MAJ 23/8/2021 : Il y a quelques semaines, Mathieu Thomas a appris qu’il ne serait pas aux Jeux paralympiques à Tokyo. Terrible déception pour ce joueur, comme il l’avait raconté sur son compte Instagram. « Je vais rebondir, j’ai de nombreux projets et sportivement, Paris 2024 c’est presque demain. À moi de revenir encore plus fort. Si je dois faire un bilan rapide, je ne suis pas passé loin. Je termine à la 7e place et la commission a seulement sélectionné 6 joueurs. Il n’y aura donc pas de Français dans ma catégorie SL3. En tout cas, je souhaite de belles médailles à toute la team France, et qu’ils savourent ces jeux, même dans ces conditions si difficiles. »
Longtemps, Mathieu Thomas a masqué sa différence. Aujourd’hui, il en fait une force, et le champion de para-badminton vise les prochains Jeux paralympiques, tout en sensibilisant au handicap invisible. Celui-ci touche de nombreux Français non identifiés comme tel, à l’instar de Mathieu. Ils n’ont pas été amputés d’un membre, se déplacent sans fauteuil, mais peuvent tout autant souffrir en silence.
Mathieu veut de l’or et vise les prochains Jeux paralympiques. Ceux de Tokyo, décalés en raison de la pandémie, mais surtout ceux de Paris, moins de trois ans après. A 36 ans, le badiste s’entraîne et croit en ses chances.
« La moyenne d’âge chez les médaillés aux paralympiques est de 39 ans, c’est plus élevé que du côté des joueurs « valides ». C’est une statistique qui me donne de l’espoir », sourit l’athlète, lui qui a démarré le badminton à haut niveau il y a seulement… 6 ans.
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En 2014, le premier championnat de France de badminton pour les personnes en situation de handicap voit le jour, ce qui suscite chez lui un réel intérêt. A ce moment-là, cela fait deux ans que le jeune trentenaire s’amuse avec les volants. Mathieu ne participe pas à la première édition, mais contacte la coache nationale de parabadminton Sandrine Bernard, qui l’invite à un stage. Le déclic pour Mathieu, qui tombe définitivement amoureux de ce sport.
« Le badminton, c’est géométrique »
Mathieu va vite apprendre que le badminton intégrera, pour la première fois, les disciplines des Jeux paralympiques, à Tokyo. « Un signe positif », lance-t-il, non sans rire. Après le stage inaugural d’observation auprès du clan français, le néo-badiste démarre l’entraînement intensif et, quelques mois plus tard, en 2015, à Bourges, remporte en simple la deuxième édition du championnat hexagonal. « J’ai compris que j’étais plutôt bon, alors j’ai saisi une opportunité », glisse-t-il, presque en relativisant son succès : « Le para-badminton en était à ses balbutiements ; il était en train de se construire, rétorque-t-il. Le niveau n’était pas encore aussi élevé qu’actuellement. Six ans après, la discipline a pris une autre dimension : au départ, il était peut-être possible de gagner sans entraînement au quotidien, mais ce n’est certainement plus le cas aujourd’hui. »
Mathieu ne s’arrête plus ; il remporte tout, tant en simple qu’en double. Il dispute également des tournois open qualificatifs aux Jeux paralympiques. Et le badiste devient vice-champion d’Europe en double en 2018. Une consécration. Mathieu voit son sport, ultra populaire en Asie (« moins en France« ), comme un duel similaire au jeu d’échec. « C’est de la géométrie : il faut anticiper les coups, savoir déceler les pièges et calculer la trajectoire », indique-t-il. « Le badminton m’apporte beaucoup. »
Le coup du sort : un cancer et une opération qui changera tout
Dans sa catégorie handisport, il exprime son talent sur des demi-terrains, ce qui lui permet d’éviter les déplacements latéraux. Des mouvements compliqués, pour lui, vu que son quadriceps droit n’est « plus alimenté », en raison de son handicap, qui reste invisible dans la rue (comme 80 % des personnes en situation de handicap). Un coup du sort qui l’a frappé de plein fouet à l’aube de sa majorité. Une période de sa vie au cours de laquelle le futur champion ne se voit pas encore entamer une carrière professionnelle, loin de là.
Il imagine passer le bac et devenir ingénieur. Et c’est à ce moment-là que des médecins lui détectent une tumeur au niveau du muscle du psoas. Branle-bas de combat. Les études supérieures attendront un peu. Mathieu, à peine adulte, doit revoir ses plans, et passer par la case chimiothérapie.
« On a réussi à vous sauver »
Au bout de plusieurs séances, quelques mois après, il subit une opération chirurgicale au cours de laquelle on lui sectionnera un nerf de la cuisse droite afin de lui retirer des cellules cancéreuses. D’où le handicap auquel il n’était absolument pas préparé. « En rentrant au bloc opératoire, je me souviens que j’avais la volonté de vaincre une maladie. Devoir affronter le handicap et l’accepter n’était pas dans mes plans. »
« ‘On a réussi à vous sauver’ », soutient l’équipe de l’hôpital. Lui ne le voit pas de cet œil. Ce qu’il constate surtout c’est qu’il ne peut plus faire usage de certains de ses muscles. Inconcevable pour l’amateur de basket qu’il a été. « Ce sport m’a été fort utile durant cette épreuve, alors ne plus pouvoir jouer a été très douloureux. » Il lui faut du temps pour comprendre que la donne a changé.
Une différence masquée
Dépité, il abandonne les terrains et se réfugie dans ses études puis sa profession. Pendant plus d’une décennie, il cachera son handicap qui, de toute façon, ne se voit guère dans la rue. Du haut de son mètre 90, la carrure musclée, il peut aisément faire comme si de rien n’était. Ses collègues ne remarquent rien, et quand il file discrètement chez le kiné, il prétexte un simple « rendez-vous médical ».
Il ne reprend jamais non plus une personne qui s’interroge parce qu’il boîte en se déplaçant. Celle-ci suppose qu’il a simplement « mal à la jambe ». Tant mieux, il évite d’aborder le sujet. Avant d’emprunter un escalier, Mathieu… monte un stratagème et laisse passer les autres d’abord. « On a dû me trouver très courtois », sourit-il aujourd’hui. Concrètement, il monte aussi vite que les personnes « valides », sa jambe gauche grimpant de deux marches, avant de laisser sa droite revenir à sa hauteur, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il atteigne l’étage.
Refuser « la pitié » des gens
Des ruses pour ne pas avoir à se justifier. Voilà l’objectif : ne pas s’ouvrir, ne pas piper mot, ne pas regarder la réalité en face. « Je ne supportais pas les gens et leur regard compatissant, précise-t-il. Je refusais qu’on ressente de la pitié, que l’on s’acharne sur mon sort. » La peur du regard des autres. « J’étais persuadé que l’on me fixait bêtement, et que l’on se moquait de moi. »
C’est la pratique du sport, qu’il reprend petit à petit, qui finira par l’aider à passer à autre chose et à accepter sa différence. Après avoir constaté ses qualités avec un volant, il informe son employeur qu’il souhaite aménager ses horaires pour pouvoir s’entraîner en vue des Jeux paralympiques. Celui-ci tombe des nues. Un handicap ? Il ignorait.
« J’ai mis beaucoup de temps à comprendre que les médecins avaient raison et que j’ai eu de la chance, glisse le trentenaire, qui se consacre désormais uniquement à sa carrière. Ma différence, ce nouveau corps, je la vois maintenant comme une chance, comme une force. » Car sans l’opération, pas de parabadminton, pas de titres de champion, pas de défi… olympique à l’horizon. « J’ai vraiment eu de la chance, je n’étais pas destiné à entreprendre cette carrière sportive », répète-t-il.
Faire preuve de résilience
D’où son besoin de s’exprimer, et de sensibiliser au handicap notamment invisible, celui qui le concerne. Tant en entreprise qu’auprès de particuliers. « Aujourd’hui, nous avons des ambassadeurs sur le handicap visible, peu en ce qui concerne le handicap invisible, alors je souhaite apporter ma contribution. »
But de l’opération : évoquer son parcours, montrer que « tout le monde peut y arriver » et que l’on peut « être fort tout en montrant ses faiblesses« . « Il n’y a pas de honte à le faire, poursuit-il. J’ai été atteint d’un cancer. Et les accidents de la vie peuvent vite arriver. Mais on peut faire preuve de résilience, sortir de sa zone de confort, s’en sortir et grandir. »
Pour l’heure, cela passe par la participation à un tournoi qui n’a cessé d’être reporté en raison de la pandémie. Jouée à Madrid, la compétition, dont on ne connait pas encore les dates, est cruciale pour se qualifier aux Jeux paralympiques de Tokyo de cette année. Les 6 premiers mondiaux pourront rejoindre l’aventure olympique. Thomas pointe actuellement à la 6e place (en catégorie SL3 – handicap sur un membre inférieur), avant le début du tournoi espagnol. / Frédéric Emmerich