Janvier 2015. On revoit leurs visages défilant sur toutes les chaînes. La stupeur, la peine immense, la colère. Un an après, Le Zéphyr, qui démarrait son aventure, a toqué à la porte de collégiens et de lycéens pour comprendre ce que les attentats de Charlie Hebdo avaient provoqué en eux. Certains ont pris la plume pour exprimer leurs émotions. Ils nous ont dit pourquoi.

Cinq ans après la folie macabre des frères Kouachi, Le Zéphyr republie ce récit, publié initialement sur le site en janvier 2017, puis dans le premier numéro de la revue du Zéphyr, un an plus tard.

les couvertures du Zéphyr

Quand un drame réveille chez les jeunes l’envie de défendre la liberté d’expression… Après les attaques contre Charlie Hebdo, en 2015, de nombreux élèves de collèges et de lycées des quatre coins du pays, affectés, ont pris la plume ou la parole dans des médias scolaires pour exprimer leur émotion. 

Le 7 janvier 2015 à 11h30, j’ai été parcouru de frissons. Je me suis souvenu de tout, des images, des sirènes…” Louis Pasquier, 20 ans, témoigne, un an après les terribles attaques contre Charlie Hebdo. Comme tant d’autres, celui qui était lycéen au moment des faits paraît encore affecté par les événements. À l’époque, le jeune homme dirige le journal de son établissement, La Mouette bâillonnée (librement inspiré du Canard enchaîné). L’élève, alors en 1ère L, apprend la nouvelle en sortant d’un cours dédié à la prolifération du terrorisme dans le monde. Drôle de coïncidence, pour celui qui ne saisit pas de suite, admet-il aujourd’hui, “ce qui était en jeu”. Ce n’est qu’en rentrant chez lui qu’il commence à comprendre : “Mes parents regardaient un bulletin spécial sur une chaîne d’info en continu, les yeux pleins de larmes. On a discuté. Et j’ai été choqué.

Rendre hommage à Charlie

En tant que rédacteur en chef du petit canard, il reçoit l’appel de dizaines de plumes de La Mouette, puis décide de convoquer un comité éditorial afin de réaliser un numéro spécial. La démarche du journal est motivée par le fait que “l’un des membres de la rédaction avait perdu son père dans les locaux du journal satirique”. Or, ce qui devait être un journal dédié à Charlie sera finalement consacré à l’ensemble des victimes des tueries du mois de janvier 2015 (pas que des journalistes et dessinateurs). Le numéro de La Mouette, rempli de textes et de dessins, a été réalisé par 2 500 élèves en quelques jours. 

De nombreux autres élèves, émus, ont eu la même idée. Les tristes événements les ont poussés à publier des numéros spécial liberté d’expression. Y compris les plus jeunes. Ainsi, les jeunes rédacteurs du Ptit Braillard, journal – “qui ne raconte pas de bobard” – du collège Louis-Braille à Esbly en Seine-et-Marne ont conçu, par exemple, un numéro en un seul jour. C’est que les ado et jeunes adultes ont besoin de faire part de leurs émotions.

Faire valoir la liberté d’expression

Océane Brisard, par exemple. Elle était au lycée Marguerite-de-Navarre, à Alençon, en janvier 2015. Après les attentats du 7 janvier, elle nous explique avoir été interrogée, sur la radio du lycée, à propos d’un dessin qu’elle a réalisé pour exprimer son ressenti sur les attaques. Elle ne quittera plus la rédaction de Radio Margot, tout comme sa collègue Alexiane, qui est arrivée à la radio au même moment. Cette dernière a fait ses premières armes au micro en interrogeant le dessinateur de presse Chaunu : “C’est un artiste que j’apprécie beaucoup, et je voulais rendre hommage aux membres de Charlie.” 

Cet engagement n’étonne pas Jets d’encre. L’association de promotion de la presse jeune a, pour l’édition 2015 du Kaleïdo-Scoop, son concours national, étudié de nombreuses productions liées aux événements tragiques. “Par exemple, sur le prix du dessin de presse, note Camille Baron, membre à l’époque de l’association et ex-journaliste à La Mouette bâillonnée, les trois quarts des contenus traitaient de la liberté d’expression et, donc, de la tuerie.” 

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Semaine de la presse et des médias à l’école

Même constat du côté du Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (Clemi). Rattaché au ministère de l’Éducation nationale, il a publié, en 2015 après la tuerie, une revue de presse consacrée aux attentats qui a été téléchargée plus de 416 000 fois.Au total, “79 journaux d’écoles, 132 titres collégiens et 86 parutions lycéennes se sont mobilisés pour un total de 341 numéros parus”, note Pascal Famery du Clemi. Parmi ces journaux, 40 titres d’écoles primaires, 84 de collèges et 74 de lycées ont directement traité le sujet “Charlie”. “Un chiffre considérable”, analyse le responsable du Clemi, organisateur de la Semaine de la presse et des médias dans l’école, chaque année. 

Les élèves ont voulu exprimer leurs émotions, leurs interrogations, leur refus de la violence, leur attachement aux valeurs du vivre-ensemble”, précise Élodie Gautier, coordonnatrice du Clemi à l’académie de Créteil. L’idée, selon cette professeure d’histoire-géographie, était de “comprendre ce qui s’était passé, qui avaient été les victimes”. “Les enseignants impliqués, poursuit-elle, nous ont fait comprendre à quel point l’expression des élèves leur paraissait cruciale à l’heure d’aborder une telle actualité”. 

Mieux cerner l’info

Les jeunes qui font vivre les médias scolaires sont ceux de l’après-Charlie, complète Louis Pasquier, l’ex-rédacteur en chef de La Mouette bâillonnée. Ils ont pris conscience de leur rôle et de la portée de leurs actes. Ils ont beaucoup de choses à dire.

Et d’ailleurs, si un événement, aussi dramatique que la tuerie à Charlie, a pu déclencher l’envie d’écrire ou de s’exprimer à l’oral, les jeunes ont rapidement compris l’intérêt d’une telle démarche. 

Alexiane, par exemple, enregistre fréquemment des coups de cœur et des coups de gueule, réalise de nombreux sujets dédiés à la place des femmes dans la société. Elle assure que ces émissions, parfois enregistrées à l’extérieur du lycée comme au Mémorial de Caen, lui ont notamment permis de rencontrer des consœurs professionnelles. De manière générale, “la presse jeune permet de toucher un public parvenant mieux à s’identifier aux animateurs jeunes et à adopter un autre point de vue de la société. Celui d’une adolescente de 16-17 ans, par exemple, ne sera pas celui d’une personne de 50 ans”, croit savoir Alexiane.

Les profs veulent des ateliers

Pour Pascal Famery du Clemi, “il y a de l’envie” dans les différentes académies de la part des jeunes, mais aussi des encadrants, des professeurs ou des documentalistes, qui veulent apprendre à leurs élèves à mieux cerner l’actualité. Selon Nathalie Barbery, coordinatrice du Clemi à Dijon, « les stages sur le lancement de blogs ou de journaux scolaires, ou pour déchiffrer des dessins de presse ont été plus demandés en 2015 qu’auparavant.” Les années précédentes, les enseignants souhaitaient assister à des ateliers plutôt sur l’e-réputation ou l’utilisation des réseaux sociaux. Et, donc, sur ce point, “l’effet Charlie a été visible”, observe cette ex-professeure de sciences économiques et sociales. Nathalie Barbery a remarqué que la demande de création provenait des professeurs, mais des jeunes directement aussi. 

L’enjeu : l’éducation aux médias 

Encore faut-il avoir, dans l’établissement, un cadre à disposition, à savoir la possibilité d’ouvrir un site ou un blog, voire un studio radio, soutient Céline Thiery, du Clemi de l’académie de Caen, pour qui les établissements ont une carte à jouer. “S’il y a le matos, s’il y a un studio, des élèves seront demandeurs…” Pour elle, pas la peine de les contraindre à passer à l’acte, ce serait contre-productif. “Il faut leur donner de passer à l’acte grâce à l’éducation aux médias et à l’information.” En somme, avec des cours sur l’économie des médias, sur la structure des groupes de presse, mais encore sur l’objectivité, sur la nécessaire diversité des sources, sur la manière de repérer les fake news… Autant de thèmes qui permettent, observe Nathalie Barbery, de “comprendre le monde, de développer un esprit critique, alors que l’information arrive de partout”.

D’ailleurs, si les attaques contre Charlie Hebdo ont pu heurter les jeunes et incité nombre d’entre eux à prendre la parole, la mobilisation n’a pas non plus démarré après cet événement tragique. Comme le relève Céline Thiery, du Clemi de l’académie de Caen : “Les web-radios, par exemple, prennent de l’ampleur depuis 2008/2010./ Philippe Lesaffre