Selon Paul Charlent, fondateur d’Alancienne, copartenaire de la ferme de l’Envol, en région parisienne, développer les circuits courts et les fermes en agroécologie permettrait de mieux rémunérer les agriculteurs.

Une « ferme en agroécologie augmente la biodiversité, stocke du carbone, nettoie l’eau, empêche les inondations, devient de moins en moins dépendante des énergies fossiles – le gaz russe par exemple – améliore la qualité des sols, nous nourrit »… Paul Charlent, fondateur d’Alancienne, plaide (sur Twitter) pour une meilleure rémunération des exploitants agricoles, et ce, en raison des « services » qu’ils ou elles rendent. Le Zéphyr s’est entretenu avec lui quelques jours avant le scrutin présidentiel.

« Les paysans sont des warriors »

Vous pensez qu’il faut développer l’agroécologie afin d’améliorer notre alimentation… Comment jugez-vous la situation de l’agriculture conventionnelle ?

Paul Charlent : Elle se trouve dans une situation d’urgence. Les exploitations sont globalement peu rentables. Une majorité des exploitations sont dépendantes de la PAC et ne sont pas rentables sans elle. Une grande majorité la touchent. Nous avons créé une situation de dépendance massive dans laquelle, sans ces subventions, les exploitations ne pourraient pas survivre. Dans le même temps, les agriculteurs bossent 55h/semaine en moyenne (et enfilent le costume d’autres métiers, comme comptables, CM, etc.).

Et on leur dit de changer, de se bouger pour entamer la transition écologique. C’est un peu osé, si j’ose dire, car ce sont des warriors, ne l’oublions pas. Pour autant, le changement climatique est de plus en plus prégnant, et l’agriculture est la deuxième source d’émission de gaz à effet de serre en France, juste derrière le secteur des transports. Dans les années 40, avec une calorie d’énergie fossile, on savait produire 2,4 calories alimentaires ; aujourd’hui il faut… de 7 à 10 calories fossiles (via intrants) pour ne générer qu’une seule calorie alimentaire.

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« Limiter le nombre d’intermédiaires dans la distribution »

Par ailleurs, la rémunération des agriculteurs est très faible dans le circuit conventionnel.

En effet, la grande distribution propose des tarifs toujours plus faibles. Les agriculteurs ne touchent qu’une petite partie du prix des produits vendus dans les supermarchés, c’est de l’ordre de 10 % du tarif pratiqué. Cela devrait être beaucoup plus. C’est pourquoi il convient selon moi de limiter le nombre d’intermédiaires dans la distribution des fruits et des légumes, et ainsi privilégier des circuits plus courts.

Avec Alancienne, une plateforme de vente en ligne de produits frais et locaux, 60 % du prix est reversé aux paysans. Ils ont intérêt à diversifier leurs circuits de production et de distribution (marchés, Amap, etc.), il en va de leur résilience économique surtout. L’exclusivité n’est pas une solution. Alancienne ne le demande pas en tout cas. On pousse nos paysans à multiplier leurs circuits de distribution. On les accompagne, on les aide volontiers. Nous avons par exemple mis en relation des restaurateurs avec des producteurs, nous avons suivi des producteurs pour qu’ils arrivent à vendre leurs produits en magasin à la ferme et qu’ils diversifient leurs offres.

« L’agroécologie, c’est jamais vraiment fini. C’est un mouvement d’amélioration permanente »

Avec quels agriculteurs travaillez-vous ? Des personnes forcément convaincues par l’agroécologie ?

On ne travaille pas qu’avec des « gardiens de l’agroécologie ». Mais on a tout de même les meilleurs de France, je crois. On est entourés d’agriculteurs certes au départ sensibilisés à la cause du changement climatique, mais qui peuvent avoir de grandes marges de progression. L’agroécologie, c’est jamais vraiment fini. C’est un mouvement d’amélioration permanente.

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Paul Charlent

On travaille avec 150 paysans. Parmi eux, certains viennent de se lancer dans l’aventure agricole, dans le maraîchage, notamment. Pour lancer Alancienne et constituer notre vivier d’agriculteurs, on avait visité plus de 600 fermes en six ans, en ayant commencé bien en amont du lancement d’Alancienne.

Mais alors comment les avez-vous sélectionnés ?

Le facteur numéro 1, c’est l’état d’esprit. On regarde comment ils travaillent, avec notre équipe d’agronomes. L’important, c’est le bon sens, qui est de tendre vers l’autonomie de la ferme. Je le dis, ce n’est le cas de personne, pour l’heure… But de l’opération : réduire tout intrants, en évitant au maximum la monoculture, qui a tendance à appauvrir les sols, mettre en place, aussi, une gestion de l’eau et de l’énergie optimale. On regarde tout. L’économique, le social, l’environnemental. On est ultra exhaustifs, et on ne loupe rien en se basant sur des référentiels internationaux (Idea V4). On cherche les preuves techniques des avancées du producteur.

Alancienne est cofondatrice d’une ferme de 60 hectares, la ferme de l’Envol, à Brétigny-sur-Orge. Elle fonctionne comme un laboratoire visant, notamment, à gommer quelques difficultés que rencontrent les maraîchers.

Lesquelles ?

Dans le maraîchage il y a une grosse dépendance en matière organique. Comme la matière est souvent exportée (on vend les légumes), il faut en apporter pour compenser. La matière organique provient d’élevages parfois conventionnels. Sur la ferme de l’Envol, on essaye d’avoir juste assez d’élevage en bio et ultra extensif pour apporter la matière organique sans dépendre d’un apport extérieur d’intrants. Nous rémunérons les paysans 2 600 euros net par mois sur la ferme de l’Envol. C’est beaucoup plus que la moyenne en agriculture. Cela ce fait grâce aux partenaires qui payent les produits au prix juste (circuit court). C’est important pour que le métier d’agriculteur puisse attirer les jeunes à nouveau.

« Grâce à l’agroécologie et l’agroforesterie, on parvient à restaurer la biodiversité »

Comment faire pour que l’agroécologie gagne du terrain ? Cela reste encore confidentiel… Comment casser le cliché qui veut que le circuit court ne touche que les plus urbains, les plus aisés ?

Comment fait-on pour qu’on soit de plus en plus puissants ? Il faut embarquer les gens. Sur Alancienne, on ne propose pas d’abonnements, je pense que cela peut être un frein. On commande quand on veut sans inscription obligatoire… Facilité, flexibilité, livraison à domicile, on rend l’agroécologie plus accessible. Mais de façon plus globale, il faut à mon avis documenter les externalités positives que l’application de l’agroécologie engendre. A ce titre, on travaille avec l’Institut national de la recherche agronomique, avec l’Université Paris-Dauphine, afin de mettre en place des indicateurs économiques mais surtout écologiques et sociaux, visant à prouver l’efficacité économique. On cherche à simplifier l’application du modèle de comptabilité intégré CARE (Comptabilité adaptée au renouvellement de l’Environnement, qui prend en compte les capitaux humains et naturels au même titre que financiers, ndlr). Il a déjà été mis en place de façon épisodique sur certaines de nos fermes partenaires, donc on a des prémices de résultats. Au niveau de la ferme de l’Envol, on va le mettre en place sur du long terme.

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Quelles sont les externalités positives constatées de façon générale dans les fermes optant pour la voie de l’agroécologie ?

Cela tend à limiter la pollution des sols et des rivières. Les nitrates d’origine agricole, utilisés en tant que fertilisants et l’usage massif d’intrants demeurent les principales causes du développement des algues vertes. Limiter l’usage de ce type de produits permet de mettre un terme à ce fléau qui touche beaucoup le littoral. Et nous n’en utilisons pas à la ferme de l’Envol. Il faut dire que l’appauvrissement des sols s’accélère. Lors de grosses pluies, ils n’ont ainsi plus la capacité d’absorber suffisamment d’eau, ce qui peut entraîner des glissements de terrain. Les nappes phréatiques se rétrécissent à cause de la sécheresse des sols, et les insectes disparaissent.

Grâce à l’agroécologie et l’agroforesterie, on parvient à restaurer la biodiversité. Et l’eau utilisée est propre, au contraire de celle utilisée dans une ferme conventionnelle. Il faut alors retraiter l’eau, ce qui coûte de l’argent…

Il y a un autre volet important : les pratiques agricoles que je prône permettent de limiter les problèmes de santé, le cancer de la prostate ou la maladie de Parkinson, assez présentes en raison des cadences de l’agriculture intensive, des produits utilisés. Ce sont des maladies reconnues comme étant des maladies professionnelles. Il faudrait davantage aider les exploitations qui prennent un autre chemin et réduisent leurs intrants.

Mais aujourd’hui, il n’ y a pas de politique d’action, que de réaction. Par exemple, le glyphosate, on sait s’en priver, cela peut passer – notamment – par la mise en place de couverts permanents avec des rotations de cultures plus longues et adaptées aux problématiques de son sol. Pourquoi mettre des pansements, alors que l’on pourrait changer en profondeur le système ?

« Vers une sécurité sociale alimentaire »

Quels sont les chantiers à mettre en place selon vous ?

D’abord au niveau de l’information, de la sensibilisation, en premier lieu en ce qui concerne le prix des produits frais en supermarché. Il faut faire comprendre qu’il ne s’agit pas des prix réels. Ils sont parfois très bas. On paye dans nos impôts des coûts cachés. Donc ils sont finalement très chers. On paye les problématiques environnementales qu’ils engendrent, en particulier au niveau de la santé, et on paye la PAC qui subventionne l’agriculture conventionnelle. Plutôt que d’interdire par exemple de vendre des produits hors de leur saison, on peut sensibiliser. Gagner en transparence, et ainsi aider les consommateurs à choisir.

On consomme par ailleurs trop de viande, ce n’est pas essentiel d’en avoir dans son assiette chaque jour. Il est vrai que réduire la consommation de ce type de produits permettrait de récupérer du pouvoir d’achat, utile pour s’alimenter en produits sains, et ainsi mieux… rémunérer des maraîchers.

Autre chantier indispensable, s’attaquer au gaspillage alimentaire (des champs à l’assiette, c’est de l’ordre de 30 % de la production qui s’évapore, selon la FAO. Enfin, pour les plus démunis, il faudrait parvenir à mettre en place une sécurité sociale alimentaire, via, notamment un chèque alimentaire, pour flécher vers des produits plus sains. / Propos recueillis par Philippe Lesaffre