À Lyon, la photographe Kenia Sadoun, accompagnée d’Antoine Boureau, fondateur de l’association Dialogues en photographie, a mis en place des ateliers photographiques regroupant des personnes migrantes et françaises. Le projet a été proposé dans d’autres villes de France, à Paris, à Rouen et en Bourgogne.
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Certains n’avaient jamais touché à un appareil photo, mais ils ont sauté le pas. Avec l’aide de professionnels, les participants du projet artistique, en particulier des demandeurs d’asile et des réfugiés, ont réalisé des séries personnelles. Manière de « raconter leur histoire, leur exil, leur installation pas toujours facile en France, et aussi de se faire plaisir », comme nous l’explique Kenia Sadoun, cofondatrice du projet Raconte.
Photographe documentaire de formation, elle a été pendant un temps bénévole pour des associations d’aide aux migrants comme Singa, Forum réfugiés ou encore Soup & Socks, une ONG allemande en Grèce.
Le Zéphyr – Vous avez mis en place des ateliers photographiques avec des personnes migrantes dans plusieurs villes de France. Quel était l’objectif ?
Kenia Sadoun – Avec Antoine, également photographe, nous avions à cœur de réunir migrants et Français pour les former aux techniques de la photo et les aider à développer un regard sur tel ou tel sujet, et réaliser ainsi des séries. Soit sur ce que ces personnes vivent au quotidien, soit sur des choses plus abstraites, fictives.
Notre objectif était vraiment de réunir des gens d’origine variée. Des personnes qui n’auraient pas eu l’occasion de se rencontrer et d’échanger. On voulait leur donner la parole. Ce sont des personnes qu’on entend peu.
Que retenez-vous des photos ?
Il y a eu des choses fortes. Je pense à Ishaq Alzain, qui a réalisé une série intitulée Réminiscences de Calais dans laquelle il s’est mis en scène, sans y retourner, pour reconstituer ce qu’il a pu vivre dans la jungle de Calais. C’est poignant.
Par ailleurs, Senizo a réalisé une série sur l’ancien collège lyonnais Maurice Scève, transformé en squat pour pallier le manquement de la métropole au niveau de l’accueil des demandeurs d’asile, supposé être pris en charge. C’est un beau reportage effectué là où il s’est installé. On ne l’a pas accompagné, cela aurait été étrange. Il n’aurait pas été à l’aise, alors il l’a fait seul, ce reportage, et c’était bien.
« Aider les personnes migrantes à avoir une vie plus agréable »
Pourquoi est-ce important de réunir migrants et « locaux » ?
C’est indispensable (rires). On dit parfois que les migrants ne veulent pas s’intégrer, mais on ne leur donne pas les moyens de le faire. Selon moi, il faut juste s’y mettre, mettre en lien les différentes personnes, créer les occasions de rencontres. Celles-ci sont utiles pour aider les personnes migrantes à avoir une vie plus agréable, et à faire en sorte qu’elles ne restent pas enfermées, entre elles, entre communautés. Nous voulons justement les aider à s’intégrer. Et, du côté des Français, cela peut leur permettre d’ouvrir leur horizon et de découvrir le quotidien des réfugiés et des demandeurs d’asile.
Comment ont été recrutés les participants ?
À Lyon, nous avons pu recruter des personnes grâce au réseau que j’avais, puisque j’ai été longtemps bénévole pour des associations d’aides au migrants. Singa a été le principal partenaire pour nous aider à trouver les participants, locaux comme migrants. À Rouen, on a été soutenus par l’association AMII, qui accompagne les réfugiés notamment syriens, des personnes régularisées en recherche d’un emploi. En Bourgogne, en Saône-et-Loire, le maire de Tramayes et la communauté de commune de Cluny ont favorisé le lien avec les familles migrantes installées sur leur territoire. Là-bas, on a eu un public varié dans les ateliers, il y avait des enfants et des personnes plus âgées. Les groupes étaient plus éclectiques que dans les autres villes.
« Envahis d’images »
Quelle est la suite pour vous ?
J’ai mis de côté mon travail de photographe. Je prépare la suite de ce projet avec deux autres photographes, on est actuellement en recherche de subventions. Cela prend du temps, mais ça vaut le coup. Ce nouveau projet va impliquer d’autres participants et un nouveau medium.
L’objectif sera de marier photographies et sons, pour que les personnes puissent témoigner. Il y a des choses que l’on ne peut pas raconter avec des visuels. On est envahis d’images, mais ce n’est pas toujours assez pour raconter des histoires et sensibiliser. Je trouve que cela manque. D’où ce projet à venir. / Propos recueillis par Frédéric Emmerich