La proposition de l’instauration d’un revenu universel d’existence, cible de nombreuses critiques – utopique pour les uns, inefficace pour les autres – ne date pas d’hier. Voyage dans le passé.
« Le revenu universel ? C’est une idée qui vient de loin. » Attablé en terrasse dans un café en face du QG de campagne de Benoît Hamon, Julien Dourgnon a des petits yeux. Il faut dire qu’avec le « grand débat » avec les onze candidats qui a eu lieu la veille, le conseiller du candidat socialiste sur la question du revenu universel n’a pas chômé. Tout de même, elle revient sur les débuts de l’idée du revenu universel. « Thomas Paine est le premier contemporain à l’avoir pensé. Ça date de la fin du XVIIIème siècle. Il a constaté une pauvreté qui était très importante à cette époque, avec un énorme fossé entre riches et pauvres. Du coup, il s’est demandé : ‘’Est-ce dieu ou l’Homme qui a créé le droit de propriété ? » C’est l’Homme. »
En suivant ce raisonnement, l’intellectuel américain en vient à la conclusion que la richesse venant de la terre appartient à tout le monde. « En d’autres termes, c’est un bien commun », ajoute l’auteur de Revenu universel, pourquoi, comment ? (publié chez Institut Veblen, Les Petits matins). À cette valeur dite « primaire » de la terre, s’ajoute une valorisation de celle-ci par l’homme, via des techniques agricoles, par exemple. Si ce rendement « secondaire » est naturellement censé revenir au propriétaire la terre, à qui revient le rendement « primaire » ? « À personne, donc à tout le monde », répond Julien Dourgnon.
Le pauvre, l’ouvrier et le musicien
« Le revenu universel, c’est la part de cette richesse primaire qui revient à tout un chacun. À l’époque, Thomas Paine avait fait un calcul qui donnait un résultat en livres. » Voilà grosso modo en quoi consistait l’idée du revenu universel comme décrite dans Justice agraire, publié dans les années 1790. D’ailleurs, le nom de l’ouvrage fait écho à la vision que Julien a du revenu universel. « Les raisons pour lesquelles le revenu universel a été pensé à différentes époques sont toutes liées à la notion de justice, à une société juste. »
Pour Julien Dourgnon, « il y a trois conceptions de la justice ». Pour clarifier les choses, il pose une colle. « Imaginez que vous possédez une flûte. Une petite fille vient vous voir, et vous demande de lui donner la flûte parce qu’elle est la seule à ne pas avoir de jouet. Une deuxième vient vous voir et dit que c’est elle qui l’a fabriquée, et qu’il faut donc lui donner à elle. La troisième explique qu’elle est la seule des trois à savoir en jouer. A qui donnez-vous la flûte ? » Et bien selon lui, avec le revenu universel, la question ne se pose pas puisque toutes les filles pourront acheter leur flûte.
Montebourg y pense
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Bien sûr, depuis le XVIIIeme siècle, le raisonnement de Thomas Paine s’est adapté à son temps. Au XXe siècle, de nombreuses figures d’intellectuels, des prix Nobel d’économie James Mead et James Tobin, en passant par l’économiste Yoland Bresson et le philosophe Philippe Van Parijs, le revenu universel a traversé plusieurs esprits, dont celui de Martin Luther King. Dans un discours de 1967, il avançait d’ailleurs que cette idée allait certainement parcourir un « long chemin ». En 2012, l’idée emballe même Arnaud Montebourg, l’ancien ministre du Redressement productif, jadis conseillé par Julien Dorgnon, mais c’est son rival de Benoît Hamon qui va donc défendre l’idée.
Si le candidat malheureux à la primaire du PS avait l’air, un temps, hostile à ce concept, son ancien conseiller affirme qu’« Arnaud Montebourg a toujours pensé que c’était une idée intéressante, mais que c’était trop tôt pour qu’elle voit le jour ». Quant au candidat socialiste à la présidentielle, c’est à la suite d’échanges et de rencontres avec des intellectuels que le RU aurait germé dans sa tête. « À la base, Benoît Hamon était pour l’allocation autonomie des jeunes, mais ces discussions l’ont convaincu de son universalité ».
Il a revu sa copie
Pourtant, difficile de concevoir le raisonnement de Paine dans notre société moderne. Pour la campagne de 2017, il a bien évidemment été modifié. « Derrière chaque produit, il y a aujourd’hui beaucoup de travail immatériel qui nécessite l’intelligence humaine. C’est ce qui constitue le rendement « primaire ». Une partie de la valeur d’un produit revient à la société. Le revenu universel c’est une manière de rétribuer cette somme à tous les citoyens », déroule Julien. Il termine sa cigarette avant de conclure avec une formule déjà bien médiatisée : « Ce n’est pas une aide, c’est un dû. »
C’est le fer de lance du programme de Benoît Hamon: la proposition de verser 750 euros à tous les Français sans condition de ressources, pour donner du pouvoir d’achat et faire face à la raréfaction du travail qu’il ne cesse d’évoquer dans ses prises de parole. Seulement voilà, il a revu sa copie et amendé son revenu… qui est devenu moins universel. / Rémi Yang