Son bureau est une carte postale. Depuis qu’elle écrit des guides pour le Petit Futé, Saliha Hadj-Djilani vogue d’un paradis terrestre à l’autre : de Miami à la Laponie en passant par Cuba. Cette globe-trotteuse aguerrie nous raconte sa vie de nomade. Une véritable invitation au voyage !
Le rendez-vous était fixé à 18h30 devant le Grand Rex, à Paris. Mais Saliha est en retard : elle est partie déposer sa déclaration de revenus à la dernière minute. Je m’installe donc au Madeleine, un de ces bars “authentoc” “ultra-instagramables” du quartier. En sirotant un demi d’IPA, je scrolle les stories Insta de la journaliste : Fez, Nice, Hollywood, Californie, Vegas, La Havane, Wiesbaden… dans l’ordre d’apparition ! J’en ai le tournis ! Enfin, la voici. “Garçon, la même chose, sivouplé !”
« J’ai une vie de fou, une vie de film ! Je viens d’arriver à Paris. Je repars demain (le lendemain de notre entretien, ndlr). » Ça va faire 10 ans que Saliha sillonne le globe pour le Petit Futé. Après quelques années à bosser pour la télé (notamment sur l’émission 30 millions d’amis), Saliha a décidé de tout plaquer pour réaliser son rêve : écrire des guides de voyage.
« Par accident, j’y suis arrivée ! »
À la recherche d’un (introuvable) guide sur Hawaï, la trentenaire tombe sur une annonce du Petit Futé : un appel à projet pour réaliser ce guide. “J’ai postulé, j’ai insisté. J’adorais Hawaï. Quand l’éditeur m’a dit ok, j’ai pris une année sabbatique. Au final, le guide leur a plu… et c’est comme ça que je suis devenue auteure de guides de voyage.”
Miami, la Floride, Cuba, Hawaï. La plage est son élément. Aujourd’hui, elle compte une soixantaine de guides à son actif, dont plusieurs créations. “C’est du boulot ! Contrairement à ce que l’on croit, un guide – sauf pour un immense pays, comme les États-Unis -, on l’écrit seul, puis d’autres l’actualisent et on est scrupuleusement relus par la maison d’édition. Il faut donc sortir un bouquin original de 200 pages, avec beaucoup de contraintes, notamment celle d’éviter de provoquer des incidents diplomatiques.”
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Le Zéphyr : Comment fait-on pour bosser sérieusement dans un lieu de vacances paradisiaque ?
Saliha : J’ai vécu dans une famille nombreuse et j’ai appris à me concentrer n’importe où. Et puis, je suis ce qu’on appelle une “élève sérieuse”. J’ai quitté mon Var natal pour une Khâgne à Fénelon (un lycée, à côté de Paris, ndlr). Concrètement, je me souviens d’avoir terminé l’actualisation du guide sur Hawaï, sur une terrasse face au capitole de La Havane, à Cuba. Il y a pire comme bureau (Rires) ! Or, ce qui me motive, ce sont les deadlines contraignantes transmises par mon éditeur… mais aussi le fait d’avoir une grande responsabilité vis-à-vis des lecteurs : si je me goure, je peux leur gâcher leurs vacances !”
Restons concrets : à quoi ressemble la vie quotidienne d’une auteure de guides touristiques ?
D’abord, ça ne s’improvise pas. Il faut connaître le pays, y avoir vécu, y retourner. On ne t’envoie pas ici où là, au hasard. Quand je suis partie à Hawaï, je connaissais déjà très bien le coin comme touriste. Et même quand le Petit Futé a sorti le guide sur la Corée du Nord, l’éditeur a bossé avec des spécialistes de la destination et des anciens habitants.
Ensuite, ça a beau être du “tourisme d’aventure”, il faut se préparer un itinéraire et imaginer des thématiques intéressantes. Ça demande une bonne semaine de recherches. Je les fais entre deux guides. Par exemple, quand j’ai terminé le guide sur Cuba, je me suis lancé dans des recherches sur mon prochain guide… depuis un hôtel de Cuba. Autre contrainte : gérer son budget.
Enfin, il faut bien s’équiper ! J’ai vécu le pire hiver de ma vie à cause d’un mauvais choix de doudoune. C’était chez le Père Noël… en Laponie, côté Finlande. Je voulais le rencontrer là-bas. C’était l’hiver et il faisait extrêmement froid et je n’avais pas de vêtements assez chauds. Je me suis vraiment pelée… et j’ai pris un choc thermique. Bronchite. Quatre jours, coincée dans un hôtel paumé au bout du monde avec 40° de fièvre ! Le médecin finlandais m’a dit qu’il n’avait jamais vu ça. J’ai cru que j’allais y rester….
Tu es donc très organisée : tu dois avoir une valise pour chaque occasion !
Pas du tout (Rires). Je déteste faire ma valise. Faire, défaire, refaire, quelle corvée ! Je ne m’y ferai jamais.
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Quel est le secret pour écrire un bon guide ?
Je crois surtout qu’il faut aimer les gens : le truc, c’est de s’immerger, d’aller au fond des sujets. Par exemple, lorsque je suis partie dans les steppes avec les nomades de Mongolie, je suis devenue nomade. J’ai lâché mon téléphone, internet, tout ça. Et j’ai découvert une culture fascinante, pleinement au contact de la nature, une vie au rythme du soleil, à manger la viande de son troupeau, à dormir sans véritable confort dans une yourte et sur un matelas très dur. Bref, le tout est d’aller vers l’authenticité : c’est quelque chose que nous, urbains, recherchons en permanence.
Mais tu dois déprimer en retournant dans le métro parisien !
C’est vrai ! Je n’en pouvais plus de voir les Parisiens faire la tronche ! C’est ce qui m’épuise dans le retour. Globe-trotteuse, c’est une vie en dent de scie. Très bousculée. Il faut savoir garder l’équilibre, faire attention à sa santé, à ce qu’on mange. Vivre dans les hôtels, ça devient vite déprimant. Et puis, quand on voyage, il peut se passer n’importe quoi : des bonnes surprise, comme de très mauvaises. Mieux vaut être zen dans sa tête. J’ajouterai aussi qu’il faut oser se perdre et se détacher des petits tracas de la vie… comme déclarer ses impôts.
J’ai l’impression que, quand on est globe-trotteur, on mène une vie en solitaire, non ?
Pas pour moi ! “Il n’y a qu’aux arbres que tu ne parles pas”, disent mes copines. Quand je voyage, j’arrive toujours facilement à m’entourer. Je suis mon instinct, je me laisse porter par le courant. C’est comme ça que j’ai rencontré la famille qui dirige l’hôtel Biltmore à Miami. Un hôtel sublime, un peu mythique [Al Capone y descendait, ndlr], où j’ai passé le réveillon du 31 décembre. Ce soir-là, je me suis totalement sentie chez moi !
Tu parviens à garder des liens avec tes amis parisiens ?
Bien sûr ! Même si je n’ai pas toujours envie de faire l’effort d’aller voir mes amis, surtout quand je viens d’atterrir et que je suis en plein jetlag. Au final, voyager m’a permis de faire le tri entre ceux qui m’ont oubliée et mes amitiés solides. Je profite surtout de mon temps en France pour retrouver ma famille. J’aime revenir dans mon nid.
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Tu es très active sur Instagram. Penses-tu qu’un jour les réseaux sociaux remplaceront les guides ? Qu’on ne partira plus avec un livre sous le bras, mais une liste de comptes Insta ?
Non, Instragram, ça reste trop éphémère ! Pour moi, Insta est l’occasion de raconter des histoires. Un selfie, ce n’est pas un truc narcissique – pour moi -, c’est juste une manière de raconter mon voyage. Si je me contentais de faire une photo de la plage, ça serait juste une carte postale. Ce serait figé. Alors qu’un selfie, ça injecte de l’émotion. Une série de selfies ne peuvent pas remplacer un guide complet. Il y aura toujours des guides, mais plutôt en format numérique. Je crois même qu’on partira avec deux, trois, cinq guides… dans sa tablette. / Jacques Tiberi
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