Intagrist el-Ansari couvre les événements politiques du Mali pour différents médias internationaux. Dans Écho saharien, paru en 2014, il plonge dans ses souvenirs et dresse le portrait des habitants du Sahara qu’il a pu croiser, entre le Maroc, le Mali et l’Algérie. Rencontre avec un journaliste-poète.
Tant pour la presse que la télévision, Intagrist el-Ansari narre les conséquences des conflits qui touche son pays d’origine, mais analyse aussi les cultures sahariennes. En 2014, en parallèle à son activité de correspondant et de réalisateur dans le Nord-Ouest africain, cet adepte de poésie, publie un récit de voyage – effectué quelques années plus tôt pour rejoindre, depuis Paris, ses terres natales dans la région de Tombouctou, au Mali. Cela s’appelle Écho saharien (Éditions Langlois Cécile).
Pour Le Zéphyr, depuis la Mauritanie où il réside actuellement, il se penche sur les codes de beauté saharienne, mais aussi sur les relations physiques entre femmes et hommes.
Vous écrivez dans votre livre : « La beauté, c’est comme la douleur. Aguerri, on est toujours subjugué quand elle arrive. On est frappé et tout prend un sens unique. Plus rien d’autre ne compte, la beauté est stricte, entière et imposante. Elle est despotique, elle vous arrache parfois de vous et malgré vous-même. Quand je l’ai croisée, j’en ai été ébloui, eu le souffle coupé, sensation de syncope et d’arrêt cardiaque. » Qui vous a inspiré ce sentiment ?
Ces quelques vers, je les ai couchés sur le papier à Tombouctou, la destination finale de mon périple, qui avait eu pour point de départ Paris. Au détour d’une ruelle de la ville, j’ai rencontré une jeune dame, et, par un échange de regards très court, mais très intense entre nous, je me suis senti totalement dépourvu de mes forces. J’ai été pénétré par la beauté de son visage, la discrétion de son sourire, la perfection et le soin par lesquels ses traits étaient tracés. En rentrant chez moi, je me suis mis à méditer sur le sentiment qui nous traverse lorsque nous sommes en prise avec la beauté. Celle-ci est despotique, car elle est plus forte que tout, elle s’impose à vous et vous n’avez plus le choix, comme la foudre quand elle s’abat sur terre… Vous êtes éteint, lessivé, exténué, vidé, totalement assujetti !
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Description
Pouvez-vous nous la décrire ?
Elle avait entre 23 et 25 ans. Elle était de belle allure : 1m75, des formes parfaitement dessinées à travers son sari, le vêtement qui entoure généralement le corps des Sahariennes. Le mouvement de son corps était gracieux, libre au gré du flottement du léger tissu qui la recouvrait avec harmonie. L’élégance du balancement de ses longs bras s’accordait parfaitement avec la lenteur du mouvement de ses hanches. Sa démarche, naturelle, lente, agréable et non précipitée, ressemblait à une majestueuse danse. Le pan sur sa tête laissait entrevoir de longs cheveux noirs qui paraissaient soyeux. Son visage dégageait une certaine félicité, une douceur, une amabilité, une réserve et une assurance. Elle avait les traits fins. Ses grands yeux noirs scintillaient, ils touchaient le cœur avec une pénétrante et profonde affection. Son regard était vif et profond, il mêlait innocence et intensité. Je ne l’avais jamais vue auparavant et ne l’ai plus jamais croisée.
Code
Existe-t-il des codes de beauté propre au Sahara ?
Dans l’esprit des nomades sahariens (touaregs et maures), la belle femme est une femme « bien portante » physiquement. Elle est blanche à la manière saharienne, soit comparable à la couleur du miel – c’est une blancheur qui tire vers l’orange, le beige. Il faut imaginer les couleurs du sable, en opposition à la blancheur radicale de la neige. Toutefois, certaines Sahariennes sont franchement très blanches, notamment dans les parties désertiques où la base de l’alimentation est le lait de chamelle – très réputé pour donner un bel éclat au teint. Les traits de visage et des mains sont plutôt fins, elle est élégante, lente dans la démarche, et droite d’allure.
C’est alors que la dimension poétique ou verbale va prendre le relais pour exprimer la profondeur, l’intensité du désir. Ce qui m’intéresse avant tout, c’est la beauté du geste, comparable à une musique, une supplique ou un poème, qui vous traverse et vous habite un temps certain. Combien de fois ai-je ressassé un instant de grâce, perçu à un moment factice, presque fortuit ? C’est cette grâce là qui comble à mon sens bien plus longtemps qu’une relation physique passagère, certes importante, mais peut-être réductrice à bien des égards.
]Le visage parfait est plutôt fin, allongé, les lèvres bien dessinées, mais pas grosses ou pulpeuses, la joue lisse, les yeux humidifiés, comme si elles contenaient une goutte de larme. Et le summum est atteint quand le visage abrite aussi une fossette dans le creux de la joue et ou du menton. La belle femme est celle qui vous charme, qui vous ensorcelle. Une belle femme est généralement une femme généreuse par ce qu’elle donne de son cœur, de son âme. La belle femme, c’est celle qui vous inspire poésie, lyrisme en la rencontrant, en la voyant, en l’entendant, en la côtoyant… La belle femme, c’est la grâce des traits physiques et la noblesse du caractère.
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La beauté d’un homme
Et du côté des hommes ?
Il m’est aussi parfois arrivé de m’arrêter pour constater la beauté d’un homme, bien que mon penchant soit spécialement féminin. Ce sont souvent les mêmes caractéristiques : le visage fin, la profondeur du regard, l’élégance naturelle (du geste), voire l’humour, l’innocence, la douceur, l’amitié… Je peux par exemple parler de mon compagnon de voyage, qui est un homme de grande allure, le teint mat, avec une certaine envergure physique – il ne s’agit pas du modèle musclé qui fait le critère de beauté chez les urbains ou dans les sociétés occidentalisées -, le regard très intense, brûlant (brillant) et vif. Il a généralement beaucoup de succès auprès des femmes, aussi bien touarègues ou d’autres communautés.
C’est un homme « discret », voire intriguant ; il est d’une implacable fidélité en amitié, avec un côté très aventurier, mais il inspire confiance. Il a « l’image » du brave guerrier indomptable, mais aussi du doux et bienveillant romantique au grand cœur… En l’occurrence dans l’univers saharien (j’imagine aussi ailleurs), la beauté recherchée n’est pas que plastique…
Relation
Qu’en est-t-il des rapports entre les femmes et les hommes ?
La beauté et les rapports entre les genres se déploient le plus souvent sous l’angle de la séduction, de la poésie, avec beaucoup plus de temps, en comparaison (même si les règles ne sont jamais les mêmes) de ce que j’ai eu à côtoyer ailleurs : les sociétés noires africaines et occidentales. Ici, on peut s’aimer des années durant, sans même jamais se toucher, encore moins sans qu’il y ait des rapports physiques, par exemple… Je ne suis pas en train de dire qu’il n’y a pas d’exception à la règle, car il y en a, bien sûr. Mais je pense à des relations tactiles : on peut se rapprocher, se toucher, se caresser modestement… Les relations physiques restent extrêmement rares en dehors du couple marié. Il arrive de s’extasier devant la beauté de tel visage, pour telle partie du corps, ou pour la grâce d’un geste, d’une posture ou d’une allure.
C’est alors que la dimension poétique ou verbale va prendre le relais pour exprimer la profondeur, l’intensité du désir. Ce qui m’intéresse avant tout, c’est la beauté du geste, comparable à une musique, une supplique ou un poème, qui vous traverse et vous habite un temps certain. Combien de fois ai-je ressassé un instant de grâce, perçu à un moment factice, presque fortuit ? C’est cette grâce là qui comble à mon sens bien plus longtemps qu’une relation physique passagère, certes importante, mais peut-être réductrice à bien des égards.
Grâce
« Un instant de grâce », dites-vous…
Je vous donne un exemple. Un jour, lors de mon voyage, un jeune homme implorait avec obsession son amie de lui permettre de caresser son épaule recouverte de son sari. La jeune fille, qui jouait avec les ardeurs et les désirs enflammés de son amant, dit à ce dernier, en lui touchant légèrement la lèvre inférieure : « Jamais. Tu ne verras même pas un centimètre de mon corps, encore moins pourras-tu y promener ta main… » Elle le regarda profondément, lui lâchant un sourire séduisant. Le jeune désespéré lui répondit : « Ton secret attise l’ardeur de mon cœur qui brûle à grand feu, si j’en meurs tourmenté, au paradis, poser la tête sur ton épaule vaut l’éternel Amour des houris (personnages célestes ; selon la foi musulmane, des vierges au paradis, ndlr)… »
Ce jeu presque enfantin, mais aussi presque théâtral et coquin est très emblématique des rapports ou du jeu de séduction permanent entre hommes et femmes. C’est comme si le désir et l’abstinence des contacts (ou relations) physiques permettaient une élévation qui transcende l’esprit. C’est cette transcendance qui est à la base même de la poésie amoureuse saharienne, celle idéalisant sans cesse la beauté, la noblesse, l’élégance, le raffinement de l’être féminin.
Entretien publié initialement en 2017 / Philippe Lesaffre