Près de Bordeaux, Stéphanie Dartigue, de l’association Le Bocal local, récupère vos restes et les redistribue aux sans-abri et aux familles précaires. Anti-gaspi.
Dans un point de vente, vous voyez des carottes biscornues ou des pommes que la nature n’a pas gâtées et vous hésitez à les acheter. Vos grands-parents ou vos parents ont un cerisier et le dilemme se répète chaque année : comment consommer l’ensemble de sa production ? Vous avez déjà entendu dire : « Mince, je vais être obligé(e) de préparer plusieurs pots de confiture ? »» Si oui, vous faites déjà de l’anti-gaspi sans le savoir !
Pour lutter contre le gaspillage alimentaire, chacun trouve sa voie. Certains récupèrent les invendus à Rungis et, dans le but de les sublimer, concoctent des plats gastronomiques. D’autres récupèrent fruits ou légumes moches et cuisinent des compotes et des confitures. Dans la périphérie de Bordeaux, Stéphanie Dartigue collecte la production maraîchère invendue des points de vente des marchés ou des grossistes. Depuis son village rural de Pompignac, elle part surtout à la chasse des fruits laissés à l’abandon par des particuliers qui ne peuvent pas toujours consommer l’ensemble de la production de leur(s) arbre(s).
Une expérience que Stéphanie Dartigue a justement vécue peu de temps après avoir emménagé à Pompignac, dans une maison entourée d’un jardin, où trône un brugnonier. Son conjoint a eu un accident de la route et n’a pu participer au ramassage des fruits. Or, elle n’a pu s’en occuper seule, faute de temps. Et, par conséquent, de nombreux brugnons ont fini par pourrir. Le déclic. Si cela lui est arrivé, il y en a forcément d’autres qui ont rencontré le même souci – par exemple, des personnes âgées, propriétaires d’arbres fruitiers.
« Autant partager les récoltes avec des personnes dans le besoin », sourit-elle, avant de formuler son projet associatif. Si les pêches et les carottes récupérées sont encore consommables, quoi qu’un peu biscornues, elle les donne à des associations de don alimentaire, comme les Restos du cœur ou le Secours catholique. Sinon, si une partie du produit est trop abîmée, elle enfile son tablier puis vend coulis et confitures qu’elle donne ou vend à l’occasion.
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« Potaginage pédagogique »
L’activité porte ses fruits. Depuis le lancement du Bocal local, en 2015, elle a pu récupérer, dit-elle, cinq tonnes d’invendus. Mais elle ne peut pas vraiment tout conserver : les moyens manquent encore. Surtout d’un point de vue logistique, puisque Le Bocal local manque tout simplement de… local : la mairie de Pompignac lui réserve un bureau dans lequel l’association peut stocker un peu. « Néanmoins, nous fonctionnons plutôt en flux tendu. » Elle récupère, elle ramasse, puis redonne directement aux associations.
Ne pas perdre d’aliments riches en vitamines, accompagner les particuliers propriétaires d’un potager et… sensibiliser. Car Stéphanie Dartigue ne s’arrête pas à la lutte contre le gaspillage alimentaire. Avec une encadrante technique, elle imagine et conçoit des espaces de « potaginages pédagogiques », comme elle dit, pour des collectivités, des bailleurs sociaux. Ainsi que des établissements d’hébergements pour personnes âgées – comme à Bouliac, une commune environnante où « la directrice était convaincue des bienfaits de ce type d’outil sur sa structure », confie Stéphanie Dartigue.
Le but du jeu : maintenir les facultés cognitives des résidents, en travaillant, lors d’ateliers, sur la reconnaissance des plantes, sur le toucher et sur le goût. L’association est fière de partager, sur Facebook, des clichés de thym, de verveine et de sauge. « Les bacs, précise la directrice, ont été réalisés localement à partir de bois de palettes recyclé par la jeune ressourcerie Rizibizi à Salleboeuf », en Gironde. Outre les personnes âgées, des petits âgés de moins de trois ans pourront, à la rentrée prochaine, en profiter puisque des enfants inscrits à la crèche environnante viendront sur place. « A cet âge, on apprend beaucoup. »
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Une activité créatrice d’emploi
Autre initiative, Stéphanie Dartigue s’apprête à lancer une une conserverie anti-gaspi sur le territoire Coeur-entre-deux-mers. « Elle absorbera les surproductions non consommables en l’état (abîmées, avancées en termes de maturité ou moches), qu’elles soient individuelles ou professionnelles. Elle permettra à des personnes éloignées de l’emploi de retrouver savoir-faire et savoir-être. Elle sera aussi une solution accessible et adaptable aux producteurs locaux qui souhaitent avoir une alternative pour du travail à façon. »
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Son activité, créatrice d’emploi, elle souhaite l’essaimer ailleurs. Et ce, toujours « à la lisière des grandes villes, pour dynamiser des territoires souvent considérés comme dortoirs ». En attendant, le Bocal local s’inscrit dans une démarche plus large. Consommer autrement, plus sainement, oui, mais de quelle manière ? En juin dernier, par exemple, Stéphanie Dartigue a passé une demi-journée à Talence, une autre commune de la périphérie bordelaise, pour répondre à cette question, quelques jours après avoir reçu le prix « coup de cœur » Créenso, qui récompense les créateurs d’entreprises sociales au niveau national. Mobilisée, elle se rend régulièrement à des événements consacrés à l’agriculture urbaine, mais encore à la permaculture, une philosophie qui incite à s’inspirer du fonctionnement de la nature dans la conception d’un écosystème humain durable./ Philippe Lesaffre