Derrière la cité de la gastronomie de Xi’an se cache Jian Peng Shen, alias le « grand phœnix » de la pub : un business man fou de luxe et de gastronomie française.
Dans cette « cité gastronomique », toutes les cuisines de la province du Shaanxi sont réunies.
Derrière la petite porte de l’Est des remparts de l’ancienne capitale, les bus s’entassent. De là, des dizaines de touristes débarquent pour se prendre en photo devant une imposante porte. Trois caractères y sont inscrits : Yong Xing Fang, ou littéralement, le quartier de la prospérité éternelle. Une fois leurs appareils photo et leurs téléphones rangés, ils se ruent pour faire la queue devant un stand. Contre quelques billets, une carte leur est distribuée.
Le saint Graal de la bouffe. « C’est une carte qu’ils peuvent recharger avec de l’argent et qui leur permet de payer partout », explique un proche du directeur du projet. Pas de temps à perdre pour ces touristes en quête de gourmandise, qui passeront leur journée dans la soixantaine de restaurants de la cité, répartis sur un hectare de terrain.
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20 coups de marteau
Dans cette « cité gastronomique », toutes les cuisines de la province du Shaanxi sont réunies. Des traditionnels raviolis aux plats plus exotiques, citons par exemple la gelée de petit pois. Oui, tout y passe. On y trouve même le « hamburger chinois », à savoir de la viande fourrée dans une galette. C’est par le biais de petits stands de vente et de restaurants que les visiteurs se délectent de ces produits, parfois intrigants. « Mais qu’est-ce qu’ils mangent ? », s’étonne une touriste française. Il est vrai que dans la myriade d’échoppes en bois, il est difficile de repérer qui cuisine quoi et qui mange quoi. Et ce ne sont pas les odeurs, pour la plupart inconnues des visiteurs occidentaux, qui vont arranger quoi que ce soit.
Car des stands, il y en a beaucoup. Disséminés de manière assez chaotique, ils parviennent quand même à engranger 10 000 yuans (environ 1 660 €) de recette par jour contre un loyer de 2 000 yuans (environ 330 €) par mois. L’ingrédient secret de cette recette ? Parier sur le traditionnel plutôt que le moderne. Par exemple, les visiteurs peuvent écraser les patates au marteau géant plutôt que d’utiliser un mixeur. Une attraction qui plaît beaucoup.
À tour de rôle, chaque client peut donner jusqu’à 20 coups de marteau – pour les plus courageux – sur ce qui ressemble maintenant beaucoup plus à de la purée qu’à des pommes de terre. Zhang Mian Zhi, un passant, se lance. Surpris par légèreté de l’énorme outil en bois, il en ressort tout de même avec les bras qui tirent. « C’est bizarre, mais le plus dur c’était d’extirper le marteau de la purée, explique le jeune chinois. C’est comme s’il était pris dans des sables mouvants », rigole-t-il.
À l’image de ce stand, chaque petit restaurant devient une attraction à part entière. En somme, Jian Peng Shen, ou littéralement « le grand phoenix » (l’un des plus gros business man de la ville, que l’on rencontrera dans un prochain épisode), vient de créer en moins de deux ans, en plus d’un business florissant, un nouveau site touristique. Pour profiter de ce succès, la très célèbre marque de bière Tsingtao y a même loué un énorme stand de 1 000 m² pour y faire sa promotion. Il faudra néanmoins braver une queue monstre pour siroter son breuvage. « Drink Tsingtao, understand China. »
Le grand phœnix
Affalé dans un canapé dans le 8ème étage du très luxueux hôtel Wyndham, le grand phœnix contemple la ville. Élégant, les cheveux soigneusement coiffés sur le côté, et le polo bien repassé, il explique dans un anglais improvisé les raisons qui l’ont amenées à bâtir son empire de nourriture. « De plus en plus de gens sont séduits par la cuisine locale après s’être tourné vers la nourriture occidentale. », expose-t-il. Une sorte de retour aux sources. « Promouvoir les spécialités de la région en conservant les savoirs faire traditionnels et l’architecture typiquement chinoise, c’était quelque chose de naturel à faire. »
D’une manière décontractée, le géant chinois – plus d’un mètre 80 – énumère les différents plats à succès de la région, avant d’aborder le choix du site. « On a construit ce projet sur les restes de l’ancien hôtel particulier d’un Premier ministre du 7ème siècle. Le terrain a été entièrement rénové par la mairie, puis nous l’avons loué. Yong Xing Fang, le nom du lieu, est ouvert depuis maintenant un an et demi », explique Jian Peng Shen.
Monsieur Shen est un homme très pris par le temps. Il laisse le soin à l’un de ses amis francophones de raconter son parcours assez peu commun. « Après avoir fait quatre ans d’études de tourisme à Xi’an, il est entré dans une société de publicité publique. C’est là qu’il a appris le métier de publicitaire. » Mais la boîte coule au bout de quelques années, et le publicitaire se retrouve au chômage.
« C’était une époque difficile pour lui, il louait un petit bureau dans lequel il faisait paraître des petites annonces. » Plus qu’un bureau, la petite pièce lui sert aussi de chambre. Vient ensuite le boom économique, une opportunité sur laquelle le futur magnat de la publicité se jette pour réussir ses affaires. Ça lui a plutôt réussi. Aujourd’hui, il est propriétaire de 40 000 m² de panneaux publicitaires et d’affichages LED au sein de Xi’an.
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La french touch à la chinoise
Sa première folie fut d’ouvrir un restaurant français, La Seine, au cinquième étage d’un bâtiment donnant sur la très touristique Tour de la Cloche, en plein centre-ville. « Le propriétaire de l’immeuble lui devait de l’argent, il lui a donc cédé l’étage pour rembourser une partie de ses dettes », explique son ami, sans plus de précision.
Lancé en 2004, l’établissement surfe sur la vague du « chic à la française », très en vogue à ce moment, pour se faire connaître. Additionné avec l’immense réseau publicitaire de son patron, l’établissement La Seine devient le restaurant français incontournable de cette cité.
Fort de son succès, et après l’ouverture de quelques caves à vin, d’un hôtel de luxe, et d’un deuxième restaurant en périphérie – tous portant la marque La Seine, Jian Peng Shen se décide de monter une ferme pour alimenter ses établissements en matières premières. S’embarrasser de producteurs quand on peut se servir soi-même ? Hors de question.
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C’est cette même ferme qui fournit à Yong Xing Fang ce qu’il faut pour remplir les cuisines. Afin de capitaliser ses investissements, M. Shen a même fait en sorte de louer sa propre vaisselle – enfin, celle des établissements La Seine – aux stands et aux restaurants de la cité de la gastronomie. « Et ce, par soucis d’hygiène. » Pour asseoir sa folie des grandeurs, l’homme d’affaires compte agrandir son petit village en rasant un parking voisin. Sur un hectare, bien sûr. Pourquoi se contenter de la lune quand on peut avoir le soleil ? / Rémi Yang