Bucolique, nostalgique et drôle, Hyacinthe et Rose, le spectacle de François Morel – ex-Deschiens – ouvre une parenthèse enchantée, hors de la violence du monde.

Entretien avec François Morel, mené par Julien Le Gros de The Dissident, partenaire du Zéphyr

les couvertures du Zéphyr

Julien Le Gros : Qui sont Hyacinthe et Rose, les personnages que vous évoquez dans votre spectacle au Théâtre de l’Atelier à Paris et en tournée actuellement ?

François Morel : Ce sont des grands-parents comme on peut les imaginer. Un « coco » et une catho. Je me suis pas mal inspiré de mon enfance dans l’Orne, en Normandie. Ce spectacle raconte l’histoire d’un enfant qui grandit à travers le regard qu’il porte sur ses grands-parents. Chacun peut s’y retrouver. Tout est parti d’une rencontre avec le peintre Martin Jarrie. J’avais trouvé ses grandes toiles de fleurs très belles. Il cherchait un texte. Je suis parti d’une idée simple : associer un souvenir d’enfance à une fleur. Ce qui m’a amené à faire un livre illustré par Martin Jarrie. Un soir, je l’ai lu au Théâtre du Rond Point. Quand j’ai vu que les gens étaient émus, qu’ils rigolaient, je me suis dit : « Autant en faire un spectacle. »

 

C’est un peu vous, cet enfant dans la campagne normande…

François Morel : Il faut pô dire ce qui est vrai et pas vrai ! Tout est vrai puisque je le dis ! Après, dans la réalité, ça ne s’est pas tout à fait passé comme ça. Je n’ai pas connu mon grand-père. Et ma grand-mère ne ressemblait pas tout à fait à Rose physiquement. Peut-être un peu dans la tête… Elle était garde-barrière parce que la compagnie de chemin de fer lui avait trouvé cette place à la mort de mon grand-père, qui était cheminot. Donc j’imagine plutôt de gauche. En fait, c’est une rêverie autour de mes vrais grands-parents.

Est-ce que la sensibilité de gauche qu’on sent dans vos chroniques sur France Inter ?

François Morel : Sans doute, oui. Je viens d’un milieu modeste. Mon père était militant cégétiste, il espérait que ses enfants gagnent mieux leur vie que lui. J’ai connu des gens qui bossaient beaucoup. J’aimerais que les richesses soient mieux partagées. Que les gens modestes aient plus de possibilités de monter dans l’ascenseur social… qui a l’air d’être en panne depuis quelques années. J’ai plutôt une sensibilité de gauche. Mais je ne suis pas lié à un parti. Je ne me revendique pas comme artiste de gauche.

On perçoit dans votre écriture une tendresse pour les petites gens…

Je viens du peuple. Forcément, ça s’entend dans ce que je dis, dans ce que je fais. Je suis touché par des auteurs populaires. Il y a de la littérature qu’on disait populiste qui me touche beaucoup. Sans être démagogique. René Fallet, par exemple. Je rêve de faire une création autour de son univers.

Contrairement aux chroniques politiques de Didier Porte ou de Sophia Aram, il y a dans votre écriture quelque chose de poétique, d’un peu détaché…

J’essaie de faire ce que je suis. Je n’essaie pas d’imiter Sophia Aram ou Didier Porte, que j’aime bien écouter par ailleurs. Ce n’est pas mon truc. Dans mon spectacle, il y a très peu de politique. Waldeck Rochet (communiste français) est évoqué. Mais ça remonte à pas mal d’années ! Valéry Giscard d’Estaing aussi. Mais plutôt pour rire. Ce n’est pas un spectacle où je me paie les politiciens d’aujourd’hui. J’ai beaucoup aimé Guy Bedos. Mais ce n’est pas mon talent à moi.

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Miroir, miroir

Qu’est-ce qui caractérise votre style ? 

Il y a toujours un regard assez bienveillant et triste sur les autres. Je ne saurais pas trop le définir. Certaines chroniques sont complètement fantaisistes. D’autres plus politiques. Parfois, c’est une colère, ou simplement l’envie de partager un éclat de rire avec les auditeurs.

Qu’est-ce qui vous met en colère ?

Le regard sur les migrants. Il y a vingt ans, les commentateurs auraient été choqués par ce qu’on voit, et surtout ils auraient eu une attitude humaine. Là il y a du rejet et du repli sur soi, ce qui n’est pas la meilleure voie possible.

Quelles sont vos références pour les chroniques ? 

J’ai beaucoup lu l’écrivain Alexandre Vialatte. Il y a un style formidable, une très grande liberté de ton et de sujets. Il peut parler des grandes questions de société comme de choses minuscules. Il n’y a pas de grands ou de petits sujets. Il faut juste que ce soit intéressant. Qu’on ait envie d’écouter jusqu’au bout, qu’on soit ou pas d’accord avec moi.

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Avez-vous toujours les Deschiens dans le rétroviseur ? 

Je n’ai pas de nostalgie mais une tendresse pour cette période, j’en ai gardé de vrais amis.

Pour vous, l’humour, c’était mieux avant ? 

Il y a eu trois grandes figures : Le Luron, Coluche et Desproges. Mais il ne faut pas non plus en faire des saints. De temps en temps, Coluche pouvait dire des conneries, notamment quand il prenait trop de substances illicites. Desproges n’a pas toujours rempli les salles. On en fait aujourd’hui quelqu’un d’incontournable. À l’époque, il a été critiqué. Mais on a raison de l’aimer. C’était une plume et un esprit tout à fait libre.Valérie Lemercier est quelqu’un qui me fait beaucoup rire. Profitons des personnalités fortes qui existent aujourd’hui. Dans trente ans, on dira peut-être : « C’était mieux à l’époque de Valérie Lemercier ! »

Côté théâtre, on vous sait inspiré par Raymond Devos. Vous avez eu des expériences au cabaret ? 

En 1983-84, j’ai joué au Caveau de la République. Le public n’était pas forcément concerné par ce qu’on faisait. Au bout de deux jours, j’ai dû réécrire d’autres sketchs. Je n’ai jamais été vraiment un chansonnier. J’étais un peu déplacé. Ce n’est pas l’endroit où j’aurais aimé être. J’avais le fantasme des cabarets des années 50, avec Roger Riffard, Pierre Maguelon dit Petit Bobo… Des gens qui tournaient autour de Brassens.

J’aurais sûrement adoré faire partie de ce groupe là. Je suis arrivé à Paris en octobre 1981. À la fin du mois, le journal de France Inter s’est ouvert avec « Supplique pour être enterré à la plage de Sète ». J’ai compris immédiatement que Brassens était mort. Ça m’a attristé, parce que quelque chose en moi me disait : « Je vais à Paris et peut-être qu’un jour, je vais rencontrer Brassens. »

Lire aussi : le portrait de Jean-Marc Dumontet, empereur des théâtres parisiens.

Qu’est-ce qui vous fait croire en l’avenir ? 

La volonté d’être en vie. L’optimisme, c’est une volonté. Il ne faut pas baisser les bras. À mon petit niveau, je ne suis jamais découragé de faire mon métier. Je le fais toujours avec plaisir et l’envie de partager des émotions avec le public, les auditeurs. C’est ce qui fait que je suis un peu vivant !

Propos recueillis par Julien Le Gros