Le Conservatoire d’espaces naturels d’Auvergne vise à sauvegarder les grands espaces en voie de disparition. Avec le programme « Sylvae », l’association entend acheter des parcelles de forêts dites anciennes pour les protéger et éviter qu’il y ait des coupes, notamment. Le projet intéresse au-delà de la région.
– « Comment vous occupez-vous des forêts anciennes que vous avez achetées ? Quelle gestion mettez-vous en place ?
– On ne fait rien. On laisse la nature tranquille.«
Depuis quelques année, Émilie Dupuy, nichée dans le Cantal, coordonne le programme Sylvae dans sa région. L’association pour laquelle elle travaille, le Conservatoire d’espaces naturels d’Auvergne, vise à préserver les milieux fragilisés par la surexploitation des ressources. Son dada : les forêts dites anciennes, c’est-à-dire celles qui poussent depuis le 19e siècle et dont le sol n’a jamais été retourné, notamment. Depuis 2016, la structure cartographie le territoire, histoire de les identifier et… de les acquérir, en vue de les sauvegarder. Elle les rachète auprès de particuliers, propriétaires de 70 % des forêts en Auvergne. « Nous souhaitons protéger 10 % des forêts anciennes et matures. Cela prendra des années, au vu des moyens de l’association… » Car, en effet, l’heure est grave.
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« On estime que les forêts dites anciennes représentent en plaine moins de 1 % des massifs forestiers. Comme l’accès y est facilité, l’exploitation a été plus importante, observe Émilie Dupuy. Dans les montagnes, elles sont un peu plus nombreuses en proportion, mais restent rares (de 2 à 5 % de l’ensemble). C’est que les reliefs rendent les conditions d’accès plus difficiles. Ainsi, ces espaces ont été davantage préservés. » Exploitation agricole, urbanisation galopante… Les causes de leur disparition sont connues…
Pour l’heure, le Conservatoire s’occupe de 128 hectares, d’autres parcelles devraient être récupérées dans les prochains mois. C’est que les démarches prennent du temps, il faut compter près de 15 mois pour que l’asso soit officiellement considérée comme propriétaire d’une zone, une fois que la promesse de vente a été signée. La structure, financée par des fonds publics mais aussi privés (entreprises, restaurants, fondations et particuliers, via une campagne de souscription sur HelloAsso), recherche des terrains dans tous les départements de l’Auvergne. Elle achète des forêts de 5 000 m² au minimum – et sans limite maximum.
Impliquer les plus motivés pour les forêts anciennes
Et après ? Le Conservatoire ne veut pas délimiter les forêts avec des grillages, par exemple, les promeneurs, les amateurs de champignons habitués peuvent continuer d’y venir. Pour valoriser les immensités, les équipes pourraient en outre accueillir « de façon limitée » – des petits groupes dans le but de sensibiliser les citoyens à la nécessité de protéger ces espaces.
En tout cas, le Conservatoire essaye d’impliquer les plus motivés pour garantir la sauvegarde de ces lieux mémorables. Émilie Dupuy anime, à ce titre, ce qu’elle appelle « la communauté des vieilles branches », lancée en 2020. Ce qui permet aux adhérents de l’association de participer à l’aventure Sylvae, que ce soit en postant, sur Instagram, des photos, en organisant des expositions de clichés, en participant à des « veilles foncières » pour repérer les parcelles en vente ou évaluer leur intérêt, ou encore pour installer des pièges photographiques afin d’améliorer les connaissances sur les espèces présentes au niveau des îlots. « C’est comme ça que l’on a pu mettre en évidence la présence du chat forestier… En principe, c’est compliqué d’arriver à croiser cette espèce de félin… », sourit-elle.
« La forêt fait sa vie, pas de coupe possible »
Sur place, la vie sauvage a la priorité. Aucune coupe de bois n’est permise. « La forêt fait sa vie, on laisse les arbres croître, puis mourir, ils vont tomber, ce qui permettra d’avoir un pic de lumière, et ainsi d’assurer la régénération de façon naturelle… » Une véritable ode à la lenteur, comme le dirait Francis Hallé (dont les mots sont à retrouver dans Le Zéphyr n°13 – avec son association, il vise à faire repousser une forêt primaire en Europe). L’idée donc : sauvegarder les habitats naturels, ceux des maîtres des lieux, les animaux qu’on oublie trop souvent. « Le bois mort est laissé sur place, ce qui permet aux insectes de trouver des refuges, des cavités sous les branches au sol, des plaques d’écorce d’un tronc qui se décroche. » Autant de zones favorables au développement des espèces, qui meurent dans l’indifférence.
Si le tourisme n’est pas au programme, l’association souhaite pouvoir ouvrir les forêts aux chercheurs dans les prochains mois. L’heure sera au recensement des essences, à l’évaluation des sols et des espèces. L’inquiétude est de mise.
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Par exemple en ce qui concerne certaines espèces de coléoptères telles que le scarabée saproxylique. « Il dépend beaucoup du bois mort, et il a de moins en moins de refuges favorables à son développement. » Émilie Dupuy cite également l’emblématique rosalie des Alpes, une espèce de coléoptère se rencontrant encore dans le Massif central et dans les Pyrénées. « Or, on en trouve désormais dans les bocages sur la façade Atlantique, les arbres anciens y sont présents… » Elle mentionne en outre la lucane cerf-volant, que l’on retrouve dans les chênaies, ainsi que la pique-prune. « Les larves ont besoin de temps pour se développer et ont besoin de cavités avec beaucoup de terreaux. L’espèce s’adapte en dehors des forêts, désormais. »
On comprend l’empressement de l’association… présente dans d’autres régions, désormais. Le projet Sylvae est né autour du Puy-de-Dôme, mais il commence à intéresser ailleurs. Il s’étend en Franche-Comté, en Occitanie, ou encore du côté du Rhône. / Philippe Lesaffre