Daniel Ichbiah, rédac’chef du magazine Comment ça marche, a voué sa carrière au décryptage des phénomènes culturels et notamment du fameux groupe rock Téléphone.
Musique, multimédia, jeux vidéo… Daniel Ichbiah a signé la bagatelle de 80 ouvrages qui ont notamment fait la part belle aux monuments du rock. Toujours sur le pied de guerre, il revient sur l’aventure du groupe Téléphone dont il écrit la biographie. Icône des années 1980, le quatuor a signé quelques-uns des plus beaux morceaux du rock Made in France.
Le temps d’une rencontre, Daniel Ichbiah monte à bord du Zéphyr pour nous parler d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Un temps où le rock français ne se résumait pas en quelques riffs maladroitement posés sur un tempo binaire. Un temps où le texte prévalait sur tous les arrangements de post prod, un temps où on ne plaisantait pas avec le rock, où l’on pouvait descendre quelques pintes avec les Stones… le bon temps, quoi !
Le Zéphyr : On parle souvent de Téléphone comme d’un groupe novateur. Mais ses membres ont sans doute été influencés par d’autres artistes ?
Daniel Ichbiah : Jean-Louis Aubert a été profondément marqué par les Beatles et, en particulier, par le titre A hard day’s night, sorti dans l’album éponyme en juillet 1964. Un an plus tard, sa sœur revient à la maison avec un disque des Rolling Stones sous le bras. Il s’agit de Out of our heads, avec le très fameux Satisfaction. Bertignac, à la même époque, écoute Let’s Twist Again de Chubby Checker avant de bifurquer lui aussi vers les Stones. C’est une véritable révélation pour lui et c’est clairement ce qui l’a poussé vers la guitare. Kolinka s’est consacré à des musiques très sophistiquées comme celles de Franck Zappa et de Jimi Hendrix. Corinne est sans doute la seule à détenir un peu de musique black dans son ADN artistique. Elle était, à l’époque, férue de Gospel.
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Que manque-t-il aux groupes français comme Téléphone pour atteindre le niveau des Stones ?
Tous ces groupes ont grandi en écoutant les Stones et les Beatles. Ces derniers ont eu pour influences des musiciens de blues, des morceaux très authentiques, très roots. Quand Téléphone arrive, on est déjà sur une deuxième génération. Ils n’apprennent pas leurs gammes auprès des maîtres black mais avec ceux qui ont déjà réinterprété cette musique-là.
Résultat, le quatuor est resté dans une démarche classique alors que la bande de Mick Jagger a davantage donné dans l’innovation et les compositions spécifiques. Sans conteste, les Stones ont un bagage musical beaucoup plus profond. Malgré les influences tardives de Jean-Louis Aubert et son écoute de Prince, Téléphone est et restera un groupe de rock blanc influencé par des blancs.
Question piège… quelle est la meilleure chanson du groupe ?
C’est vraiment une question piège dans la mesure où une dizaine de très bonnes chansons se démarque du reste. Mais, pour moi, celle qui sort le plus du lot s’intitule Métro c’est trop. C’est un hymne rock & roll tel qu’on en trouve très peu dans le répertoire du rock français, une sorte de déferlement de texte, le tout, servi par un arrangement de grande qualité. On retrouve cette qualité dans les morceaux de Clash, de The Police, des Beatles…
Mais finalement, la chanson qui représente le mieux ce groupe, c’est sans doute Un autre monde. Le morceau parle des désillusions d’un jeune soixante-huitard face à la réalité des années 1970-80, le tout étant servi par une super orchestration. Les guitares se répondent à merveille. Kolinka fait des merveilles à la batterie…
Pourquoi Téléphone n’a pas réussi à percer à l’international ?
Quand le groupe signe avec Virgin, c’est bien dans cette optique. Mais, sans vouloir dire que c’était un pari perdu d’avance, d’autres stars comme Johnny Hallyday ont tenté le coup sans réussir. En Amérique du Nord, les groupes respirent le rock. La musique américaine est comme ça. De notre côté, nous sommes davantage dans les mélodies romantiques et les textes. Aznavour, Piaf et quelques autres ont eu un succès fou. Mais quand les Américains ont vu débarquer Téléphone, ça n’a pas été pareil. Le groupe s’est même produit devant un seul et unique spectateur. La place du texte dans les compositions de Téléphone est peut-être trop importante pour l’exportation.
Quels sont les dignes successeurs de Téléphone ?
Il n’y en a pas vraiment, je ne me l’explique pas. Hormis Noir Désir et, dans une certaine mesure, Louise Attaque, on n’a pas vu émerger de groupe majeur dans le rock français. À l’international, Muse, Nirvana, Radiohead et quelques autres ont marqué leur époque. Mais chez nous, c’est le calme plat. Peut-être que ce rôle de porte-parole de la jeunesse des années 1970-80 qu’il jouait a été repris par le monde du hip-hop. Les rappeurs ont peut-être récupéré une part du discours rebelle de l’époque. Au-delà, il est vrai que le rock s’est pas mal embourgeoisé.
Les Stones d’aujourd’hui font partie de l’establishment. Une partie du rock représente aujourd’hui quelque chose de vintage, de passé et on peine à trouver de nouvelles figures de proue de l’esprit des origines. Et c’est vraiment dommage.
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Mais alors, comment expliquer le succès des Insus ?
Quand les membres de Téléphone se sont séparés en 1986, ils l’ont fait brusquement, sans prévenir personne et surtout sans préparer leur public. Personne ne s’y attendait. Cela a été un choc pour beaucoup de monde. Dans la lettre qu’il a adressé au fan club du groupe, Jean-Louis Aubert a expliqué qu’il préférait arrêter Téléphone pour ne pas perdre ce qui en faisait l’essence, quelque chose de très beau, de très pur. Au moment de la rupture, un double album devait même sortir. Du coup, l’arrivée des Insus a sans doute libéré cette frustration des fans. Propos recueillis par Jérémy Felkowski