Le 28 octobre 2018, Jair Bolsonaro, un militaire populiste, homophobe et misogyne, a été élu président du Brésil. Portrait d’un trublion marginal.
L’élection de Jair Bolsonaro avec 55% des voix – sans fraude apparente – a profondément divisé le Brésil. La personnalité, autoritaire et impulsive, du nouveau Président y est pour beaucoup.
Juché sur les épaules de ses supporters, Jair Bolsonaro, 63 ans, fend la foule, sourire aux lèvres. Soudain, un rictus déforme son visage : le député vient d’être poignardé. Nous sommes le 6 septembre 2018. Ce sera le tournant la campagne présidentielle brésilienne.
Fernando Haddad, candidat du Parti des travailleurs (PT), avait peu de chances de l’emporter. L’absence de Lula, figure mythique du PT, emprisonné pour son rôle dans l’affaire Lava-Jato (le plus grand scandale de corruption de l’histoire brésilienne) ouvrait déjà un boulevard aux populistes, dont Bolsonaro est le héros. Mais ce coup de poignard, donné par un militant de gauche (qui affirme avoir agi « sur ordre de Dieu ») conduit l’ancien militaire aux portes du pouvoir. Depuis son lit d’hôpital, le candidat du Parti social-libéral à la rhétorique incendiaire y voit l’occasion inespérée de jouer les victimes du système. Un rôle dans lequel il excelle depuis ses débuts en politique, dans les années 1980.
El capitão
Fils d’une immigré italienne et d’un dentiste alcoolique, Jair (ainsi prénommé en hommage à Jair Rosa Pinto, célèbre footballeur des années 40) étudie sur les bancs de l’académie militaire d’Agulhas Negras. Nous sommes en plein cœur de la dictature militaire initiée par le maréchal Castelo Branco. Le soldat de 22 ans, qui ne cache pas son ambition, grimpe rapidement les échelons, pour atteindre le grade de capitaine. Mais voici que la dictature prend fin, et, avec elle, son plan de carrière. Il décide donc de bifurquer et de se mettre à la politique.
Jair Bolsonaro y goûte pour la première fois, en 1986, dans une tribune publiée par le magazine de droite Veja. Il y dénonce la baisse des salaires des militaires. Une sortie qui lui vaudra 15 jours de trou pour insubordination. La même année, il est soupçonné d’être l’instigateur de l’opération « Voie sans issue », visant à faire exploser des bombes dans des bases militaires, jusqu’à l’obtention d’une hausse des salaires. Faute de preuves, il est relaxé par le tribunal militaire.
Tropical Trump
Cette affaire a assis sa popularité auprès des familles de flics et de militaires, un socle électoral qui votera pour lui lors des électipons municipales à Rio de Janeiro en 1988. Deux ans plus tard, il rafle un siège de député fédéral de Rio sur un discours patriotique, prônant le retour aux valeurs traditionnelles. Il conserve ce siège jusqu’à aujourd’hui. Et ce, malgré ses dérapages volontaires.
Ainsi, dès son arrivée à la Chambre des députés, il couvre les murs de son bureau de portraits de généraux de la dictature. Un simple préambule à ses 28 années de députation qu’il passera à multiplier les provocations. Petit florilège :
– Je veux rendre le fusil au producteur rural, parce que la carte de visite de l’envahisseur, c’est une cartouche de 247.
– La dictature militaire aurait dû assassiner quelque 30 000 personnes corrompues.
– Les noirs sont « malodorants » et « non éduqués ».
– La femme doit gagner un salaire moindre parce qu’elle tombe enceinte.
– Si un policier tue 10, 15, 20 personnes, il doit être décoré, pas poursuivi.
– Je préfèrerais voir mon fils tué dans un accident de voiture s’il était homosexuel.
– À une députée de gauche : “Jamais je ne te violerai, parce que tu ne le mérites pas…Tu es trop laide.”
– À l’ex-présidente Dilma Rousseff, en déposant son bulletin dans l’urne pour voter sa destitution : « Pour le colonel Carlos Alberto Brilhante Ustra, pour l’armée, et avant tout pour Dieu, je vote oui. » Carlos Ustra fut le militaire qui tortura personnellement Rousseff lors de son incarcération sous la dictature.
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« J’ai des préjugés et j’en suis fier »
Des saillies que ses électeurs considèrent comme « des traits d’humour incompris par les médias soumis à la dictature du politiquement correct qui veulent détruire le seul candidat honnête », peut-on lire sur la page Facebook de son fan club bolsomito/fc. Bref, Bolsonaro ose tout, tire à vue, et ça marche : en 2014, il est le député fédéral élu avec le plus de voix à Rio de Janeiro.
Lui-même revendique cette « franchise », affirmant « avoir des préjugés et en être très fier ». Jair s’attribue même, au début de sa campagne, le titre de Trump Tropical. Et pour mieux affirmer sa proximité avec le locataire de la Maison Blanche, il a récemment appelé à la fermeture de l’ambassade de Palestine au Brésil : un premier pas vers un renforcement des liens entre son pays et les États-Unis.
Tout comme Trump, Bolsonaro est soutenu par le courant le plus conservateur du pays, dit la « Bancada B.B.B. » (pour Balle, Bible, Bœuf), qui préserve les intérêts du complexe militaro-industriel, de l’agrobusiness et des églises évangélistes (il s’est fait baptiser en 2016 devant les caméras). Défenseur du libre-échange et de la privatisation des entreprises publiques, il avoue volontiers, en direct sur la chaîne Globo.tv, « ne rien comprendre » à l’économie et se contenter de « faire confiance à quelques gourous ». En réalité, son programme économique est simple : faire du Brésil un far west tropical entre les mains des grands propriétaires terriens.
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« Tout ça, c’est pour le show »
Dans un Brésil fortement fracturé par le chômage (13 % de la population) et le narcotrafic, son discours de fermeté contre la corruption et l’insécurité lui a assuré l’avantage sur son rival Fernando Haddad du Parti des travailleurs. « Bolsonaro est le produit d’une parole ultra-conservatrice qui s’est libérée en lien avec la crise économique et la perte de confiance des Brésiliens dans leurs élites », explique Gaspard Estrada, chercheur à Sciences po Paris.
Le témoignage que nous a accordé Pedro Da Silva Andrade, un quadragénaire de Rio, au chômage avec cinq enfants à charge confirme le commentaire. Pedro a longtemps prié « pour qu’un homme fort en finisse avec ce régime de corruption et redresse le pays. (Bolsonaro), c’est un patriote, un homme fort qui va redonner un sens à la devise de notre belle nation ». Quant aux déclarations choc du candidat, il nous explique que « tout ça, c’est pour le show », croit-il. « C’est pour vous, les médias, poursuit-il. Je ne pense pas qu’il soit sincère quand il prend son ton outrancier. Est-ce que vous pensez que Trump pense toutes les conneries qu’il profère ? »
BolsoMito
Ses idées conservatrices (contre la laïcité et l’avortement, pour le port d’armes, la peine de mort et le contrôle des naissances des individus pauvres) plaisent aussi aux 16-34 ans des classes moyennes et supérieures, dont il a recueilli environ 30 % des intentions de vote durant la campagne présidentielle.
Pour Martha, jeune cadre sup’ de São Paulo, BolsoMito [le « mythe Bolso » comme le surnomment ses fans, ndlr], voit le militaire comme l’ultime recours : « Tous les autres sont corrompus jusqu’à l’os. Si ce n’est pas lui, un autre bandit prendra le pouvoir. Et puis, la nouvelle génération n’a pas connu la dictature et se fiche de ses odes à tel général ou à Pinochet. »
Antisystème ?
« Bolsonaro est l’un de ceux qui profitent de ces crises multiples, économiques, sociales, politiques et démocratiques. Il a capté le ressentiment (populaire) et s’est transformé en candidat anti-système, ce qu’il n’est pourtant pas », analyse Christophe Ventura, chercheur à l’Institut des relations internationales, spécialisé dans l’Amérique latine. « C’est (plutôt) un dinosaure politique », précise le sociologue Sergio Abranches, expliquant que Bolsonaro cumule déjà sept mandats de député et que toute sa famille est dans la politique, à commencer par ses fils : Flávio, député de l’État de Rio de Janeiro, et Eduardo, député fédéral. Ce dernier a d’ailleurs rencontré Steve Bannon (l’ex-conseiller de Trump), à New York, l’été 2018.
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Un produit des haters
Serait-ce grâce aux conseils de Banon que le candidat brésilien excelle sur les réseaux sociaux ? Dans un pays où moins de 70 % de la population bénéficie d’une connexion, les réseaux sociaux permettent à Bolsonaro de capter l’attention des connectés : les jeunes et les plus aisés. Chaque jour, sur Facebook, il diffuse toute sorte de (fake ?) news à ses 6 millions d’abonnés. Quelques jour avant sa tentative d’assassinat, il publiait justement sur ce réseau social un vibrant appel à « mitrailler les militants du parti des travailleurs”. / Camille Andrade