Si Les Négresses vertes annonçaient en 1988 le retour triomphal de l’été, l’automne est sans doute celle qui aura le plus profondément inspiré les chanteurs. Poèmes engagés, balades mélancoliques, hymnes à l’amour et confessions intimes, les feuilles tomberaient-elles pour que les poètes les noircissent ?
Dans les rues pavées, les feuilles des ormes tombées dans la nuit étouffent les pas inquiets des écoliers. De loin en loin, les premiers frimas chargés d’un air hivernal charrient dans leur sillage la rumeur de la fin des beaux jours. On se couvre, on se calfeutre, on ressort les lourdes étoffes qui dormaient encore au fond des armoires. L’automne prend possession des villes et des campagnes sans que les derniers rayons de l’été n’osent le contrarier.
Ce combat perdu d’avance n’aura pas lieu. Là bas, la mine d’un crayon gratte frénétiquement une feuille plus tout à fait blanche. Une composition ? Un problème d’algèbre ou de géométrie ? Le nom d’une capitale à découvrir ? Non. Si cette pointe s’affaire avec tant d’application, c’est pour conter aux oreilles attentives les beautés insoupçonnées d’une saison où la nature s’enfonce doucement dans un grand sommeil.
Cette chanson nous ressemble tant. Elle parle de la revanche d’octobre, d’un été indien inaccessible, des heures qui s’égraine tandis que l’on guette à la fenêtre, de la danse de la lune, des sanglots longs, des violons, de l’automne… et les plus grands artistes l’ont écrite au gré de l’instant.
Octobre tient sa revanche
En 1994, un poète invite la France entière à venir passer avec lui un « samedi soir sur la terre ». Dans cet album brillant où se mêlent les ors et la lumière, Francis Cabrel raconte Octobre comme personne ne le fit avant lui. Certes, d’autres ont décrit les feuilles mortes qui se ramassent à la pèle, mais ce qu’il a fait est différent. En quelques couplets, l’homme d’Astaffort a pris par le bras des millions de curieux pour les emmener marcher sur des chemins qui fleurent le sous-bois, la fraîcheur matinale et la lente agonie des dernières fleurs.
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Si le titre s’écoule à plus de quatre millions d’exemplaires, le lyrisme intime de son auteur n’y est pas pour rien. Cet octobre-là n’est pas rouge. Il s’est paré de cuivre, de bruns profonds et de toutes les couleurs du crépuscule. Autour de ce bijou, Cabrel proposait également l’histoire d’un arbre. Cet arbre va tomber, il en est persuadé et, au travers de sa chute, c’est aussi l’automne dont il est question ; celle d’une vie fauchée et de ces déjeuners estivaux qu’il n’abritera plus jamais.
Ce matin-là
En 1975, la France se réveille sur un autre continent. Le ciel se pare de teintes venues d’ailleurs, d’une saison qui n’existe que dans le nord de l’Amérique. Joe Dassin chante L’été indien et promet d’emmener ses auditeurs loin, très loin… Quelques mois plus tôt, le plus français des chanteurs américains est en fâcheuse posture alors qu’il tente de renégocier son contrat auprès de la maison de disques CBS. Son album Le costume blanc connaît un succès tout relatif et doit son salut au coup de génie d’un directeur artistique.
Jacques Plait est aux aguets et cherche un titre fort pour son poulain et tombe sur une chanson co-écrite par l’italien Toto Cutugno. Au départ, le toscan veut confier la version française de sa ballade à Claude François. Mais ce dernier s’étant couché très tard, il ne peut répondre aux sollicitations de l’auteur qui confie finalement L’été indien à Jacques Plait et Joe Dassin. Claude Lemesle et Pierre Delanoë, les deux grands paroliers, sont chargés d’imaginer un texte et s’appuient pour cela sur ce que Deauville leur offre de plus beau : un week-end des plus ensoleillé.
La mélancolie du temps qui passe
Poème saturnien, cri de ralliement des alliés, mélodie inoubliable… Chanson d’automne a marqué au fer rouge l’esprit de ses contemporains. Omniprésente et si discrète, elle a inspiré les plus grands. Léo Ferré ou Serge Gainsbourg ont fait de ce texte léger comme un courant d’air le support de leurs rêveries. Ferré, le grand Ferré, s’était amusé à mimer l’ensemble des instruments mis à contribution lors d’un récital donné en 1986 à Paris. Sa voix pure répondant à la flûte traversière, il donnait de jour-là une coloration presque anachronique d’un bœuf de jazz au texte de Paul Verlaine.
La fuite du temps, celle que Léo chantera si bien, date de 1866 et, sous le jeu des vocalises, prend des atours insoupçonnés. Insoupçonnés, les raccourcis pris à travers le texte initial le sont également. Quand Charles Trenet s’est, en premier lieu, saisi des strophes de Verlaine, il les a arrangées à son goût, faisant passer les blessures pour des berceuses. Qui sait si Trenet était vraiment le fou que l’on disait alors…
Une chanson qui nous ressemble
D’un poète à l’autre, la force du texte est similaire. Tandis que Verlaine traînait ses guêtres sur les sentiers de Saturne, Jacques Prévert est allé marcher et se surprend même à souhaiter que l’on se souvienne « des jours heureux où nous étions amis », des jours où les feuilles étaient emportées par le vent du nord… La chanson devait initialement figurer au générique du film de Marcel Carné, Les Portes de la nuit. Mais seules quelques bribes sont fredonnées par Yves Montand.
Projeté dans de nombreuses salles obscures à partir de décembre 1946, le long métrage essuie un échec commercial, mais le titre qui devait composer son générique d’ouverture remporte, quant à lui, un succès international ; un succès à retardement qui avait eu le don d’irriter Prévert comme le confirmera Marcel Carné. « Jacques se montrait surtout ulcéré que la presse ait complètement passé sous silence Les Feuilles mortes. C’était pourtant vrai. Aucune critique, c’est dire leur clairvoyance, n’avait signalé la chanson qui allait faire le tour du monde, et figurer au répertoire des plus grands chanteurs d’Amérique, Sinatra et Nat King Cole en tête. »
Un hymne à la vie
De Tété à Christophe Maé en passant par les Américains de Greenday ou l’italien Paolo Nutini, nombre d’artistes se sont emparés du thème de l’automne. Emmenant leurs auditeurs en un fort, une presqu’île, comme disaient les Innocents, ils ont inspiré des générations entières et laissé entrevoir dans les brumes matinales le mirage d’un monde de poésie. Pour toute conclusion, les harmoniques d’Antonio Vivaldi et de ses Quatre Saisons achèvent ce tour d’horizon. Les cordes et les cuivres se mêlant les unes aux autres pour dire au monde que l’automne n’est pas une procession funèbre. Bien au contraire, c’est un hymne à la vie et son cycle éternel. / Jérémy Felkowski