EXTRAIT DU MAG – Tout risquer après avoir lu un simple album de BD. Se révéler et trouver la force de le dire au grand jour. Sans une bande dessinée de Julie Maroh (aujourd’hui Jul’), Agathe n’aurait sans doute pas pu faire son coming out comme elle l’a fait. C’était il y a deux ans. Mais, dans les yeux de la jeune fille, chaque instant ressurgit avec une cruelle vivacité.
Cet article est extrait du Zéphyr n°9 (Printemps 2021), Bande dessinée : le neuvième art sort de ses cases. Découvrez son sommaire, passez commande.
“Je me suis longtemps demandé ce que j’étais.” Quand on a 14 ans à peine, cette question passe souvent par les frais d’une autre interrogation. Que dois-je être ? Pour plaire à ses proches ? Pour respecter une certaine idée de la vie et de la famille ? Pour continuer d’exister et d’être perçue comme une personne à part entière. Agathe a fait du chemin pour y répondre et pour comprendre que les autres étaient finalement tout à fait accessoires. Originaire de la banlieue lyonnaise, la jeune fille est passée par toutes les souffrances pour en arriver là.
“Il paraît que c’est un passage obligé pour faire le point et grandir”, selon elle. Quand on grandit non pas avec mais à côté de ses frères et sœurs, que l’on se rend rapidement compte d’une différence qu’on ne saurait cependant pas qualifier, on pousse de travers, comme elle le dit. On se tord pour rester dans le moule et on met de côté ces pensées qui nous harcèlent la nuit tombée.
Agathe aime les femmes. Elle ne s’en cache plus. Elle est même assez fière de pouvoir en parler à un journaliste comme celui qui vous transmet ce témoignage. Le plus dur s’est produit deux ans avant notre rencontre. Lorsqu’il a fallu expliquer à sa mère et son père ce qu’elle est, en réalité, Agathe a retourné cent fois son discours dans ses pensées. “La nuit précédente, j’ai dû dormir une heure. Pas plus. Je me demandais ce que je pourrais leur dire et, surtout, comment je pourrais leur dire.” Leur dire quoi ? La vérité. La vérité toute nue, toute simple.
“Je suis homosexuelle.” Trois tout petits mots qui, dans un monde idéal, devraient être d’une banalité absolue. Mais, dans cette banlieue lyonnaise dévolue au monde ouvrier, l’affaire prend une autre importance. “Mon père s’est levé. Il a quitté la table sans un mot. Impossible de te dire ce qu’il pouvait en penser sur le moment. Ma mère, elle, est restée. Elle m’a tenu la main pendant des minutes interminables”, rappelle-t-elle les larmes aux yeux.
Comment as-tu compris que tu devais le dire ?”
Mais l’annonce du “père” n’a finalement provoqué qu’une gêne absolue. En un instant, les regards se sont perdus dans les contreforts d’un tabou. “Un père ne devrait jamais faire passer son honneur de mâle avant l’amour de sa fille. Le mien l’a fait ce jour-là. J’ai cessé de l’appeler ‘papa’ au même instant.”
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Quand on recueille un tel témoignage, on se sent tout petit, presque indiscret. On se demande pendant plusieurs minutes s’il est tout simplement utile de l’ouvrir. Et puis finalement, on lâche la fameuse question : “Qu’est ce qui a provoqué cette décision ? Comment as-tu compris que tu devais le dire ?”
La réponse est simple et tient en une petite centaine de pages. C’est une bande dessinée qui a permis à Agathe de mettre des mots sur ses sentiments et de trouver la force de les exprimer.
Les contreforts d’un tabou
Ce que son père ne lui a pas dit sur le moment, il lui a fait comprendre quelques jours plus tard. Au détour d’une conversation avec des amis venus rendre visite à la famille, il a demandé à ses hôtes de l’écouter. Il avait une annonce à faire comme s’il s’apprêtait à prendre le large pour une grande traversée. “À ce moment-là, il s’est levé face à tout le monde. Mes frères étaient à côté de moi. Ma mère en face avec nos amis. Il s’est contenté de dire froidement que ‘’j’avais décidé d’être une gougnotte’ et de me ‘taper des meufs’. Il l’a dit pour me faire honte et provoquer le rire des autres.”
Vous n’avez lu que 20 % de cet article. La suite dans Le Zéphyr n°9