Jonk parcourt le monde sur les traces des lieux abandonnés par les humains. Le photographe, qui sort en ce printemps Naturalia II, aime les capturer et les immortaliser pour la bonne cause.
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Jonk les traque sur tous les territoires, tous les continents. Son obsession : trouver des zones que les humains ont abandonnées. Le temps est passé, et les végétaux ont repris leurs droits au milieu des bâtiments en ruine ou au pied des murs démolis. Ses photos qu’il a rassemblées dans un livre, magnifique, en témoignent. « La nature est plus forte que nous », explique Jonk dans cet entretien dans lequel il évoque ses aventures et son engagement.
« La nature reprend sa place, c’est universel »
Comment t’est venue cette envie de photographier ces lieux abandonnés ?
Jonk : C’est le fruit d’un long cheminement. Je photographiais au départ des graffitis de rue, et je remarquais souvent que les graffeurs recherchaient des lieux abandonnés afin d’être plus tranquilles pour réaliser leur art. Ainsi, je me suis mis à chercher ces zones laissées à l’abandon pour traquer et capturer les graffitis. Et j’ai réalisé que j’aimais bien les ambiances dans ces endroits. Alors je les ai photographiés, même s’il n’y avait pas de tags. Voilà comment l’histoire a démarré.
Qu’est-ce que ça représente pour toi ?
J’aime observer le temps qui est passé, son impact sur le mobilier, le fer qui rouille, la peinture écaillée, le verre brisé. Et la conséquence, aussi : la nature qui revient. C’est magnifique et ça représente ma vision de la beauté. Ça parle à mon œil de photographe. Puis, cela fait ressortir ma sensibilité écologique. Il y a un aspect quasiment philosophique. Cela nous pousse à réfléchir au sujet de la place des humains sur Terre. Je trouve que ce type de photos permet de se rendre compte qu’il faut être capables de se sentir humbles. Car, ce qui est sûr, c’est que la nature est plus forte que nous. Quoique les femmes et les hommes fabriquent, s’ils disparaissent, les végétaux reviennent. La nature reprend sa place. C’est universel, d’où mes voyages un peu partout sur Terre. Ce qui me plait également, outre le plaisir de me déplacer, c’est de montrer la diversité des végétaux en fonction des territoires, des continents, du climat.
Tu voyages ainsi uniquement dans le but de traquer ces photos…
Tout à fait. Tous les voyages sont prévus pour ces photos de friches et ils sont organisés. Je me déplace quelque part car je sais que j’y trouverai en principe des zones abandonnées. Je les ai repérées à l’avance. Mais les surprises peuvent être nombreuses : un lieu est démoli, barricadé ou au final moins intéressant qu’il en avait au départ l’air. Il faut faire avec. Par exemple, au Japon, j’avais repéré un parc aquatique, dans une jungle. Je suis arrivé sur place et il était en train d’être démoli. C’était sécurisé, je ne pouvais pas entrer à l’intérieur. J’avais vu des photos avant de partir, c’était extraordinaire. Cela a été une énorme déception. J’étais dégoûté.
Or, il peut y avoir de belles surprises aussi. Quand je vais d’un point A à un point B, je peux tomber, entre les deux, sur une friche au bord de la route. Finalement, l’itinéraire prévu à l’avance ne reflète jamais le contenu de la carte-mémoire à la fin du road-trip. S’y ajoutent les lieux dégotés au hasard. Les rencontres m’aident aussi, les gens que je croise me donnent des idées d’adresses qu’ils connaissent…
« Parfois des problèmes d’héritage »
Mais, concrètement, ces lieux, comment les déniches-tu ?
C’est un travail fastidieux. J’ai trois méthodes. La première, la plus importante : tout simplement, Google Maps. En vue satellite, je zoome et scrolle sur les pistes de jardins en friche, de toitures éventrées, écroulées. En fouillant, je peux tomber sur une centaine de lieux rien que sur un petit pays comme l’Arménie. Une fois que j’ai répertorié de nombreuses adresses, je sélectionne les plus prometteuses. Je me rends sur place, je loue une voiture, puis checke, lieu après lieu. Ensuite, je peux me servir de blogs de voyageurs ; souvent, ces derniers parlent des bâtiments abandonnés qu’ils ont trouvés, car cela sort des sentiers battus. Enfin, d’autres photographes spécialisés dans le même domaine peuvent me donner des adresses.
Est-ce que cela te donne envie d’en savoir plus sur l’histoire des lieux que tu photographies ?
Oui, mais je n’ai hélas pas le temps de me pencher là-dessus. C’est un long travail. En ce qui concerne les châteaux, par exemple, on peut trouver des informations. Mais je manque de temps. Et je reste photographe, pas reporter ou historien.
Comment expliquer que certains lieux soient « laissés de côté » par les humains ?
Souvent, ce sont des problèmes d’héritage, une personne hérite d’un domaine ou d’une résidence, mais cela lui coûte trop cher pour l’entretenir. Ou alors les pouvoirs publics n’ont pas d’argent pour entretenir tel ou tel lieu, et les années défilent. Mais, en réalité, il y a autant de raisons que de lieux abandonnés.
Quels pays as-tu aimé visiter ?
J’ai une passion pour l’architecture soviétique. J’aime parcourir les pays de l’ex-Urss, et j’en ai d’ailleurs tiré un livre, Goodbye Lenin, dans lequel je publie des photographies de lieux abandonnés en Europe de l’Est. Or, il y a aussi la partie Caucase : Géorgie, Azerbaïdjan… J’y suis allé en 2019, et je devrais y retourner bientôt, des voyages ayant été reportés en raison de la pandémie. Sans oublier l’Asie centrale aussi (Kazakhstan, Tadjikistan, etc.).
J’ai vraiment envie de poursuivre dans cette voie. Il y a tant à explorer au niveau de ces friches soviétiques. Je les appelle des « capsules temporelles ». C’est par exemple une statue de Lénine en désuétude, ou alors les slogans en haut des immeubles oubliés.
En outre, je trouve que la nature en Asie est belle, luxuriante. Au Japon, en Malaisie, je trouve des lieux incroyables, j’ai hâte d’y retourner, aussi.
« On est abreuvés d’images »
Les photos de lieux abandonnés, tu les diffuses dans tes livres, tu les vends sur ton site, et tu as lancé une exposition itinérante…
En 2018, j’ai sorti Naturalia, qui rassemble des clichés des années 2014-2017, là, le tome 2 regroupe la période 2017-2019. Et il y en aura d’autres, je l’espère. Le prochain numéro devrait être finalisé dans trois ans. C’est un projet de long terme.
Ces photos, je les montre également au travers d’une exposition itinérante, elle rassemble 20 photos de la série. Du coup, je peux montrer mon travail et diffuser le message qui lui est associé : la nature est plus forte et, quoi qu’il advienne de l’Homme, elle sera toujours là. J’ai pu exposer au siège de l’OCDE, à la médiathèque du forum des Halles ou à la Fondation de Nicolas Hulot à Paris, puis dans un domaine viticole du sud de la France. Depuis janvier dernier, les photos se trouvent au siège parisien d’EDF.
Quels retours as-tu des personnes qui voient l’exposition ?
De par la période de distanciation sociale, j’en ai moins que d’habitude, mais tout de même, j’ai des échos plutôt positifs. J’entends que l’esthétique des photos est appréciée. Il est en revanche plus rare que les gens s’attardent sur le sens des photos, sur le message qui est véhiculé. C’est que l’on est abreuvés d’images, au quotidien… Mais, j’ai tout de même des retours. Les gens disent qu’il faut respecter la nature, qu’elle est bien plus forte que nous.
Et il y aussi quelques messages négatifs. Mais ce n’est pas pour critiquer les photos. Certaines personnes estiment qu’il est dommage d’abandonner tel ou tel lieu. Elles disent que c’est un « gâchis », dans le sens où ces bâtiments sont « habitables », et qu’on pourrait en profiter. Après, je peux comprendre ce point de vue-là.
Après une carrière dans la finance, pendant 10 ans, tu as choisi la voie de la photo, que tu as toujours pratiquée. Et tu as également lancé ta maison d’édition. Pourquoi ?
Première raison : être plus libre, sortir des livres véritablement souhaités, sans avoir à faire des concessions auprès d’éditeurs. Ensuite, démarcher des maisons d’édition prend un temps fou, et j’ai plein de projets de livres et pas de temps à perdre, en quelque sorte… Il y aussi l’aspect financier : en tant qu’auteur, passer par des maisons d’édition ne rapporte quasi rien.
Pour l’heure, le but du jeu est d’éditer un livre par an. Mais je pense aussi à éditer d’autres personnes, des livres artistiques, des ouvrages de photographies par exemple autour du street-art, de l’art urbain, un domaine qui m’est cher. / Propos recueillis par Frédéric Emmerich
Retrouvez le site du photographe Jonk.