Alain Sauter est un artisan de l’improbable : dans son atelier de Besançon, il confectionne des mappemondes, à la main, de A à Z. Rencontre.

les couvertures du Zéphyr

Il est l’un des derniers en France à perpétrer cette méthode artisanale. Dans un coin, des demi-sphères de plâtre ; dans un autre, un ordinateur sur lequel est ouvert un logiciel de géographie. Dans un pot, des pinceaux sont rangés aux côtés des tubes d’aquarelle. C’est dans cette pièce, où sont accrochées des photos du bout du monde, qu’Alain Sauter passe une bonne partie de son temps libre. Quand il n’est pas dans sa cave, où se trouve la deuxième partie de son atelier.

Vous les avez certainement fait tourner entre vos doigts, sur les bancs de l’école, à la recherche de la capitale de l’Uruguay ou du nom du pays encastré entre l’Angola et le Zimbabwe. Sur le meuble d’un coin de son salon, Alain Sauter conserve l’un de ces vieux globes terrestres, qui appartenait à son père. D’autres globes, aux diamètres et aux couleurs variées, trônent un peu partout dans l’appartement de ce Bisontin. Depuis plusieurs mois, son salon s’est transformé en atelier ; Alain Sauter y fabrique ses globes, à la main.

Travail de fourmi

Tout commence il y a plusieurs mois : un collègue d’Alain lui montre un reportage sur une entreprise anglaise qui fabrique des globes terrestres. « En tant que géographe, j’ai vu ça comme un défi. Je me suis dit : ‘Il faut que j’arrive à en faire un !’ En plus, mon épouse se moquait souvent de moi car je ne connaissais pas toutes les capitales du monde… c’était l’occasion de les apprendre ! », résume-t-il. Commencent alors de longues semaines de recherche. « La première étape a été de comprendre comment fabriquer une sphère en plâtre, creuse et parfaitement ronde. »

Une tâche pas si facile : « Je suis quasiment parti de zéro, confie le géographe, car il existe très peu d’archives sur la fabrication des globes : à la bibliothèque de géographie de Paris, je n’ai rien trouvé. » Les secrets de confection sont bien gardés par les quelques entreprises qui ont conservé cette tradition. Plein d’espoir, Alain contacte l’une d’entre elles, en Allemagne. « Ils m’ont souhaité bonne chance », sourit celui qui s’apprête à passer quelques nuits blanches.

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Après avoir conçu des dizaines de sphères pas tout à fait rondes, Alain Sauter réussit enfin un premier modèle correct. Un système de moules et de contre-moules lui permet de façonner des demi-sphères qu’il colle ensuite entre elles. Et la Terre est jouée ! Mais ce globe blanc ne ressemble pas encore à notre monde. Il faut maintenant l’habiller de pays et de mers, qu’Alain imprime sous forme de fuseaux.

Car même si son travail reste majoritairement artisanal, le géographe ne trace pas à la main les multiples frontières sinueuses des presque 200 pays qui constituent notre Terre. C’est un système d’information géographique qui fait ce travail pour lui. Ce logiciel informatique a toutefois une limite : les cartes qu’il produit sont… plates. « Survient alors le problème de projeter quelque chose de plat sur quelque chose de sphérique, explique Alain Sauter. Avant, on le faisait au compas, grâce à des calculs mathématiques complexes. Mais c’était un boulot de malade, sans forcément être toujours très précis ! »

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Reconnaissance de leurs pairs

Abandonnant le compas, le géographe s’est remis derrière son ordinateur et a conçu son propre logiciel informatique pour « déformer, ou plutôt reformer les continents : sur un planisphère, le Pôle Nord est extrêmement étendu ; il devient très petit sur un globe ».

Ses lunettes sur le nez, Alain Sauter commence le travail de fourmi auquel il est maintenant habitué. Un à un, il trempe ses fuseaux dans la colle avant de les apposer délicatement sur le globe. Pour le premier, il choisit souvent la partie de l’océan Atlantique, où il y a peu de terres et donc moins de risques de mauvais raccords une fois le tour du monde terminé. La concentration est de rigueur : doucement, il appuie sur chacun des bouts de papier pour éviter les plis, et faire en sorte que le nom d’un pays ne soit pas coupé au milieu. Un moment d’inattention, un mélange dans l’ordre des fuseaux, et la frontière de l’Allemagne pourrait venir s’accoler à celle de la Turquie…

alain sauter et ses globes

Le monde de Game of thrones

Dans son atelier, Alain Sauter attend quelques minutes que ces morceaux de Terre ne sèchent avant de sortir ses pinceaux. Toujours deux. Pour ce modèle, il choisit des couleurs classiques : du bleu pour les mers et les océans, du jaune pour les continents. Mais l’avantage de l’artisanal, c’est que toutes les divagations sont permises : les terres peuvent devenir rouges et sans frontière, et les océans se teinter d’orange. Alain Sauter propose aussi de placer une ville particulièrement importante aux yeux de ses clients : un lieu de naissance, ou de mariage par exemple.

Le globe entre les mains, la Terre lui appartient : « Il m’est déjà arrivé d’inverser l’orientation Nord – Sud. C’était stimulant, mais également très perturbant : dans certaines zones, j’étais un peu perdu. » Fabriquer des globes, c’est aussi mieux connaître sa Terre, la remettre en perspective. Mais Alain Sauter rêve aussi d’autres mondes : « Pourquoi ne pas refaire la Pangée, à l’époque où les continents n’étaient pas encore séparés ? Ou la Lune ? Ou un monde imaginaire, inventé par des enfants ? Des amis m’ont même suggéré de dessiner le monde de Game of Thrones… »

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Dès qu’il a un peu de temps libre, c’est-à-dire lorsqu’il n’enseigne pas la géographie à la l’université de la Sorbonne, Alain Sauter se réfugie dans son atelier, au milieu de ses globes. À terme, il aimerait faire de ce passe-temps son métier principal, « pour que ce savoir-faire ne se perde pas ». S’il préférerait vendre ses créations à des prix plus bas (les plus petits coûtent 199 €, les plus gros, 990 €), les heures qu’il y consacre tout comme le coût des matériaux l’en empêche.

Et lorsque l’on tient dans sa main l’une de ces petites boules, on se rend compte qu’elle est précieuse. « Je voulais un objet facilement manipulable, tout en restant solide, confie Alain Sauter. Pour qu’on puisse l’observer, voyager, choisir sa prochaine destination. La carte invite au rêve. » / Camille Jourdan