Le journaliste américain Matthew Cassel a partagé durant 13 mois le quotidien d’un groupe de migrants et réalisé un documentaire dans les méandres de leur exode.
Cela fait longtemps que Matthew Cassel s‘intéresse au sort des réfugiés au Moyen-Orient, en particulier les Palestiniens. Et quand les printemps arabes et les guerres qui en découlent éclatèrent, il a tout d’abord commencé par réaliser des reportages sur cette nouvelle crise. Il a vu, ces dernières années, la manière dont les réfugiés tentaient de se reconstruire et de démarrer une nouvelle vie avec, parfois, quelques succès.
A ses yeux, il est naturel de les voir fuir leur pays d’origine pour gagner l’Europe, pour un paradis sûr. Mais le chemin est particulièrement périlleux et nombre d’entre eux meurent. Il a donc pensé qu’un documentaire dédié à leurs tentatives de fuite était nécessaire. Et il l’a fait.
Le Zéphyr : Comment avez-vous construit ce documentaire ?
Matthew Cassel : Je l’ai pensé et construit sur plusieurs mois. Au départ, je ne pensais pas vraiment m’enterrer dans un projet long et lourd. Mais chaque jour que je passais aux côtés d’Aboud, je m’enfonçais de plus en plus profondément dans sa vue et son aventure. Ce n’est qu’au bout de treize mois après notre première rencontre que j’ai finalement décidé d’arrêter de filmer et de boucler une bonne fois pour toutes ce documentaire.
Travailler sur un tel sujet en suivant le périple des réfugiés doit être un dur voyage. Quel a été le plus éprouvant dans cette aventure ?
Matthew Cassel : C’est un périple épuisant pour ceux qui l’entreprennent. Je me considère comme étant un homme en bonne condition physique. Mais malgré cela, j’en suis ressorti exténué. Mais quand vous regardez autour de vous et que vous apercevez, juste là, des femmes enceintes, des vieillards et des gamins arpenter le même chemin que vous, ça vous redonne de la force. Faire partie d’un groupe comme ce fut le cas pour moi et faire l’expérience de la solidarité qui nous unissait ont permis d’outrepasser les difficultés et de passer les pires moments du voyage.
Mais, pour moi, le plus dur a été l’inquiétude que je ressentais à propos de mes camarades. Aboud et ses amis, en particulier les plus vulnérables du groupe comme les sœurs Narita et Narina. Elles sont bien trop jeunes pour avoir un quelconque rôle à jouer dans le jeu des politiques et la guerre en Syrie. Mais elles étaient pourtant là, forcées de fuir leur pays comme tous les autres. C’est difficile d’imaginer que nos gouvernements les aient forcées à endurer une telle épreuve juste pour trouver un abri.
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Les citoyens américains sont très loin des événements syriens. Mais ce documentaire a sans doute provoqué des réactions là-bas ?
Matthew Cassel : J’ai voulu raconter l’histoire intime d’une famille syrienne. Et je pense que, quand vous avez la chance de rencontrer une personne comme Aboud et ses amis, que vous passez du temps avec lui et ses proches, c’est finalement très facile de raconter une histoire qui touchera tout le monde. Aboud est un ami proche, maintenant. Nous avons beaucoup en commun. Même s’il a été plongé dans un contexte tout à fait extraordinaire. Abandonner sa maison, franchir des frontières clandestinement, s’échapper de centres de rétention… il n’a jamais voulu accomplir tout ça. Mais il l’a fait. J’espère que les gens qui verront ce documentaire comprendront mieux ce que vivent réellement.
Que voulez-vous dire aux citoyens français qui verront ce documentaire ?
Il y a eu énormément de soutien et de solidarité envers les réfugiés en France. Mais il y a également eu une forte hausse de la xénophobie, tout comme dans la majorité des autres pays occidentaux. On devrait tous s’en préoccuper. Ces gens qui fuient uniquement pour rester en vie et protéger leurs familles sont utilisées comme boucs émissaires lorsqu’un problème survient en Europe. Et comme on peut le voir en découvrant le périple d’Aboud et des siens, c’est parfaitement injuste.
J’espère simplement que ce film réintroduira un peu d’humanité dans les débats concernant la crise des réfugiés et serve de permette de comprendre qui sont réellement ces réfugiés. Aujourd’hui, ce sont des Syriens, des Afghans et d’autres populations forcées de fuir. Mais demain, ça pourrait concerner certains d’entre nous, au cœur même des pays occidentaux comme ce fut le cas par le passé.
Lire aussi : le récit de Hicham, un Syrien qui s’est exilé à Paris.
Et aux femmes et hommes politiques français à propos de leurs responsabilités humaines quant à l’accueil des réfugiés ?
Construire des murs face à ceux qui fuient la guerre et les persécutions ne résoudra aucune crise. Cela n’entraînera que plus de souffrances pour ceux qui en ont déjà enduré tant. Ne restez pas du mauvais côté de l’histoire en fermant vos frontières face à ceux qui n’ont nulle part où aller./ Propos recueillis par Jérémy Felkowski