En 1967, mon père a 20 ans. Il fume des Craven A, et poétise, assis au premier rang d’un amphi de philo. Il se destine à l’enseignement ou au journalisme. Morceaux choisis de ses cahiers à spirales. Des recueils de poésies où il semble jeter ses vers comme autant d’échantillons d’air du temps. / Jacques Tiberi, reprenant les poèmes de Maurice Tiberi

Textes initialement parus le 17/2/2018

J’aime venir rêver sous les pins protecteurs
Qui bercent ma langueur dans des chants de délices
Quand mon âme meurtrie se morfond aux supplices
Que les amours amères infligent à mon cœur
Et là, comme drogué des parfums de la terre
De l’humus humecté des larmes du soleil,
Je laisse ma douleur comme un tas de vipères
Brûler sur un grand feu éclatant et vermeil.
J’écoute l’oisillon qui rit de son enfance
Et j’entends le grillon fidèle au rendez-vous
Du papillon dansant et tenant conférence
Avec le cigalon imposant et jaloux.
Et le ciel prometteur soumis à la nature
Et les pins orgueilleux saignent du sang doré ;
Oh! Soleil, reste haut, et fais que longtemps dure
Ce spectacle charmant au cœur d’un exilé.

À ma mère

Un visage inconnu
torture ma mémoire.
C’est une dame aux cheveux bruns,
Un sourire figé dans le coin de la lèvre,
Une ride.
C’est peut-être un défaut de la photographie,
Son chapeau de paille est large
Son corps robuste et joli, cependant.
Elle a le charme d’une époque,
Ses vingt ans filtrent l’aquarelle
J’aimerais peindre cette image
Sur une toile de soie bleue,
Écrire mon nom dans un coin
pour être sûr qu’elle est à moi.

Tu es…

Tu es le ciel d’après la pluie,
Tu es l’oiseau sur une branche.
Tu es le soleil à midi.
Tu es dimanche et puis lundi.
Tu es ma romance légère.
Tu es la lampe qu’on allume.
Tu es le feu dans ma maison.
Tu es mon âge de déraison.
Tu es la plus belle saison.
Tu es ma rose d’opaline.
Tu es l’arc-en-ciel près de l’eau,
Le désaccord des mots.
Tu es l’âme dans ma mémoire.
Tu es l’arche d’un pont de Loire.
Tu es mon phone à l’horizon.
Tu es la palme qui balance.
Tu es une plage sans fin.
Tu es ma soif et ma faim.
Mon amour,
Tu es la jeunesse du monde.

Chanson sempiternelle

Il est passé le temps des lavallières,
Beaudelaire ne teint plus ses cheveux en vert.
La légende des siècles amuse l’univers ;
Il est passé le temps des lavallières,
J’ai vu Musset dans Venise la rouge.
Octave souriait en regardant Celio,
Verlaine sanglotait tout près de grands jets d’eau.
Sur le lac des souvenirs, nul reflet ne bouge.
J’ai vu Musset dans Venise la rouge,
On ne se guérit pas de la mélancolie.
Elle nourrit le cœur de musiques lointaines.
Ils ont assassiné l’éthique souveraine.
La magie de Nerval flotte à Mortefontaine.

Maintenant…

Maintenant que mes mains se remettent à vivre
Maintenant que mon cœur recommence.
Je bâtis des aurores déçues,
Des tours et des donjons étoilés de lyrique
dont les pierres ne sont que des éclats de rire
et le feux de camps : pechblendes natives.
J’y mettrais aussi des lunules aux murs,
des amphigouris de lierre,
Et nous y dormirons dans un grand lit d’opale.

Orange

Notre amour est comme une orange
De ces pays sans cesse bleus
Où les nuages quand il pleut
Ont des airs de sourire étrange.
Un fruit de sucre, notre amour,
Qu’il faut goûter au jour le jour
Jusqu’à l’aurore de la fin
Quand nous partirons un matin,
Laissant l’orange à la jeunesse.
Mes cheveux seront cousus d’or,
Et tu balbutieras l’encor
Du fond de ta voix qui se gerce
Pareille à mes laisses vives
Griffonnées au jour le jour
Au fin fond de notre amour
Envolé dans ta dérive.

Mazurka

La mazurka des feuilles mortes
Dans le vent ivre des toussaints,
Ma songerie boulevardière
La vie unique, incandescente
A la pointe de mon cigarillo.
Érotique rayon réfléchit
tes yeux immenses, ton cœur tremblant
comme l’oiseau transi aux plis d’une ramure.
Je ne dors pas car les rideaux murmurent.
Décidément, la mer apporte du jardin les orgies
d’un festin que donne la nature
Et le parfum des lilas et du tamari blond. ♦