Nous avons rencontré Hervé-Pierre Gustave, alias HPG, l’équivalent français de Rocco Siffredi et fort d’une carrière de plus de 25 ans dans le cinéma porno.
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Après avoir été un hardeur émérite, HPG devient réalisateur et producteur de ces parties de jambes en l’air filmographiques, puis se lance dans une carrière cinématographique plus conventionnelle, orthodoxe, traditionnelle – pour faire simple, du cinéma où ne sont pas mis en scènes des coïts en gros plan. Dans ce domaine, ses principaux faits d’armes sont, en 2006, On ne devrait pas exister, Les Mouvements du bassin en 2012, puis Fils de en 2014.
Nous voilà donc chez cet illustre monsieur, qui, vous l’aurez compris, n’usurpe pas le qualificatif de star du porno : un superbe loft du 11e arrondissement parisien, dont tout agent immobilier qui se respecte louerait les «beaux volumes». Décoré avec goût, des portraits de lui témoignent néanmoins de ce qu’il a la lucidité d’appeler son «nombrilisme forcené».
Courtois, pas obséquieux pour un rond (il nous invite à nous servir de l’eau au robinet si on a soif), le gars ne me semble pas non plus super chaleureux de prime abord : pas grave, on n’est pas venus là pour un cours de salamalecs. De toute façon, il nous avoue être de mauvaise humeur. S’engage alors une conversation à bâtons rompus, où HPG nous raconte sans filtre ni chichi ce qu’est son taf.
Le Zéphyr : Pourquoi le porno ?
HPG : Quand j’étais petit, je souffrais de tendresse, j’arrivais pas à draguer, donc j’ai commencé à me prostituer, et j’en suis venu au porno. Pour un mec stable, qui a des conquêtes féminines et est heureux sexuellement, y a d’autres métiers. Donc pourquoi le porno ? Parce que j’avais pas le choix pour sauter des nanas. Si t’es un mec équilibré, tu fais pas ce métier aussi longtemps – mais le déséquilibre me plaît : tous les mecs que j’aime bien ont une certaine forme de déséquilibre.
Le porno, c’est comme la boxe : faut être un peu con, rater ses études, savoir gâcher plein de choses, galvauder et avoir une forme de résistance psychologique. Tu peux pas être acteur porno et avoir une vie sexuelle très riche à côté, sinon tu meurs d’épuisement. Donc, moi, j’ai résolu le problème, je suis acteur porno. Mais je ne fais pas que ça, maintenant.
Pourquoi cette reconversion dans le cinéma tradi ?
J’y vois pas de différence fondamentale : y a une caméra, et quelqu’un qui est devant. Tu montres le sexe ou une certaine forme de cérébralité, t’utilises simplement des pudeurs différentes : dans le porno, c’est celle du corps. Dès que tu dis « action », t’as un rapport à la caméra, les enjeux sont les mêmes. Que je joue avec un acteur connu dans le tradi ou avec une actrice porno, j’ai la même démarche de respect ou d’irrespect. C’est plus simple de faire un porno qu’un film tradi parce que ça demande moins d’argent, et qu’il y a une machinerie qui est plus complexe dans le tradi… mais plus je vieillis et moins je classifie.
Pourquoi cette envie de montrer que tu sais cogiter ?
Si je veux montrer que je sais cogiter, c’est que je suis pas sûr de moi, et que j’ai des choses à prouver : c’est pas bien de ma part, mais ça doit être ça.
Ta démarche n’est peut-être pas celle d’Ovidie, l’actrice, qualifiée d’ « intello du porno ». Mais on a l’impression que vous voulez sortir de l’image : « Je suis qu’une bite qui sait bander. »
Même si j’étais que ça, je pense que je l’assumerais. J’ai pas de complexe par rapport à mon boulot, je fais pas du cinéma traditionnel pour me prouver que je peux faire autre chose : je le fais par une envie d’élargir mon champ d’action intellectuel et par plaisir parce que j’aime le cinéma. Je perds de l’argent dans le tradi, donc c’est pas par appât du gain que j’y vais. J’te dis, pour moi l’objet pornographique et l’objet cinématographique sont les mêmes. L’empire des sens, c’est un film qui a deux lectures : une masturbatoire et une plus classique, c’est un des seuls films qui arrive à bien mêler les deux. Quand je le regarde, je me demande pas si c’est porno ou pas porno.
C’est marrant ce que tu me dis : c’est clair que c’est un très grand film, mais j’ai pas tellement eu envie de me branler…
Ouais, mais moi, un simple sein m’excite… et puis c’est un film qui a une haute dose érotique. Y a la castration et tout ça, mais moi j’ai envie de me branler. C’est peut-être pour ça que je suis acteur porno.
Quand Olivier Py, qui fait plutôt dans l’intellectuel, fait appel à toi, c’est pour te demander d’avoir la gaule sur scène (en 2005, NDLR).
C’est sûr que bander sur une scène à Genève, on peut pas dire que ce soit intello, c’était juste une performance. J’y suis allé pour découvrir Genève et parce que j’aime bien le théâtre, je l’ai fait pour assister aux coulisses d’un opéra, regarder les gens travailler : c’est passionnant, on fait partie d’un tout.
Bander avec la sécurité de la caméra, j’imagine que c’est autre chose que d’avoir la gaule en live…
Avant je faisais du théâtre érotique, j’ai commencé comme ça quand j’avais 20 ans ; fallait que je bande devant des cars de touristes avec un projo braqué sur mon sexe, que je sois en érection rapidement, face à des comédiennes qui étaient loin de correspondre à ce que j’attendais. Y a un stress qui est dû au live, mais ça se gère, j’ai du métier.
Et pour cet opéra, tu te préparais en coulisses avec un magazine de cul.
Oui, et j’ai demandé le même pupitre que le chef d’orchestre, un liseré or pour me faire respecter. A la générale, il s’est passé un truc marrant : ils avaient mis un paravent, derrière lequel je commence à me masturber, et je dois monter juste à temps avec un gros masque de Minotaure. Le paravent tombe et le public voit un mec se masturber sur scène !
Ils étaient pas au courant, ni même certains techniciens, donc ça se met à gueuler à l’arrière-plateau, je prends mon livre, je vais dans l’escalier de secours, je continue à me masturber, et là, y a deux dames d’un certain âge en fourrure qui voient en plein opéra de Genève un mec se masturber avec un masque de Minotaure… Elles poussent des cris, mais moi j’arrive à monter sur scène. Ca a fait un gros scandale à Genève, le lendemain, on a failli se faire virer avec Olivier Py.
Comment sont utilisées les porno stars dans le tradi ? Est-ce que c’est une volonté pour vous de sortir du porno, ou est-ce que c’est le cinéma noble qui cherche à s’encanailler ?
Tu me poses des questions comme s’il fallait qu’on se prouve quelque chose, qu’on devait « se sortir » de quelque chose – t’as employé ce mot-là.
Ouais, tu m’as dit, tout à l’heure, vouloir faire du tradi pour élargir tes compétences.
Oui, par plaisir intellectuel, parce que dans le porno on est assez cons pour se ghettoïser tout seul. On n’a besoin de personne pour avoir un sentiment de culpabilité par rapport à notre métier, qui est lié à la prostitution. Il est noble, comme tous les autres : la noblesse d’un métier, c’est la façon dont tu l’exerces.
Je ne le nie aucunement, mais est-ce que faire du tradi, c’est une manière de sortir de votre ghetto, ou est-ce une volonté pour les gens du tradi d’aller vers quelque chose de plus cru, de plus voyou ?
Pendant une vingtaine d’années on devait être dix à se partager le business : on nous appelait partout et on était super bien payés. Les autres n’y arrivaient pas – y avait pas le Viagra et tout ça. Donc quand personne bandait, on nous appelait sur une ligne de secours et on arrivait, tu vois ? On était Bruce Willis qui sauvait le monde, mais c’est fini. Maintenant, et c’est tant mieux, les gens peuvent acheter leur caméra, faire leurs films eux-mêmes. L’accès est beaucoup plus simple : les gens se filment entre eux. Les seuls qui restent, ce sont les producteurs comme moi parce qu’on n’est pas nombreux – mais les acteurs, les actrices y en a plein maintenant.
Comment toi, et les hardeurs en général, vous êtes perçus par les gens qui sont pas du métier, et qui connaissent votre activité ?
Un jour, y a une nana avec qui j’avais bossé qui me reconnaît au supermarché, et son mec me reconnaît aussi – j’ai immédiatement compris que le gars ne savait pas qu’elle avait tourné avec moi ; donc son mec était vachement content d’être face à HPG, mais si j’avais dit bonjour à sa nana, ça l’aurait nettement moins fait marrer. Pour la blague, je suis allé prendre un concombre sous cellophane et je me suis amené vers eux, la fille était au bord de l’évanouissement.
Donc moi je suis un mec sympa, mais si j’avais embauché ta mère, ta sœur ou ton frère je te ferais déjà moins marrer.
Ceci étant dit, y a pas mal de gens qui me reconnaissent : les mecs viennent me dire bonjour, mais sinon on nous regarde avec amusement, c’est tout.
On ne vous prend pas pour des teubés qui savent juste bander ?
Franchement, on est loin d’être tous des lumières, hein… J’ai des collègues, ce sont des teubés qui savent que bander. Enfin des collègues… des gens que je connais, quoi. Y a beaucoup de mecs qui voudraient essayer – les garçons, ça les fascine. Ceux qui nous disent qu’on est des teubés, ils sont déjà dans un jugement et dans un a priori : dire ça de quelqu’un que tu ne connais pas, c’est un a priori qui peut dénoter une certaine forme de jalousie, ou en tout cas une méconnaissance de l’autre. Si on dit ça d’un hardeur, on peut aussi le dire d’un boulanger qui fait cuire son pain à ce moment-là.
Cet a priori, il est sûrement dû à ce que tu disais tout à l’heure sur les dialogues à chier, mal dits, mal joués…
Ouais, mais ça, le pauvre acteur qui joue comme une enclume il n’y est pour rien, c’est plutôt le réalisateur qu’il faut lyncher. C’est les réalisateurs qu’il faudrait emprisonner, pas les acteurs. Depardieu, mal dirigé, il va tourner en boucle ! Ça va être moins intéressant que s’il vient dans un bon texte comme Les valseuses.
Ce jugement-là, toi t’y es confronté ?
J’en ai rien à foutre. Tu sais, j’habite dans un loft, j’ai deux enfants, j’essaie d’avoir une vie honnête, tout ce que j’ai gagné je l’ai gagné avec ma bite donc celui qui me critique… il peut me critiquer, mais moi j’essaie de bien vivre, je m’en fous. J’ai l’impression que quand on me prend pour un con, j’y suis pour quelque chose. Mais j’ai pas la tête d’un mec qu’on prend pour un con rapidement. Je suis sensible à l’opinion des autres mais non, ça n’arrive pas souvent – ou alors je suis tellement con que je m’en aperçois pas.
Lire aussi : le portrait de Michel Alexandre, ex-flic, devenu scénariste. Il a tourné avec Tavernier, Téchiné et Corneau.
Qu’est ce qui motive tes choix professionnels et artistiques ? Mis à part baiser des porn stars.
Quand t’es jeune, c’est un facteur important : faire l’amour à des nanas plus ou moins jolies et plus ou moins connues. J’ai toujours accordé beaucoup d’importance au fait de bien faire son travail – j’adore voir un artisan travailler, par exemple. Dans le porno, faut bien faire son métier si tu veux durer : j’ai l’amour du travail bien fait, fût-il dans le porno.
Qu’est-ce qui m’empêcherait, moi, d’être acteur porno ?
Toi ? Un jour, y a un gars qui est venu avec un pénis comme ça (il mime une bite minuscule, ndlr) : j’ai pas osé lui dire, mais si, déjà, au troisième rang on te voit pas, vaut mieux pas que tu le fasses. À Genève, fallait quand même avoir un certain manche pour être vu au premier balcon. Donc la taille, c’est un critère. Et puis de Gaulle disait qu’on devient pas dictateur à 70 ans. T’aurais dû le faire avant, et si t’es pas producteur comme moi, t’arriveras pas à en vivre – maintenant, il ne s’agit plus de faire des scènes, mais de les vendre.
T’as fait un nombre incalculable de films : est-ce que c’est toujours aussi bien de baiser des putains de bombes ? Tout boulot finit par devenir routinier, non ?
À l’âge que j’ai, ce qui compte, c’est plus le physique, mais le désir de l’autre. J’ai fait le tour des mannequins, dans des sous-marins, dans des avions en plein vol… j’ai fait le tour du fantasque. Je t’ai dit, un simple sein me met en émoi. Je ne suis jamais blasé. Ni blasé, ni marqué… y en a que ça abîme, moi j’ai toujours ce côté jeune chien fou. Les mecs en société, ils ont toujours un profil, en général c’est la blonde aux gros seins mais l’intimité c’est autre chose. Et puis quelqu’un de froid au physique de mannequin…
Moi ce que je vends le mieux, ce sont les scènes avec des femmes matures qui ont des physiques hors-magazine. Moi, ce qui compte plutôt, c’est le côté « girl next door », j’évite d’être dans les stéréotypes. Et puis, je suis un homme : des éjaculations, je peux en avoir sans que ce soit l’orgasme ou le nirvana. C’est un tout, mais c’est surtout le plaisir de bien faire son travail. / Maxime Jacquet (photos : Elsa Dubreuil)