Au tout début des années 90, dans l’Etat de Washington, dans l’ouest des États-Unis, la scène rock s’enflamme. Proche de Kurt Cobain, le groupe de punk Bikini Kill, et sa chanteuse féministe Kathleen Hanna, tape fort avec le réseau Riot* grrrl. I hear the revolution !

Cet article est extrait du numéro spécial rock.

Un soir de juin 2019, dans un théâtre de Brooklyn. Sur la scène, quatre femmes, tout feu, tout flamme, ravies de jouer ensemble leurs anciens tubes. Une première depuis la séparation de leur groupe de punk Bikini Kill, il y a 22 ans, en 1997 ! La chanteuse du quatuor, Kathleen Hanna, la cinquantaine, ne quitte pas le sourire durant le show. Elle tombe dans les bras de la rockeuse Joan Jett quand celle-ci débarque pour interpréter, avec les autres, Rebel Girl, morceau phare de Bikini Kill, dont elle avait produit une version single.

les couvertures du Zéphyr

 « You are the queen of my world. Rebel Girl, Rebel Girl. I think I wanna take you home, I wanna try on your clothes too. When she talks, I hear the revolution. » 

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En soutif ou en culotte sur scène

Les deux femmes s’apprécient, et Kathleen a longtemps raconté avoir été inspirée par son aînée de 10 ans, surtout pendant sa période Bikini Kill, entre 1990 et 1997.

En ce printemps 2019, comme lors des précédentes sorties de l’ex-groupe punk, Kathleen déborde d’énergie. Elle n’est pas allée jusqu’à virer le haut, comme lors de ses shows des années 90 durant lesquels elle ne portait que soutif ou culotte.

Autre époque, autre ambiance, pour  la musicienne féministe venue d’Olympia, à l’ouest du pays.

“Gérer des connards”

À la grande époque de Bikini Kill, lors des concerts, entourée de Tobi Vail, de Kathi Wilcox et de Billy Karen, Kathleen, étudiante en photographie, exigeait que les spectatrices prennent place devant la scène, et, surtout, que les garçons restent au second plan. ”Pour une fois, les mecs, derrière !” avait-elle coutume de lancer. Et la chanteuse poursuivait : “Si quelqu’un vous emmerde pendant le concert, venez vous asseoir sur la scène, et dites-le nous parce que ce ne devrait pas être de la responsabilité d’une seule personne dans la foule d’avoir à gérer des connards…”

Une sacrée gifle pour certains types, agacés par les manières de cette bande de punks insolentes. « On nous disait qu’on était des garces, qu’on détestait les hommes », se souvient Hanna, allant jusqu’à écrire le mot “slut” sur son corps pour provoquer ses détracteurs machos, ici pour en découdre.

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“Fais ce que tu veux”

Son intention à ce moment-là : faire en sorte que les femmes suivent les shows en sécurité. Car de nombreuses femmes se plaignaient des violences subies dans les concerts de rock au milieu des hommes, barbus, puants, transpirants, alcoolisés. Certaines avouaient même, dans des reportages, rentrer avec des blessures de guerre. Une situation insupportable pour Kathleen. Selon elle, il fallait passer à autre chose et se faire respecter dans cette société haïssant « les femmes », comme elle le dira des années plus tard.

« Hey mon amie, j’ai une proposition (…) : ose faire ce que tu veux », criait-elle devant le micro dans sa chanson Double dare ya, sortie en 1991. Les femmes ne devaient plus avoir peur d’aller à un concert ! Avec les autres membres du groupe, y compris avec le guitariste Billy Karren, Kathleen partait en guerre contre les violences faites aux femmes et les injustices, contre le viol et l’inceste (notamment dans le titre Suck my left one).

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Les filles insufflaient un vent de révolte et entendaient bousculer la société du mâle. Pas seulement avec leur musique, mais aussi avec leur plume. Les trois filles de Bikini Kill s’associèrent à leurs amies du trio punk Bratmobile pour lancer et éditer le fanzine Riot Grrrl*… patronyme qui deviendra le nom d’un réseau de groupes punk féministes jusqu’à la fin des nineties. La revue proposait des récits personnels, des poèmes, des dessins et tapait sur les maux de la société, sans censure, comme ça sortait ! Le fanzine était distribué à l’arrache, à l’université de la ville, dans les rues, en soirées…

kathleen hanna, pionnière du girl power

“Rejeter l’Amérique mainstream

Une démarche do it yourself pour « rejeter l’Amérique mainstream », écrira plus tard Manon Labry, auteure de l’essai Le cas de la sous-culture punk féministe américaine : vers une redéfinition de la relation dialectique mainstream-underground » (2011).

Bikini Kill multipliait les dates de concerts. A l’été 91, le label indé K Records organisa un festoche et, forcément, Kathleen en fut. La soirée inaugurale n’était d’ailleurs réservée qu’aux femmes, et on y trouvait de nombreuses formations comme Heavens to betsy ou Bratmobile, toutes engagées.

L’occasion, pour de nombreuses femmes, en contact via les fanzines, de se rencontrer en chair et en os… et de refaire le monde.

Le mouvement punk féministe prit de l’ampleur, auréolé d’un soutien de poids : Kurt Cobain, himself : le chanteur de Nirvana se rapprocha des filles de Bikini Kill, sous l’œil amusé des médias mainstream, curieux de voir ce réseau underground sortir de l’ombre. Avant de se marier avec Courtney Love, le natif d’Aberdeen (même région, à l’ouest du pays) sortit brièvement avec l’une des Bikini Kill.

Smells like Teen Spirit

Selon Manon Labry, auteure de Riot Grrrl, chronique d’une révolution punk féministe (La Découverte), Kathleen écrivit, un soir de beuverie, sur l’un des murs du logement de Kurt, qu’il sentait… le Teen Spirit, un déodorant cheap. Amusé, Kurt Cobain piquera la formule pour titrer son chef-d’œuvre.

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Cette proximité, forcément, mit la lumière sur ces filles, qui n’en demandaient sans doute pas tant. Leur initiative médiatique créa des émules un peu partout, la période était propice à la création artistique, littéraire et à la contestation. A l’été 1992 fut organisé une convention des riot girls, un festival bon marché  (“7 dollars pour 3 jours”, se souvient Kathleen) avec des concerts, et de nombreux ateliers sur les violences domestiques ou le viol.

Girls vs médias

Les articles sur les Riot girrrl se succédèrent encore plusieurs mois. Au début, les groupes de filles jouèrent le jeu et répondirent aux journalistes – Hanna accorda notamment un entretien en 1992 au tabloïd LA Weekly.

Mais cette surmédiatisation finit par agacer les rockeuses associées aux Riot grrrl, étonnées que la presse présente sans arrêt Bikini Kill comme le leader du mouvement et Kathleen comme sa reine. Car toutes défendaient un modèle d’horizontalité. Et répétaient à l’envi que Riot grrrl était un réseau à 1 000 têtes et non un mouvement menée par Hanna.

Mais elles gueulèrent dans le vide et cessèrent vite de répondre aux journalistes, coupables à leurs yeux de tronquer les verbatims, de ne pas les comprendre. Au final, elles décampèrent, histoire de retourner dans l’ombre et “dans l’underground”, comme l’expliquera Manon Labry, à Vice.

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Kathleen, aussi, en eut ras-le-bol d’être sous les projecteurs. Après trois albums studio, le groupe se sépara. Mais la chanteuse ne cessa pas, pour autant, de rugir : elle créa le nouveau groupe… Le Tigre. Une aventure qui dura quelques années. / Philippe Lesaffre 

*émeute en anglais

Cet article est extrait du numéro spécial rock.