Le Zéphyr s’est entretenu avec Izhar, un Afghan de 33 ans. Réfugié politique depuis 2011, il nous raconte pourquoi il a dû s’exiler en France. La situation actuelle en Afghanistan l’inquiète au plus haut point, sa famille est restée sur place.
Izhar Husen Khel multiplie les chantiers en région francilienne. Électricien, il travaille dans le bâtiment depuis plusieurs années. Et rien ne transparaît sur son visage, aucune trace de son passé, de ce qu’il a enduré il y a plusieurs années, son exil forcé, dangereux, son périple interminable de clandestin, de ses terres afghanes à Paris. « Cela a été très long, très difficile« , glisse-t-il aujourd’hui dans un français presque parfait. Izhar s’exprime lentement, comme pour chercher les mots justes. Le jeune homme est concis, mais relate son aventure avec plaisir.
« J’ai quand même eu beaucoup de chance« , note Izhar. Réfugié politique depuis 2011, la trentaine, il vit actuellement au nord de Paris, en colocation avec des amis afghans, après avoir longtemps accumulé les foyers et les logements à Paris et aux alentours. Surtout, il exerce la profession qu’il souhaitait avoir quand il a posé ses rares affaires dans la capitale, après un dernier trajet en train depuis Rome en 2009. Maintenant qu’il est installé, Izhar apporte son aide à certains de ses concitoyens dans le besoin d’un traducteur en pachto, sa langue maternelle, et échange avec leurs assistantes sociales pour les aider dans leur démarche administrative.
Sa famille en danger en Afghanistan
La situation catastrophique de son pays l’inquiète au plus haut point, d’autant que sa famille est restée sur place. « Là-bas, il est très compliqué de trouver à manger, comment va-t-elle faire ? » Le risque de famine s’accélère… Cet été, Izhar a suivi avec beaucoup de peine la chute du gouvernement et la prise de Kaboul des talibans. Elle lui a rappelé toutes les heures sombres de l’Afghanistan. Autant de souvenirs douloureux, pour lui et les siens.
Né à Kandahar, il a grandi avec ses frères dans la ville de Jalalabad, à l’Est du pays, jusqu’à son départ en 2006. Son père, commandant, travaillait pour le président de la République afghane Najibullah, mais son gouvernement est tombé en 1992 au terme d’une guerre civile déclenchée à la suite du départ des troupes soviétiques du pays. Or, les talibans ont pris, quatre ans plus tard, le contrôle de la majorité du territoire, et ils ont eu la peau tant de l’ex-chef de L’État, assassiné, que… du père d’Izhar. En 2001, les Américains ont beau avoir chassé les islamistes, mais le danger n’a pas disparu pour autant. Les talibans ont continué de traquer les personnes ayant collaboré avec leurs ennemis intérieurs.
Et c’est ce qui a, en particulier, décidé le jeune Izhar, à peine 18 ans, à prendre la fuite. Avec cet objectif : se reconstruire en Occident et surtout aider financièrement ses proches. « Au début, j’avais l’intention de rejoindre un cousin qui s’était installé en Grande-Bretagne. » Mais il a fallu s’organiser, notamment pour récolter les fonds nécessaires au grand voyage. Un passeur lui a demandé la somme de 5 000 dollars pour l’aider à se rendre, avec d’autres, en Grèce. « Parfois c’est plus, parfois un peu moins. Cela a été. On avait une maison, et ma famille a pris un appartement plus petit pour louer la maison, afin que je puisse avoir l’argent », nous explique-t-il.
Un périple dangereux
Izhar a ainsi quitté les siens. Le début d’un parcours du combattant, qui durera au final près de trois ans. Un voyage qu’il a effectué avec des inconnus. La plupart du temps en voiture ou à pied afin de traverser les zones montagneuses. « On s’est beaucoup cachés pour éviter de se faire prendre. Sans passeport, ajoute-t-il, c’est compliqué.” Avant de préciser qu’il a pu, de temps à autre, passer des coups de fil à sa famille pour les rassurer.
Concrètement, Izhar a réussi à passer au Pakistan, puis s’est approché de la frontière iranienne. Mais, juste avant d’y arriver, on l’a capturé. « On m’a demandé pourquoi je voulais me rendre de l’autre côté, ce n’était pas légal. » Izhar, au bout de deux mois, est relâché. Il a alors rappelé le passeur et il est parvenu, cette fois, à rejoindre le pays du Golfe persique. Pas pour longtemps, car on l’a rattrapé et renvoyé en Afghanistan. Tout ça pour ça. Mais le garçon est courageux et n’a pas abandonné. Il a repris la route, déterminé. Et il est enfin arrivé à Téhéran, où il est resté quelques jours. Avant de repartir pour Istanbul, dernière étape avant la Grèce.
Aux confins de l’Europe, il s’est trouvé un job pour se payer un aller simple en Italie. « J’avais le droit de rester ainsi. J’ai travaillé un an dans un magasin d’alimentation générale, ce qui m’a permis de payer 1 500 euros, pour pouvoir passer de Thessalonique à Rome. » Pas une mince affaire : « J’étais dans un camion de livraison, caché assis dans un carton pendant 18 heures, sans pouvoir aller aux toilettes ou manger. Le camion a traversé la mer dans un ferry. » Le voilà en Italie. Le plus dur est fait, il y passe quelques jours avec un autre exilé. « On faisait la manche et on a croisé par hasard un Afghan plus âgé que nous. Il nous a aidés en nous payant un billet de train pour rejoindre Paris. »
Et c’est ainsi qu’il est arrivé à sa destination finale un jour de 2009, seul et sans le sou. Il avait certes l’objectif de se rendre à Calais dans le but de traverser la Manche, mais, après tant d’efforts, il a lâché l’affaire et choisi de tenter sa chance à Paris. « J’ai dû passer plusieurs mois dans la rue. Parfois, via le 115, je trouvais un gymnase afin de passer la nuit, vers Stalingrad ou gare de l’Est. »
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Refuge dans l’Oise
Rapidement, il a rencontré d’autres Afghans tassés au canal Saint-Martin, il y a passé plusieurs nuits. L’occasion d’observer comment les passants se comportent en leur présence. « Je me souviens de jeunes en état d’ébriété qui urinaient devant les tentes, presque. Mais il y avait aussi des gens formidables, prêts à nous aider. » Des citoyens solidaires, qui leur tendent les bras, des acteurs qui leur donnent nourriture et vêtements. Sans compter l’association France Terre d’asile, au chevet de ces demandeurs d’asile. Elles les a accompagnés dans leur démarche administrative.
Au bout de quelques semaines, la structure l’a envoyé dans l’Oise. Il a trouvé refuge dans des centres d’accueil de demandeurs d’asile, d’abord à Liancourt puis à Creil. « J’avais une chambre de 9 m², c’était beaucoup mieux. » Autant de foyers qui lui ont permis de préparer, dans de moins pires conditions, son installation, toujours accompagné de France Terre d’Asile.
“Assez rapidement”, comme il dit, il obtient une attestation de demande d’asile auprès de la préfecture. Un document renouvelable au bout de 6 mois après le dépôt de son dossier à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). « Puis, au bout d’un an, j’ai eu un rendez-vous à l’Ofpra, au cours duquel j’ai tout raconté, depuis le début. Cela a été, mais c’était long. On m’a demandé de rassembler de nombreuses preuves, par rapport à mon père notamment. C’était pour que je puisse prouver que j’étais en danger en Afghanistan. »
Sa femme et sa fille toujours en Afghanistan
Fort heureusement, la bonne nouvelle est arrivée quelques mois plus tard. En 2011, il obtient le statut de réfugié politique, qu’il vient d’ailleurs de renouveler, dix ans après. Dans la foulée, Izhar repart à Paris dans l’objectif d’apprendre le français et de trouver du travail, d’abord en tant que carreleur et peintre dans le bâtiment. Avec un ami indien, il crée en 2013 une SARL, IF-Bâtiment, et commence à travailler pour de grandes sociétés, comme Eiffage. Les affaires durent quelques années jusqu’à ce qu’une entreprise, qui lui a fourni de nombreux chantiers, ne règle pas une importante facture de plusieurs dizaines de milliers d’euros. Un impayé, et cette conséquence fâcheuse : les deux ferment boutique, puis assistent impuissants, en 2018, à la radiation de leur société. Or, Izhar, persévérant, parvient à rebondir dans l’intérim jusqu’à obtenir son poste actuel. Autant de missions lui permettant d’envoyer chaque mois en moyenne 500 euros en Afghanistan.
Pour autant, son combat se poursuit. Il veut réunir les siens, sa femme et sa fille de quatre ans, restées là-bas. En 2015, il s’était rendu au Pakistan pour épouser celle que sa mère avait choisie pour lui. « C’est comme ça que ça se passe en Afghanistan, ce n’est pas comme en France : ma mère m’a montré une photo. Je ne la connaissais pas. Et j’ai dit oui. Et elle, de son côté, aussi. » De cette union est née une fille. « J’ai beaucoup de nouvelles. On se parle tout le temps. Pour mon épouse, c’est difficile actuellement. » Izhar s’apprête à entamer des démarches visant à obtenir un regroupement familial. Il avait déjà tenté une première fois au lendemain de son mariage, en vain. Y parviendra-t-il cette fois ? / Philippe Lesaffre