Publié chez Glénat en 2020, François Suchel fait le récit de son trail de 2 500 km en Himalaya. Il questionne l’impact humain sur le monde, au gré des dénivelés positifs et négatifs entre Dharamsala (Inde) et Katmandou (Népal).
« Au XIe siècle, voyager signifiait ‘parcourir un chemin’. […] Au XVIIIe siècle […] voyager serait ‘se développer en progressant’. » Qu’en est-il au XXIe siècle ? François Suchel se pose la question dans Liberté, foulées, fraternité, le récit de ses 2 500 km de trail en Himalaya (Glénat, 2020). Pendant plusieurs semaines, le pilote et amoureux de la randonnée laisse derrière lui les affres de la société occidentale contemporaine pour rejoindre à pied Dharamsala (Inde) à Katmandou (Népal). 2 500 km en solitaire, en couple, puis entre amis. 2 500 km pour découvrir la réalité des populations indiennes et népalaises des territoires reculés de l’Himalaya. 2 500 km pour répondre à cette interrogation : quel est le sens du voyage à l’ère de la mondialisation, de la crise climatique, de l’individualisme ?
Premier chapitre, première piste de réflexion : « Et si mon téléphone tombait en panne ? » Alors qu’il s’apprête à vivre une expérience de vie unique, le randonneur se préoccupe de l’état de santé de son portable. On peut le comprendre : pour alléger les 10 kilos de son sac à dos, François Suchel a remplacé la multitude de cartes papiers par un unique téléphone. Ce petit outil s’est creusé une place de roi dans notre quotidien, sachant se rendre indispensable, même (surtout ?) dans une situation de dépaysement total.
Alors, au XXIe siècle, comment voyager sans téléphone, sans GPS intégré, sans réseaux sociaux ? Le cheminement physique de François Suchel devient vite prétexte à… cheminement de pensées. Véritable péripatéticien des temps modernes (un homme qui réfléchit en marchant).
Remise en question
Difficile pour François Suchel de ne pas s’émouvoir face à des routes parsemées de débris plastique, comme si un Petit Poucet consumériste était passé par là. Inutile de faire semblant de ne pas voir la tractopelle écorchant la montagne pour construire une route. Confronté à cela, le randonneur pense : « Dans un avenir proche, l’homme percutera le mur de sa propre arrogance à vouloir dicter ses règles à la nature. » Impossible, aussi, de nier la pauvreté des locaux, mendiant à l’homme blanc.
L’occasion pour François Suchel, non pas de juger, mais de remettre en question son mode de vie d’homme occidental. « Lorsque la bulle de la dette et de la croissance aura éclaté, nous nous déplacerons moins, pour un prix plus élevé. Et comme juste retour des choses, il est probable que les peuples isolés qui n’ont jamais renoncé à l’équilibre du monde, en souffriront moins que nous autres, les toxicos des pays riches comme la France. »
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Reconsidérer la Nature
La Nature prend une grande place dans le récit. « Peut-on concevoir un monde sans arbre ? », s’interroge le randonneur sur les plateaux tibétains. Il réfléchit, entouré de glaciers, de végétation unique, de roches millénaires, mis en péril par le tourisme de masse. C’est en toute honnêteté qu’il nous partage l’évolution de ses pensées. Amer, il réalise que « même aux confins du monde, rien ne semble devoir empêcher l’homme de tisser sa toile autour de sa proie favorite, la planète Terre ». Rien à ajouter quand on découvre que, si l’eau chaude courante manque en Himalaya, la 3G est, elle, au rendez-vous.
Défaitisme, réalisme ? Constat inquiétant, en tout cas, qui requière une prise de conscience. Liberté, foulées fraternité ne peut pas être lu goulument pour ses simples photos et descriptions de cols à plus de 4 000 m. François Suchel nous impose une réflexion. Les sujets se suivent et ne se ressemblent pas : écologie, rôles dans le couple, tourisme, relations sociales, religion, dépassement de soi… Autant de thèmes qui apparaissent naturellement au cours de sa méditation pédestre. Et qu’il nous faut peut-être, chacun, chacune, comme François Suchel, prendre à bras-le-corps. / Enora Hillaireau