Personne, ou presque, ne parle de la sexualité des personnes en situation de handicap. En France, les assistant.e.s sexuel.le.s, assimilé.e.s à des personnes prostituées, ne sont pas reconnu.e.s par la loi. Pourtant, elles peuvent apporter un bien-être souvent inaccessible, comme nous le raconte Guillaume Bourdiaux. A 22 ans, pour se sentir plus épanoui, l’auteur de Guillaume au pays d’Alice a décidé d’emprunter un… passage interdit.
Une « personne handicapée, qu’il s’agisse d’un homme et d’une femme, reste un être humain. Et le sexe est le meilleur des plaisirs. Pour moi, cette énergie est vitale. Alors, oui, je suis favorable à la légalisation des assistantes sexuelles ». Guillaume Bourdiaux, jeune homme en situation de handicap depuis la naissance, pourrait en bénéficier. Seulement, la France, contrairement à d’autres pays en avance, à l’instar de la Suisse, par exemple, les assimile à des personnes prostituées.
Or, depuis la loi de 2016 (longuement discutée), le pays pénalise les clients, qui peuvent ainsi être poursuivis s’ils fréquentent des travailleurs ou des travailleuses du sexe. « Les législateurs n’ont rien compris », lâche le jeune homme, impatient que la situation évolue pour tous ces hommes et ces femmes qui accompagnent des clients présentant un handicap, physique, psychique ou mental.
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« Leur aide n’est pas seulement sexuelle, loin de là« , précise le garçon de 24 ans, avec qui nous avons échangé. Au-delà de la découverte de la sexualité, cela peut permettre aux bénéficiaires d’avoir accès à une vie intime, sensuelle et/ou sexuelle, comme l’écrit, sur son site, l’association Pour la Promotion de l’accompagnement sexuel (APPAS). « Cela peut être en particulier, explique Guillaume, un peu de tendresse pour offrir la possibilité à la personne d’être confrontée par exemple à un autre corps, de se découvrir, peut-être de mieux accepter sa différence. »
Des « petites avancées » malgré les « blocages »
Guillaume regrette qu’il y ait encore « de nombreux blocages » au sein de la société. Pour lui, « c’est toujours un sujet tabou« . Pourtant, il estime que la question de la sexualité des personnes en situation de handicap « intéresse les Français« . Toujours est-il qu’il observe tout de même des « petites avancées« . De plus en plus de personnes suivent des formations de la part d’associations, telles que l’Appas, et exercent cette profession non réglementée.
Interrogé par Sophie Cluzel, l’actuelle secrétaire d’État au handicap, le Comité consultatif national d’éthique, instance dirigée par l’infectiologue Jean-François Delfraissy, a rendu un rapport en juillet dernier sur la question. La structure, déjà sollicitée en 2012 à ce sujet, ne s’y est alors pas opposée totalement, mais ne s’est pas non plus prononcée en faveur d’une légalisation. Ce que regrette Guillaume. Les auteurs de l’étude admettent certes que « l’absence de toute vie affective et sexuelle peut constituer une source de souffrance et de perte d’estime de soi ». Et d’indiquer, plus loin, que « l’accès à la sexualité peut contribuer au bien-être et à un certain équilibre de la personne ». Or, proposer les services d’assistants sexuels ne serait guère possible, pour l’instance, sans « modifier le cadre légal relatif à la prostitution et donc de s’affranchir des principes éthiques qui s’y réfèrent« . Pour le Comité consultatif, cela nécessite de prendre « une décision politique et législative« . Qui n’est donc pas encore prévue, pour l’heure.
« Il faut avancer sur la question, je pense, pour protéger ces femmes et ces hommes, dont le métier est exercé dans des conditions difficiles. Ces personnes peuvent vraiment nous permettre de sortir de l’isolement », dit-il quelques semaines avant le début de la campagne présidentielle. En 2019, après avoir vécu des moments très difficiles à la suite d’une délicate opération de sa main gauche, faisant face à une sérieuse addiction d’alcool depuis quelques années, Guillaume avait besoin de se reprendre en main. Et de se trouver une personne de confiance, avec qui il pouvait échanger librement. Trouver, en somme, un peu d’intimité.
Se réconcilier avec mon handicap
Sans petite amie, le Montpelliérain a décidé de chercher une escort, quitte à la rémunérer pour le service proposé. Il a trouvé une fille en ligne et a commencé à la fréquenter souvent. Et pas seulement pour faire l’amour. La rencontre lui a permis, raconte-t-il, de « (le) réconcilier avec son handicap« , vu le sourire qu’il esquissait après chaque séance avec elle. C’était une véritable thérapie, d’après lui. « J’en avais vraiment besoin et j’ai eu de la chance de rencontrer Alice. »
Le jeune homme raconte l’histoire de leur échange dans sa récente autobiographie, parue – chez Feed Back – l’an dernier, Guillaume au pays d’Alice, dans laquelle il revient – entre autres – sur son enfance, sa scolarité, ses difficultés, ses désirs. Mariée, en poste, Alice s’était lancée dans cette aventure extra-salariale pour « pousser l’expérimentation du jeu et de la liberté« , comme elle l’a expliqué à Guillaume après coup. Elle avait ainsi commencé à rencontrer des hommes « en recherche d’affection et de douceur« . Et Guillaume a frappé à sa porte, ayant réussi à dépasser ses craintes quant à l’idée de vivre une expérience risquée, illicite – puisque cela revient à transgresser la loi. Mais aussi sa peur de la « dégouter« , en ôtant ses habits.
Or, aujourd’hui, il en est fier, nous dit-il. Il reconnaît se sentir « privilégié d’avoir pu voir Alice à de nombreuses reprises« . Guillaume se sentait, comme il l’écrit dans son ouvrage, « incomplet, lésé, privé de cet épanouissement » ; en somme, il sentait qu’il avait besoin de « passer un cap ». Et il a réussi. Mais qu’en est-il des autres ? Celles et ceux n’ayant pas eu cette opportunité de rencontre, parfois en raison d’un manque d’argent, car ils ne peuvent se permettre ce type de prestation. « Ce n’est pas facile. » Pour autant, peu importe leur handicap, « leur vie est suffisamment compliquée, (alors) de quels droits leur interdirait-on d’avoir ce plaisir-là ? » Guillaume nous raconte avoir également écrit ce livre pour tenter de médiatiser ce sujet important. Et afin qu’on puisse en débattre, en attendant les évolutions législatives tant désirées.
« Beaucoup de violences »
Désormais, l’auteur entend apporter son aide aux travailleur.se.s du sexe. Il l’affirme : si de très nombreuses personnes sont exploitées et contraintes, certain.e.s, malgré tout, sautent le pas « de manière consentie« , d’après lui. « Et leur situation sociale est très compliquée« , peste Guillaume, qui s’est engagé récemment à Médecins du monde. L’association vient régulièrement à leur rencontre afin de leur fournir du matériel de prévention et de leur proposer des consultations médicales en vue de dépister d’éventuelles maladies sexuellement transmissibles. « Il y a encore beaucoup de violences, certains clients refusent par exemple les protections… »
Pour l’heure, il ne travaille pas encore, mais il sait qu’il a envie de s’investir dans l’aide à la personne. Mais pour faire quoi exactement ? A 24 ans, Guillaume ne le sait pas encore précisément. Mais une chose est sûre : son service civique, en 2019 avec l’association Unis-Cité, au plus près de personnes en situation de handicap et de personnes âgées, lui a mis la puce à l’oreille, tant l’expérience a été enrichissante, selon lui. « Ce type de public m’intéresse. » Y a plus qu’à. / Philippe Lesaffre