’inédit, d’émotion et d’inspiration.

Comment traduire cette promesse en quelques mots ? Longtemps, la formule « rencontrez l’actualité ! » nous trotta dans la tête. Mais on nous rappela, à juste titre, que l’actualité ne nous concerne pas. Certes, nos papiers « font écho à l’actu ». Mais leur caractère intemporel, et parfois universel, leurs permettent d’illustrer un grand nombre de faits d’actualité et d’événements.

Ainsi, en pleine coupe du monde, nous parlons d’un footballeur kurde devenu capitaine d’une équipe suédoise. Lors d’un vote d’une énième « loi handicap », on rappelle l’histoire d’un homme en fauteuil roulant, en guerre contre une bureaucratie si froide. Lors d’un épisode de canicule, on reparle des victimes de l’hiver 1952 à Londres, emportées par un brouillard meurtrier. Un événement majeur de gamers ? On en rencontre un pour qu’il nous parle de son quotidien… Ces papiers fonctionnent bien, ils sont partagés sur les réseaux.

 

 

Slow & Curious

Il pleut, et l’auberge est bondée. D’un simple rendez-vous pour choisir le template de notre nouveau site, le débat a donc dévié – comme toujours – vers un échange autour de la définition de notre ligne, de la promesse éditoriale, de l’éternelle question : « Sommes-nous un slow média ? ».
– Alors ?
– Je ne sais pas à partir de quand on commence à être slow.
– Le slow, c’est plutôt une attitude. Un autre rapport à l’actu. On se jette pas sur le truc comme des morts de faim.
– Ok, donc l’idée serait d’être dans le « No scoop » ?
– Je dirais plutôt le « pas de côté ». Pendant les J.O., on va faire un truc sur les Jeux paralympiques ou sur un athlète latino-américain qui est aussi maire de son village… Quelque chose de décalé.
– Donc slow = alter-narratif ? On raconte d’autres choses et autrement.
– On peut dire ça, même si je n’aime pas le mot alter-narratif.
Au début de l’été, cet échange nous revient lors d’une nouvelle entrevue. On est en pleine affaire Benalla. Le Zéphyr aurait-il pu la traiter ?
– Si je m’en tenais à notre définition du slow et à notre concept alter-narratif, je dirais : « Oui,  mais autrement. »
– Mais, dans ce cas, où poser le pied, après le pas de côté ?
– Eh bien… Faisons l’inverse des autres, prenons le contre-pied. Sortons de l’hystérie et du bashing… Par exemple, on pourrait faire témoigner un ancien garde du corps, pour qu’il explique la relation privilégiée qui peut exister entre Macron et Benalla… Ou imaginer un feuilleton qui raconte le quotidien d’un garde du corps à la recherche d’un taf, qui se cherche un chef… (un papier qu’on verra en une du Zéphyr, ndlr)
 
-C’est comme une boule à neige : tu retournes l’actu et tu vois ce qui remonte à la surface ! / Jacques Tiberi

À suivre… par ici.