Vous n’avez peut-être jamais vu Simone Hérault, mais vous l’avez déjà entendue. Elle prête sa voix depuis près de 40 ans aux annonces sonores des gares de France.

 

écoutez la voix de Simone et le podcast de cet entretien.

 

les couvertures du Zéphyr

Un de ses plus grandes tubes s’intitule : « Madame, Monsieur, voie C, attention au passage d’un train, éloignez vous de la bordure du quai, s’il vous plaît. » Son prénom est Simone. Elle est la voix du rail ! 

C’est une icône inconnue – et discrète – du paysage audiovisuel français. Je me croyais alors original en interviewant la femme qui se cache derrière la voix dont l’écho guide les voyageurs vers leur train depuis 40 ans… Grossière erreur : « Ce n’est pas tellement innovant ! sourit cette jeune sexagénaire, en allongeant son café d’un verre d’eau. J’en croise beaucoup des journalistes, des étudiants… J’ai enregistré pour des jeux sur TF1, pour Thomas Sotto, et je vais même passer sur Voltage FM ! » Oui, répliqué-je, piqué dans mon amour propre, mais tous ces gens n’en veulent qu’à votre voix. Moi c’est Simone qui m’intéresse !

« J’ai travaillé à FIP pendant 30 ans »

Alors, qui est Simone Hérault ? C’est avant tout une femme de radio qui sévit depuis les années 1970 derrière les micros de FIP (France Inter Paris), à jouer les animatrices – ou les fipettes comme on disait alors ! « J’ai d’abord commencé à travailler bénévolement pour l’ORTF. J’avais 19 ans. J’ai débuté aux dépêches à France Culture, puis j’ai passé une audition pour entrer à FIP, qui venait de démarrer. Et j’ai été prise. Ça a été un des plus beaux jours de ma vie. Une explosion. J’ai sauté en l’air, c’était génial ! Puis j’ai travaillé à FIP pendant 30 ans. »

Ce métier est tellement ancré en elle, qu’elle s’agace du moindre choc sonore, d’un simple bouton de manche qui cogne contre un coin de table – le genre de tac qui résonne au micro et vous gâche une prise. Elle insiste, à raison, pour que nous quittions le bar si bruyant dans lequel nous nous trouvons. Mieux vaut enregistrer chez elle une interview “propre”. À notre arrivée, elle renvoie le chat à son panier et ferme la fenêtre, pour assurer le silence. « Vous voulez qu’on fasse un essai de voix ? », demande-t-elle.

« Merci papa ! »

C’est peut-être cette rigueur professionnelle qui, en 1981, lui a fait remporter le casting organisé par la SNCF. « L’entreprise avait décidé de changer ses voix. Et j’ai été prise, avec une consœur. Mais, même si j’ai travaillé pour les annonces de la SNCF, j’ai continué à être animatrice à FIP jusqu’en 2000. Je n’ai pas subi de test, ni d’étude sur ma voix. Ils se sont rendu compte que ma voix passait bien. Tout ce que je peux dire c’est que ma voix a naturellement des qualités techniques qui font qu’elle passe bien dans un univers très bruyant. Il y a quelques années, j’ai d’ailleurs participé à des analyses scientifiques, qui ont confirmé cette particularité. »

Mais la nature ne peut tout expliquer. Ce talent vocal, Simone Hérault l’a aussi forgé à force de travail. « Mon premier professeur fut mon père qui m’a pourri la vie… Merci papa ! Pendant toute mon enfance, il a tout fait pour que je parle en articulant le mieux possible et dans un français correct. Mon père était né au tout début du siècle avec une éducation rigoureuse, dans un petit village d’Auvergne, puis il est devenu ingénieur et s’est occupé de brasseries, et il est parti en Indochine. Pour lui, bien parler était un symbole de réussite et un outil de réussite. Et, grâce à lui, j’ai pu faire de ma voix mon métier. »

Retour en 1981. Simone enregistre ses premières annonces sur bande magnétique. Eh oui, c’était avant les ordinateurs. « J’allais dans un superbe centre audiovisuel à Saint-Ouen, en région parisienne, où se tournaient tous les films sur les grands travaux de la SNCF (ensuite tout a été externalisé à Montparnasse). On m’a créé une cabine insonorisée. Là, j’ai enregistré tous les noms des gares, dans différentes intonations, ainsi que les mots communs, les messages pour les personnes à mobilité réduite, et les messages téléphoniques à vocation interne et externe… Ma voix est un peu partout. Je me suis appliquée au maximum pour que les annonces soient irréprochables. J’y ai mis tout mon cœur et toute ma technique. On travaillait avec un ingé son remarquable. Ensemble, on étudiait les textes de la séance et on discutait de modifications. Ça se faisait à deux, comme ça. »

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Ma voix fait partie du décor d’une gare »

J’essaie d’éviter le jargon de la SNCF dans les annonces. Les cheminots ont leur langage à eux… Mais pour les voyageurs – je n’arrive pas à dire « client », il n’y a rien à faire ! –, il vaut mieux être simple. Par exemple, autrefois, on disait : “Attention à la fermeture automatique des portières.” Aujourd’hui, on dit : “Prenez garde à la fermeture des portes.” Le changement, on l’a décidé comme ça, un jour. Ou bien, une fois on me demande de dire : “Attention au passage du train sans arrêt. » Ce qui ne veut rien dire pour moi… Un train sans arrêt, c’est un train qui n’arrête pas de passer ! Donc j’ai transformé ça en : “Attention au passage du train.” Et c’est resté. Aujourd’hui, j’y retourne toujours, une fois par mois : il y a encore énormément de choses à enregistrer. »

Et, soudain, un jour de 1981, Simone a entendu sa voix emplir un hall de gare. « C’était il y a 37 ans environ. Mais quand je m’entends aujourd’hui, ça me fait le même effet ! Je suis toujours étonnée, amusée… Voilà, je suis Simone, je suis la voix de la SNCF ! Il n’y a que moi qui ait ce métier-là. C’est un phénomène qui me dépasse complètement. Ma voix fait partie du décor d’une gare. Elle vit sa vie. Elle est perçue comme quelque chose de vivant, d’apaisant, de maternel et qui accompagne. »

Au-delà de sa voix, Simone elle-même fait partie de l’image de la SNCF. « Je suis devenue une cheminote de cœur. J’ai un amour pour l’entreprise, les cheminots et les voyageurs. Il s’est construit au fil des rencontres, des événements, aux quatre coins du pays. Au fil du temps, j’ai rencontré de plus en plus de voyageurs et de cheminots. Il n’y a pas une occasion où je ne m’arrête pas dans une gare sans aller voir les agents, parce qu’ils me connaissent. C’est toujours quelque chose d’inattendu et d’extraordinaire. Aujourd’hui, je continue à faire des animations : Guillaume Pépy (ex-patron de la SNCF) m’a demandé de co-animer la cérémonie des 80 ans de la SNCF en 2018. J’ai aussi participé à l’émission Complément d’enquête de Thomas Sotto sur le train. Mais, quand on me demande de venir dans certaines émissions, comme Touche pas à mon poste (C8), je n’ai pas très envie. Il y aura forcément des moqueries contre la SNCF… »

Au fur et à mesure, sa voix est devenue une véritable icône. On la retrouve dans un épisode du dessin animé du Petit Prince,  et dans des courts métrages. « J’ai même fait une vidéo pour le youtubeur Justin, comme si je faisais mes annonces en direct tout au long de la journée. »

On la retrouve aussi dans des comédies musicales : « Il y a 20 ans, un jeune homme avait un gros chagrin dans une gare, a entendu ma voix mêlée à une chanson jouée dans son écouteur. Et ce mélange l’a marqué. Il m’a écrit. Et désormais ma voix se trouve dans les comédies musicales qu’il met en scène. »

Sa voix est aussi au cœur d’une nouvelle de l’écrivaine Annie Saumont, prix Goncourt de la nouvelle en 1981… « Elle imagine un homme qui envisage de se jeter sous un train et abandonne son projet de suicide en entendant le message : “Éloignez-vous du bord du quai… » Puis celui-ci se met en tête de me retrouver. Et la nouvelle devient une enquête. »

E-mone

« Je comprends que ma voix soit aimée, comme une voix de chanteur. C’est plus qu’une image. Et tant mieux ! Parce que la voix ne vieillit pas, et l’image, oui. Ce qu’il y a de bien avec ma voix, c’est qu’elle est ni belle, ni moche, elle est normale. Et ça me permet de durer. Les gens aiment l’écouter. »

Avec le temps, Simone Hérault s’est convaincue que sa voix pouvait apporter du plaisir aux gens. Finalement, en 2001 et après 30 ans de radio, elle a réalisé son rêve de gamine : devenir comédienne. « J’ai fondé une compagnie de lecture, intitulée Lire Autrement et je fais des spectacles littéraires. Je lis les auteurs, seule ou accompagnée de musiciens. J’ai aussi enregistré des livres, ou plutôt des concepts littéraires qui mêlent lecture et musique autour d’un auteur ou d’un musicien. C’est vraiment merveilleux. »

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Écouter sa voix résonner dans les gares lui procure-t-il un sentiment d’éternité ? Je pose la question en prenant des airs germanopratins. « Oh, il est possible que ma voix me survive, me répond-elle en tout humilité. Mais la SNCF peut tout aussi bien avoir envie de changer de voix, même si tout réenregistrer risque d’être difficile ! On basculera peut être sur ma voix de synthèse, e-mone. Elle a été fabriquée à partir de la mienne, et je fais tout pour qu’elle soit la plus naturelle possible. Mais il est important aussi que les contrôleurs prennent le micro. Ceux qui aiment le faire le font très bien, et c’est l’assurance que le vivant, que l’humain soit toujours là. » / Jacques Tiberi