Cadre sup’ dans un grand groupe, cette ancienne consommatrice compulsive a choisi de tout plaquer, pour mettre sa vie en accord avec ses convictions écologistes.

les couvertures du Zéphyr

La Maison du zéro déchet se niche au pied de la butte Montmartre, dans le 18e arrondissement de Paris. Nous sommes à quelques pas de la halle Saint-Pierre, le temple de l’art brut. Un genre hérité du surréalisme où la plupart des artistes créent leurs œuvres à partir de matériaux de récup’… On entre par la boutique, où l’on peut s’offrir le kit complet de l’écolo : des bentos, des sacs réutilisables pour l’achat en vrac, des lingettes démaquillantes lavables et même de bons lombricomposteurs d’appartement.

Marion Honoré me reçoit dans la salle de réunion qui accueille au quotidien des ateliers do it yourself (DIY) durant lesquels on apprend à fabriquer soi-même ses cosmétiques, ses bougies, ses lessives, son déo ou son dentifrice.

En m’installant, je tire ma bouteille d’eau de mon sac. Marion grimace : « Ah ! vous n’êtes pas encore tout à fait zéro déchet… Si vous voulez, on a de très belles gourdes en boutique ! Je vous sers du thé avec quelques dattes ? »

Geek et CSP +

Il y a encore quelques mois, la trentenaire ne limitait pas non plus ses déchets comme aujourd’hui. Elle était une employée modèle d’une firme industrielle. « Je travaillais dans le marketing digital, sur de l’expérience client omnicanal [le parfait job à la con, note de la rédaction – pardon, du journaliste]. Ça correspondait bien à mon côté geek et j’avais un mode de vie de salariée consommatrice J’étais un peu une acheteuse compulsive : la première chose que je faisais le matin, c’était d’ouvrir l’application Vente Privée, pour savoir sur quoi j’allais pouvoir me faire plaisir. Et le week-end, j’allais faire un peu de shopping ou je faisais mes courses au supermarché. »

Bref, Marion avait le profil type de la CSP+ urbaine, avec, sans doute, “une petite conscience écolo” en plus. « J’étais abonnée à deux ou trois pages green sur Facebook, je faisais le tri, j’étais très fière de porter des chaussures Veja et des fringues Ekyog. Une manière de concilier mon besoin de consommer – où plutôt de combler un vide – avec ma conscience green. »

Lire aussi : Adrien Bellay filme les permaculteurs inspirés par Dame Nature

Vocation manquée

En réalité, la passion de Marion pour l’écologie a presque toujours été là. Elle l’avait juste enfouie au fond d’elle. « Quand j’étais petite, j’habitais à Rueil-Malmaison, en région parisienne, c’était une ville très en avance sur l’écologie, le tri sélectif, les jardins publics sans pesticide… A l’époque, je trouvais ça fascinant. J’organisais des collectes de déchets à l’école. Et comme j’habitais à côté de la Maison de la nature, j’y passais beaucoup de temps. Je me souviens qu’on lâchait des coccinelles chaque année pour lutter naturellement contre les pucerons. »

Puis, devenue étudiante en école de commerce, Marion a choisi de faire son stage à la fondation Nicolas Hulot (devenue Fondation pour la nature et l’Homme). « J’ai adoré. À l’époque, j’étais très branchée environnement. »

Lire aussiRecylceMJB : deux potes redonnent espoir aux objets trouvés

Green business

Malgré tous ces signes, personne n’a su remarquer la vocation de la jeune femme. Il faut dire que, dans sa famille, l’environnement n’a jamais vraiment été une priorité. « Mes parents n’étaient pas du tout concernés par ça. Ma mère était cadre sup’ et mon père entrepreneur dans l’événementiel. Ils bossaient comme des oufs. On se faisait livrer par Picard et Franprix, on allait jamais au marché. »

Ainsi, au lieu de s’orienter vers le green business, Marion s’est retrouvée – comme la plupart de ses camarades de promo – sur des fonctions d’audit. « Une fois sur les rails du marché du travail, j’ai tout mis de côté. Je me contentais d’essayer de progresser dans mon job, d’avoir plus de salaire. Le cliché du cadre sup, quoi ! »

« J’ai commencé à faire du vide »

Mais, chassez le naturel… « Assez vite, raconte Marion, j’ai commencé à être gênée par des choses que je trouvais absurdes : le suremballage, les bouteilles en plastique, les gobelets à café. Je n’avais plus très envie de parler de mes dernières emplettes en soldes. Et quand je voyais des gens gober des tranches de jambon industriel plein de nitrites dans une barquette en plastique, ça me touchait personnellement. J’avais – j’ai encore – une réaction épidermique. Puis, en juin 2016, une amie de promo m’a invité au festival Zero Waste. J’ai trouvé ça fascinant. J’ai découvert qu’il y avait plein de choses que je faisais du zéro déchet sans le savoir. Le festival m’a montré qu’il existait mille solutions et des milliers de personnes pour les appliquer. Alors, je suis rentrée chez moi et j’ai commencé à faire du tri, du vide. »

couverture zephyrmag écologie hiver 2019

Découvrez la revue du Zéphyr n°2 : 108 pages dédiées aux protecteurs de l’environnement.

Dans la foulée, Marion commence à suivre des acteurs du zéro déchet sur Facebook et Instagram, notamment Luizzati, une des premières blogueuses zéro déchet françaises. « Elle s’est lancée dans un voyage zéro déchet. Et maintenant qu’elle a un enfant, elle raconte le bébé en mode zéro déchet. Super instructif. »

Pour autant, Marion n’est pas une radicale. Pour elle, « le zéro déchet ne veut pas dire tout arrêter ou tout mettre à la poubelle. Personne n’a atteint le zéro déchet absolu. Même la papesse du zéro déchet Bea Johnson a encore un bocal à la fin de l’année avec des poubelles dedans. Je vois plutôt ça comme un chemin sur lequel on progresse, chacun à son rythme. Par exemple, tout le monde n’a pas envie de fabriquer sa lessive. Moi-même, ça me fatigue de fabriquer ma lessive en rappant des copeaux de savon de Marseille ! Je préfère choisir un autre combat, comme le défi « Rien de neuf« , car j’avais encore tendance à surconsommer… même si ce sont des produits green ».

“La tarée”

Rapidement, ses collègues la regardent comme “une tarée”. « Je saoulais mes collègues à longueur de journée ! Ils avaient du mal à croire qu’on peut se contenter d’un plat 100 % végétal, ou qu’il existe des shampoings solides en forme de savon et des dentifrices solides dans des petits pots, ou bien qu’on peut remplacer tous ses produits de beauté par un savon et deux huiles végétales… »

« Le midi, au resto d’entreprise, mon combat était de poser des questions aux cuisto’ et de pousser les gens dans leurs retranchements. Tous les midis, je posais des questions au personnel de la cantine : “D’où viennent vos œufs ? Ces sont des œufs de plein air ? Vous avez le numéro sur la coquille ? etc.” Et on me répondait : “Ah non, ce sont des œufs stérilisés qui nous arrivent en bidons.” »

Et quand elle voit ses collègues arriver avec un steak-frites et un coca, elle ne peut s’empêcher de les mettre en garde. Alors, puisque Marion passe tous ses repas à ne parler que de ça, ses collègues la consultent, avec ironie : “Bon, dis-moi,  qu’est-ce qui ne va pas sur mon plateau ?

Certains s’abonnent même à sa page Facebook. « Ils se sont finalement mis à me poser des questions, à s’intéresser. C’était déjà pas si mal ! Il y en a plus d’un qui ont été bousculés dans leurs contradictions. Mais tout le monde n’a pas envie de changer le monde. »

Le grand saut

Début 2017, elle participe au programme “Fais le Bilan” de la start-up Switch Collective, qui propose de réinventer son rapport au travail. “C’est ce programme qui me révèle que je veux me consacrer à 100 % à l’écologie.” Dans la foulée, Marion devient bénévole à la Maison du zéro déchet. « Le jour de l’ouverture, j’étais hyper fière ! » Dès lors, elle commence à envisager sérieusement une reconversion. « Je bossais dans une grosse PME qui fabrique des produits manufacturés pas très green, avec beaucoup d’emballage. Et quand je me levais le matin pour faire une heure de transport, et aller dans une boîte à laquelle je n’avais plus envie de contribuer, pour faire un job qui me paraissait vain… ça me tapait sur le système ! » Un an plus tard, elle signe sa rupture conventionnelle… avec le sourire.

« J’étais très contente de partir ! avoue-t-elle. Mais personne ne comprenait que je quitte mon emploi sans avoir un autre job. Ils me demandaient : “Tu vas faire quoi ?!” Et je disais : « Je ne sais pas ! On verra…” » Elle ne trouvera pas plus de soutien auprès de sa famille. « Quand je leur ai expliqué ma voie de reconversion, mon père voyait le zéro déchet comme un retour en arrière et ma mère a dit que le végétarisme était contre-nature. Donc, faut avouer que je n’étais pas trop aidée à ce niveau-là ! Heureusement, ils ont un peu évolué depuis. »

Coach de courses

Pendant quelques mois, Marion s’est cherchée : « Je ne savais pas trop comment voir mon avenir. J’ai commencé par ouvrir une page Instagram pour montrer comment je faisais mes courses. Et, un jour, des amis m’ont demandé : « Pourquoi tu n’aides pas les gens à faire leurs courses ? Tu devrais devenir coach de courses ! » »

À partir de cette suggestion, Marion a imaginé un concept : « Accompagner des particuliers qui veulent changer de mode de vie et réduire l’impact environnemental de leur mode de vie, les guider pour qu’ils et elles parviennent à trouver en 5 mois les solutions que j’ai mis 5 ans à dénicher… J’avoue, je ne suis pas encore très calée sur mon pitch ! »

Concrètement, cette activité de “conseillère en transition verte” consiste à « aller chez les gens, poser un diagnostic de leur mode de vie et leur proposer des solutions face à chaque sujet, avec un angle alimentaire. Beaucoup de gens se disent : « C’est trop compliqué, ce n’est pas à ma portée. » Mon objectif, c’est de les accompagner chez eux, en proposant des solutions adaptées à leurs contraintes et leurs préoccupations. Il faut comprendre que chacun a une raison différente de changer : certains vont manger bio parce qu’ils ont vu des reportages sur les abeilles, d’autres ont peur pour leur santé ou celle de leur bébé, d’autres, enfin, veulent faire des économies… »

Marion leur conseille notamment de se poser une question simple avant chaque achat : « Est-ce que dépenser de l’argent pour acheter ce truc va vraiment m’apporter quelque chose ? En ai-je besoin ? Est-ce un producteur green ?” Si la réponse est non : mieux vaut s’en passer.

Après avoir testé son programme sur des “cobayes-amis”, durant quelques mois, elle a fondé sa société J’alimente au sein d’une coopérative d’activité et d’emploi qui l’aide à se lancer.

Pour les anglophiles, vous pouvez trouver des astuces zero dechet par là (Your RV Lifestyle).

Lire aussi : Moby, végane star

« Je dors beaucoup mieux ! »

Depuis qu’elle est devenue une « green » startupeuse, Marion se sent beaucoup mieux dans ses baskets… Veja (écoresponsables) : « C’est infiniment plus satisfaisant de se lever le matin en sachant que je vais passer ma journée à aller dans le sens de mes convictions et non plus à contre-sens ! Je dors beaucoup mieux, même si je ne sais pas du tout comment je gagnerai ma vie dans trois mois… » Bien sûr, elle connaît parfois de petits moments de doute. « Mais c’est beaucoup plus éphémère que les crises existentielles que je vivais avant. » / Jacques Tiberi