La série American Horror Story, née en 2011, se démarque par une approche singulière du rôle de la musique dans l’impact dramatique d’une scène.

les couvertures du Zéphyr

Une grande série est une œuvre totale où l’image et le son entrent en symbiose pour souligner une intention artistique. Alors, avant de procéder à l’autopsie des 5 premiers opus d’American Horror Story, arrêtons-nous un instant sur la manière dont le compositeur James Levine a revisité les codes du genre et donné corps au générique de la série. Passés les logos de la production, le spectateur est soudainement plongé dans une épure brutale, un exercice de style. Mis à part les trois accords de basse posés comme une marche funèbre, son thème d’introduction se résume en un magma de grouillements, de grincements et de clapotis glauques. Un enchaînement qui s’accorde d’ailleurs parfaitement au montage tout en rupture des images qui défilent à l’écran. Quelques plans fugaces sur de vieilles photos et des bocaux de formol permettent de discerner le fond de l’intrigue. Et dès les premières secondes, on comprend que cette série n’a rien à voir avec La petite maison dans la prairie. Ryan Murphy et Brad Falchuk, ses créateurs, ont voulu faire de ce générique un manifeste, une démonstration de force, en lui conférant une atmosphère à l’intensité macabre.

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De ce point de vue, le contrat est rempli ! On est bien loin de la partition que Danny Elfman, le génial compositeur des films de Tim Burton, avait signée pour le mythique lancement des Contes de la crypte.  À l’époque, le parti pris d’Elfman était beaucoup plus narratif et introductif, presque pédagogique. Un plan après l’autre, le musicien et ses complices expliquaient alors l’univers du projet dans une collection de clichés de l’épouvante. Un orage, un manoir que l’on devine hanté, un petit travelling parmi les broussailles d’un jardin à l’abandon, un hurlement de loup, le grincement d’une porte… De l’ouverture de ce fameux portail en fer forgé jusqu’au surgissement de la momie, une narration claire et académique accompagnait le spectateur dans sa découverte du thème des lieux. Et vingt-sept ans après la diffusion des premiers épisodes, chacun saurait encore en fredonner l’air. Mais qu’en serait-il d’American Horror Story ? Faites le test chez vous. On juge habituellement la qualité d’un générique au souvenir qu’il dépose au creux d’un esprit et à l’unité qu’il crée entre le fond et la forme d’une histoire. Ce générique est une introduction qui se suffit à elle-même. L’expérience imposée par Levine lui assure une place de choix aux côtés de l’élégant préambule de House of cards au panthéon des plus grands génériques.

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L’angoisse et la folie

Une famille déchirée soudainement confrontée à ses peurs les plus intimes, une obscure maison dont les murs semblent engloutir ses occupants successifs, des esprits torturés, des drames et des secrets… Tous les ingrédients d’une intrigue hitchcockienne sont présents dans Murder House, la saison inaugurale d’AHS. Centre névralgique de cet oppressant huis-clos, les références au patrimoine musical du genre ne manquent pas. Écrit par Bernard Hermann, Twisted Nerve est l’un des airs les plus célèbres du cinéma. Bien sûr, pour les plus jeunes cinéphiles, la chanson est irrémédiablement collée à l’œuvre de Quentin Tarantino dans Kill Bill et au personnage d’Elle Driver, la fameuse tueuse à gage borgne. Mais cet air a surtout accompagné la déchéance d’un autre esprit malade. En 1968, quand sort le film de Roy Boulting, le public découvre l’histoire d’un garçon névrosé tentant d’échapper à la réalité en se réfugiant derrière une double personnalité.

Sa mère, une femme castratrice, s’évertue à le traiter comme s’il s’agissait encore d’un nourrisson. Son beau-père, un homme sinistre et violent, ne le supporte pas et son jeune frère, trisomique, est placé dans une institution spécialisée. Cela ne vous aura pas échappé. La trame du film de 1968 est, en tout point, le portrait robot de Tate et de sa famille. Beau, le frère handicapé, Constance, la mère abusive, Larry, le beau-père au passé trouble… tout est là. Ce n’est donc pas un hasard si les producteurs d’American Horror Story ont associé ce thème au blondinet. Suivi psychologiquement par Ben Harmon, le nouveau propriétaire de la maison, ce jeune homme perturbé se révèle être un meurtrier implacable qui a décimé ses camarades de classe il y a plusieurs années. Le sifflotement lancinant de Twisted Nerve a un rôle précis : rappeler la nature diabolique de Tate.

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Les murs ont des oreilles

Deuxième opus de la série, Asylum pousse le spectateur à réfléchir sur sa propre définition de la folie au travers d’une saisissante galerie de portraits. Monseigneur Timothy et son fantasme pontifical ; Lana, son égocentrisme et son homosexualité que l’Amérique des sixtees voyait comme une aliénation ; le docteur Arden et son passé d’officier nazi ; Sœur Jude et sa quête d’absolution… Chaque personnage, qu’il soit interné ou non entre les murs de Briarcliff, constitue une facette de cette équation. Au cœur de la réflexion, une chanson résume l’histoire commune des âmes troublées qui hantent le vieux manoir. Les religieuses de l’asile usent en effet de Dominique, la chanson de Soeur Sourire, comme d’un outil de torture sur les patients… et les oreilles des spectateurs. À l’image de l’effet scénaristique employé par Harold Ramis dans Un jour sans fin, Dominique renvoie à la notion de perpétuité, d’absence d’issue.

Dans le film, Bill Murray est inlassablement réveillé à six heures précises par I got you babe, le titre de Sonny & Cher, au beau milieu de sa miteuse chambre d’hôtel de Punxsutawney. Dans la série, ce sont les passages dans la salle commune qui font l’objet de ce petit tour de passe-passe. Pour la petite histoire, lorsque Ramis a débuté l’écriture du long-métrage, un sondage a été diffusé à l’ensemble à toute l’équipe.

Sœur Jude

La question était simple : « D’après-vous, quelle est la chanson la plus insupportable que l’on puisse entendre au réveil ». La réponse, vous la connaissez déjà. Mais au-delà de la répétition obsessionnelle et de l’apparente gaité de Dominique, c’est sur la vie de son auteure qu’il convient de s’arrêter. Sœur Sourire aurait pu finir ses jours à Briarcliff. Comme Jude, elle a connu une crise de la vocation. Comme Lana, elle a été piégée par le système judiciaire et son homosexualité a été attaquée pour son homosexualité. Comme Kit, elle est tombée en dépression. Et comme Monseigneur Thimothy, elle a fini par se suicider. Le destin de cette nonne embrasse l’ensemble des maux dont souffrent les protagonistes.

Tournant de la saison et redoutable spoiler pour ceux qui ne l’auraient pas vue, le basculement de Sœur Jude dans la folie est, lui-même, symbolisé par un procédé musical des plus efficace. Encore une fois, Ryan Murphy et Brad Falchuk n’ont pas hésité à piocher dans les grands classiques du cinéma pour s’inspirer de quelques scènes mythiques pour traduire cette plongée dans la démence.

Comme dans Brazil, un monument du septième art réalisé par Terry Gilliam en 1985, ils ont eu l’idée de représenter ce trouble par une sorte de rêve musical. À l’origine, The Name Game est une petite composition pop du début des années 60 écrite et interprétée par Shirley Ellis. Si son nom n’est pas resté dans les annales, elle a tout de même marqué l’année 1964 par la rythmique de ce morceau et les jeux de mots qui en composent le texte.

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Perdre pied

Et comme dans Brazil, The Name Game constitue un couloir narratif vers les abîmes de l’esprit. Dans le délire provoqué par les doses massives d’opiacés et les électrochocs qu’on lui administre, Jude s’imagine dans un clip où elle retrouve les atours de l’artiste de music-hall qu’elle était avant de porter la robe noire des sœurs. On y perçoit l’abandon de toute forme de réalité. Elle se mêle aux autres pensionnaires, les incite à participer à son numéro.

Certains, à l’écran, sont frappés d’étranges convulsions, soulignant encore davantage ce qu’on pressent déjà. En quelques pas, l’ancienne directrice d’asile glisse du rôle de figure autoritaire à celui de malade mentale. Loin de l’interprétation littérale et peu inspirée de Black Swann où Darren Aronofsky ne suggère la folie de Nathalie Portman que par quelques mouvements de caméra, la séquence illustre une maîtrise du sujet. Mais pourquoi The Name Game et pas un autre titre de l’époque ? En 1964, lorsque la chanson sort, l’Amérique conservatrice l’accueille plus que froidement. On en dit le plus grand mal. Les gestes saccadés, les paroles rapides et les jeux de mots improvisés seraient l’expression même de la folie.

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Entre ombre et lumière

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Et si, avec Coven, les producteurs de la série voulaient rendre hommage à l’esprit originel des X Men et leur lutte antiraciste ? La saison se déroule dans le Sud profond des États-Unis, une terre d’injustice et de ségrégation. Il y est question de xénophobie et l’institut géré par Cordelia y fait office d’école pour jeunes mutants du Professeur Xavier. À cheval entre deux époques, l’histoire met également en scène Delphine Lalaurie, une sombre esclavagiste interprétée par l’excellente Katie Bates. L’ensemble des thèmes musicaux sélectionnés pour cet opus reflète cette dualité entre l’ombre et la lumière, la tolérance et le rejet, la haine de l’autre et l’amour qui lie certains personnages. Le ton général est donné dès le premier épisode par Sugar Land, un bon vieux morceau de blues tout en tempo et en percussions. Le texte de Papa Mali accompagne l’arrivée de Zoé à la Nouvelle-Orléans tout en introduisant les thèmes principaux de la saison.

Au fil des strophes, le chanteur parle de la difficulté de trouver sa propre voie sans subir le rejet et le jugement des autres. Papa Mali, lui-même, est un pur produit de la Louisiane métissée. Petit blanc originaire du Nord de l’état, il a passé le plus clair de son enfance à hanter le quartier français de la Nouvelle-Orléans. Il y a fait ses gammes, apprenant peu à peu à se nourrir des influences variées de cet univers cosmopolite. Malcolm Welbourne, de son véritable nom, ne reçoit son nom de Papa Mali qu’en 1988 de la bouche même des fondateurs du reggae. Il était alors en voyage au cœur de la Jamaïque et participait à une tournée. Il était alors en voyage au cœur de la Jamaïque et participait à une tournée.

Misty Day

Au sein de la petite communauté de sorcières qui hante les environs de la Nouvelle-Orléans, il en est une qui symbolise la marginalité et le rejet des différences. Un petit précis des luttes pour les droits civiques incarné par une grande blonde. Sans doute un petit clin d’œil à l’histoire personnelle de Papa Mali. Misty Day est dotée d’un pouvoir tout aussi merveilleux qu’effrayant.

Elle est en effet capable de rendre la vie aux créatures inanimées. Un talent que lui jalouse Fiona, la sorcière suprême avide de jeunesse et d’immortalité, et qui lui vaut d’être immolée par une assemblée de superstitieux ayant vu en elle la manifestation d’un démon. Tout au long de la saison, le spectateur suit ainsi les pérégrinations de la jeune femme en écoutant quelques-uns des plus fameux morceaux de Fletwood Mac.

Groupe phare du rock des années 1970 et 1980, il tient une place prépondérante dans la narration et, comme ce fut le cas lors des saisons précédentes, dans la biographie d’un personnage clef : Misty Day. Premier chanteur du groupe, Peter Green a progressivement perdu pied en s’enfermant dans un délire de persécution. En 1970, alors que le Flet’ est au sommet de sa gloire dans le petit monde du blues rock, son leader quitte tout, s’enfonce dans une grave dépression et finit par être interné dans un hôpital psychiatrique. Un point qui le lie clairement à Misty qui, tout au long de Coven, passe pour une personne fragile psychiquement. Autre figure tutélaire du groupe, la chanteuse Stevie Nicks y intervient en jouant son propre rôle lors des derniers épisodes. Accompagnatrice des rites de passage des jeunes sorcières, elle y parle de nature, de libre arbitre, de mysticisme et d’émancipation. Tout est dit !

La normalité n’existe pas

Si la référence à La monstrueuse parade, un film de 1932 réalisé par Todd Browder, ne vous aura pas échappé, c’est encore et toujours du côté des platines qu’il faut se tourner pour apprécier tout le travail réalisé sur Freak Show. Sur le plan sonore, cette saison est sans doute la saison la plus aboutie. Une sorte d’album de la maturité pour le binôme Ryan Murphy et Brad Falchuk. Si le générique de ce quatrième opus marque une rupture évidente avec les exercices précédents en se parant de quelques notes enfantines, les épisodes portent la marque d’un extraterrestre : David Bowie. Pour les besoins de son spectacle, Elsa chante Life on Mars. Outre le jeu de mots lié à son patronyme, le texte parle de normalité, du poids d’un regard, de la peur de l’autre et de la réflexion sous-jacente de la saison à propos de la normalité.

Dès sa sortie, les critiques de la BBC affirment qu’il s’agit du texte le plus bizarre jamais écrit pour une chanson. La bizarrerie, l’étrange, l’incompréhension… Et Life on Mars n’est pas le seul titre mythique de l’anglais à intégrer la bande originale de Freak Show. Rattrapée par son douloureux passé, Elsa Mars s’avance sur scène au soir du 31 octobre. Elle sait qu’en se produisant, la malédiction de Mordreak s’abattra sur elle. Mais elle n’en a cure. Lovée dans un costume blanc, les épaules en arrière, l’artiste prépare son ultime tour de chant.

Sa silhouette se découpe alors dans le halo des projecteurs. Aux premières notes, le spectateur comprend. Jessica Lange va interpréter Heroes dans un parfait pastiche du clip originel et faire de cette séquence le testament de son personnage. Le texte parle de lui-même. Il traduit la soif de reconnaissance d’Elsa. Cette même soif qui l’a conduite à constituer sa troupe de monstres, à se corrompre et à poursuivre ses chimères en copiant Marlène Dietrich dans ses numéros.

Forcer le trait

Mais pourquoi Ryan Murphy et Brad Falchuk ont-ils pensé à Bowie pour accompagner ce cirque de monstres ? Pour le comprendre, repartons quelques décennies en arrière, à une époque où le monde découvrait Ziggie Stardust et son étrange allure. Aux prémices des seventies, l’irruption de Bowie dans les charts a été marquée par des critiques et des attaques virulentes. Le londonien cultivait alors un style androgyne et arborait des maquillages grandioses qui le suivirent pendant plusieurs années. Le personnage construit par Bowie était un extraterrestre chargé de sauver le rock. Mais une partie du public n’en a retenu que les paillettes et la confusion qu’il entretenait sur son genre. Vu, lui aussi, comme un demi-monstre, le chanteur interrogeait de ses yeux vairons le monde sur sa perception de la normalité, tout comme les pensionnaires du cirque d’Elsa Mars et les personnages de Freak Show. Face au rejet et aux quolibets, le chanteur n’en était que plus fier, plus grand, plus beau… Tout à fait ce que les artistes du cirque d’Elsa Mars voulaient être sous le grand chapiteau.

Tandis que les premiers épisodes de la sixième saison sont, en ce mois de décembre 2016, diffusés sur Netflix, il convient de revenir un instant sur la tonalité musicale de la précédente. Et force est de constater que cette cinquième n’est pas celle de Beethoven. Au moment de l’annonce du casting, tous les fans s’étaient enthousiasmés lorsque le nom de Lady Gaga était finalement apparu. Mais contre toute attente, la diva s’est contentée de forcer le trait d’un personnage qu’elle a embarqué avec elle en direction de la Californie. Rien, que ce soit dans la bande-son ou dans les détails, ne laisse présager une quelconque originalité. De grands plans dédiés à la valorisation d’un décor qui a sans doute coûté un bras à la production, une structure scénaristique clairement empruntée à la première saison… Le cinquième opus est une déception à bien des égards… On ne retiendra de cet opus manqué que la référence un brin convenue au mythique titre des Eagles Hotel California. L’intrigue se déroulant dans un hôtel californien, la ficelle était toute trouvée… / Jérémy Felkowski